Ce que les Afghans ont gagné, ce qu'il faut poursuivre by posted Friday August 29, 2003 at 06:24 PM |
voici la version finale du texte préparé par le groupe de soutien juridique de l'assemblée des voisins. Il tente d'expliquer ce que les Afghans ont obtenu, ce qu'il importe de continuer, et également une série de conseils pratiques pour les Afghans et les autres réfugiés qui sont en droit de demander leur régularisation suite à la lutte de l'église Sainte-Croix.
Un combat commun contre l'arbitraire
« Nous avons été trahis par le Commissariat Général aux Réfugiés et
Apatrides. » Lorsque la communauté afghane entame une grève de la faim
qui durera trois semaines, c'est en désespoir de cause, la procédure
d'asile est perçue comme un jeu de dupes, et les principes de la
Convention de Genève ne sont plus qu'un lointain garde-fou pour une
administration plus encline à traiter de l'asile en terme d'entrées et
de sorties de populations, certes misérables, mais peu respectables.
Le sort fait aux demandes afghanes discrédite singulièrement
l'impartialité du Commissariat. Si en dépit des évidences, le
Commissaire et le Ministre prétendent toujours avoir traité ces dossiers
individuellement, il est d'autres lieux où la situation s'expose plus
crûment.
Ainsi, le 25 juillet, lors d'une rencontre informelle où se prépare le
rapatriement des Afghans, entre des représentants de différents pays
européens et des agents de l'Organisation Internationale des Migrations
(OIM, organisation spécialisée dans le rapatriement volontaire), la
situation des Afghans en Belgique est présentée comme suit : Le Ministre
de l'Intérieur a commencé à rendre les décisions après une longue
période où les dossiers des demandeurs d'asile ont été retenus. (« The
Ministry of Interior has started handing out decisions after a long
period of keeping the files of asylum-seekers on hold. » texte
consultable sur le site http://www.belgium.iom.int)
C'est ce même sentiment d'arbitraire qui anima la solidarité spontanée
des voisins d'Ixelles. Convoqués en assemblées démocratiques sur les
marches de l'église, les voisins par la multiplicité de leurs soutiens
concrets, auront permis à la vie de reprendre ses droits. Dans ce moment
tragique où des hommes et des femmes mettent leurs vies en péril pour la
défense de leur droit à l'existence, ils ont avec beaucoup de justesse,
modestement, mais fermement, brisé l'isolement où sont confinés les
demandeurs d'asile.
Les voisins ont rapidement pris conscience d'un paradoxe. L'immigration
est un débat de société majeur, mais le traitement légal qui lui est
réservé est une inconnue. Comment prendre pied dans ce débat ? Qui
connaît le fonctionnement de l'Office des Etrangers ? De quels critères
use l'administration ? etc. Le droit appliqué aux étrangers est un droit
fait de procédures d'exceptions, de circulaires changeantes,
d'insécurité juridique et constitue un monde parallèle. Il y avait là un
point commun entre les Afghans et les voisins, le désarroi face à
l'opacité d'une administration. Un groupe de soutien juridique s'est
alors constitué afin d'assurer au fil des jours, ce travail
d'information et de soutien juridique aux grévistes. C'est ce même
groupe qui aujourd'hui publie ce texte afin d'expliquer ce que les
Afghans ont obtenu, et d'envisager une continuité pour l'avenir.
Quelques paradoxes
Le comportement et les interventions publiques du Ministre Dewael tout
au long de cette lutte ont contribué à créer encore plus de confusion.
Dès le début, le Ministre s'est rallié à la position du Commissaire
général, M. Pascal Smet pour dire: l'asile est un droit individuel, tous
les dossiers ont été examinés individuellement, il n'est donc pas
question de céder à la revendication des Afghans lorsqu'ils réclament
des garanties collectives quant à leur droit de séjour. Les Afghans
ayant rapidement formulé leurs exigences en terme de régularisation, le
Ministre n'a pas changé de registre: le gouvernement n'envisage pas de
régularisation collective.
En apparence, cette position est ferme et cohérente, au point qu'à la
fin du conflit, le Ministre Dewael continue de marteler: il n'y a pas de
régularisation collective. Les Afghans ont compris que cette apparence
est trompeuse. La réalité est exactement à l'inverse de ce que le
Ministre n'a cessé de dire. Dans les faits, les demandes d'asile des
Afghans ont bel et bien été traitées de manière collective, ce qui est
clairement attesté par l'envoi massif et simultané d'ordres de quitter
le territoire.
C'est là une des réalités de la politique belge d'asile:
l'administration raisonne par chiffres, surtout depuis l'instauration
des expulsions collectives par charters (gouvernement arc-en-ciel). Mais
cette réalité est inavouable, car la Belgique prétend appliquer la
Convention de Genève qui la contraint à l'examen individuel des demandes
d'asile (en outre, les expulsions collectives sont explicitement
interdites par le droit international). Finalement obligé d'entrer dans
une vraie négociation (du fait de la saisie du Médiateur fédéral par les
Afghans), le Ministre Dewael a continué de traiter le dossier en termes
collectifs tout en disant le contraire. Ainsi l'accord final porte
principalement sur un critère permanent et objectif de régularisation,
valable pour des demandeurs d'asile de toute nationalité.
Le deuxième paradoxe est lié au premier. Il est aussi plus simple a
comprendre: le Ministre ne veut pas reconnaître qu'il a reculé. Cela
fait partie du jeu politique. Comme il a été le seul (avec le Premier
Ministre Verhofstadt, du même parti VLD) à intervenir au nom du
gouvernement, le PS ayant totalement délaissé ce dossier, aucune voix
gouvernementale ne vient faire la publicité des "bons côtés" de l'accord
et la droite peut plastroner qu'elle n'a rien cédé.
C'est donc en l'absence de tout relais politique que nous devrons tout
mettre en oeuvre pour que l'accord final soit respecté, et qu'il serve
de levier pour d'autres combats.
Le sens des revendications afghanes
La page de l'asile étant tournée, voire déchirée, les Afghans
demandaient réparation du déni de droit dont ils avaient été les
victimes. Cette réparation passait par une régularisation. Le bras de
fer de trois semaines aura porté sur les conditions de cette
régularisation.
Il n'existe dans la législation belge qu'une disposition à partir de
laquelle s'est développée une pratique administrative de régularisation
: il s'agit de l'alinéa 3 de l'article 9 de la loi du 15 décembre 1980
relative à l'accès, le séjour, l'établissement et l'éloignement des
étrangers.
Cet alinéa 3 de l'article 9 prévoit une exception à la règle générale
selon laquelle toute demande pour obtenir un droit de séjour en Belgique
doit être introduite auprès du Consulat/Ambassade belge dans le pays
d'origine. Et cette exception est l'existence de circonstances
exceptionnelles : en cas de circonstances exceptionnelles, une demande
de séjour de plus de trois mois peut être introduite au Bourgmestre du
lieu de résidence. (qui la transmet à l'Office des étrangers après
vérification de la résidence effective).
Toute demande de régularisation se voit par conséquent soumise à une
condition de recevabilité : la justification pour l'étranger de sa
difficulté ou de son impossibilité à introduire sa demande de séjour
dans son pays d'origine.
Cette notion de circonstances exceptionnelles, qui n'est pas définie
dans la loi mais qui trouve des illustrations dans la jurisprudence du
Conseil d'Etat, est appréciée très sévèrement par l'Office des étrangers
de sorte que la plupart des demandes ne passent même pas le cap de la
recevabilité.
Quant aux circonstances humanitaires pouvant être invoquées au fond,
celles-ci ne sont pas non plus définies. Dans bon nombre de cas, elles
se confondent dans les faits avec les circonstances exceptionnelles
précitées. Mais les critères sur lesquels se base l'Office des étrangers
ne font l'objet d'aucune réglementation.
En outre, il s'agit d'une procédure administrative sans débat
contradictoire et sans réelle instance d'appel, le Conseil d'Etat ne
jugeant pas du fond du dossier mais de la qualité de la motivation des
décisions de l'administration.
L'absence de critères légaux de régularisation, l'absence de débat
contradictoire et l'absence de voie de recours au fond montrent qu'il
s'agit d'un mécanisme purement discrétionnaire, car il y a toujours de
bonnes ou de mauvaises raisons pour affirmer que les conditions sont
remplies ou non.
C'est ce mode de fonctionnement incontrôlable que l'ampleur de la
mobilisation afghane aura ébranlé. Il eut été facile de régulariser une
dizaine de grévistes, mais que faire lorsqu'ils sont 300, et surtout
lorsqu'ils sont solidaires de l'ensemble de le communauté afghane ? Le
refus de négocier du Ministre était le refus de la publicité. Or les
Afghans ne voulaient pas se satisfaire de vagues promesses, ils
revendiquaient la transparence, et l'applications de critères objectifs
à leurs demandes de régularisation. Face à la surdité du Ministre, ils
ont demandé l'intervention du Médiateur fédéral appuyant ainsi le
caractère élémentaire de leurs exigences dans un état de droit :
connaître les critères que l'administration utilise pour juger des
demandes de ces administrés. Les Afghans revendiquaient des règles, là
précisément où il n'y en avait pas.
Concrètement, les Afghans ont obtenu plusieurs avancées qui concerneront
d'autres demandeurs d'asile.
Le Ministre de l'Intérieur engage son administration à respecter à
l'avenir un critère objectif de régularisation qui concerne un certain
nombre de demandeurs d'asile. Ce critère n'a pas été inventé pour
l'occasion, il est repris tel quel, et parmi d'autres, de la loi de
régularisation du 22 décembre 1999. Ce critère est le suivant : Toute
personne qui a demandé le statut de réfugié et qui n'a pas reçu de
décision exécutoire dans un délai de 3 ans (familles avec enfants
scolarisés) ou 4 ans (personnes seules ou couples sans enfants) peut
être régularisée à moins que le Ministre ne juge qu'elle représente un
danger à l'ordre public ou la sécurité nationale.
Le Ministre s'engage à traiter les demandes de régularisation dans un
délais de trois mois. Ce n'est pas un mince engagement, lorsque l'on
sait qu'aujourd'hui il faut attendre quinze mois pour obtenir une
réponse.
Le Ministre admet le manque d'objectivité du Commissariat Général aux
Réfugiés et Apatrides dans ces évaluations de la situation humanitaire
et sécuritaire d'un pays. Il devra donc à l'avenir prendre ces décisions
sur un échantillon de rapports beaucoup plus large, et notamment l'avis
du Ministère des Affaires étrangères qui a priori n'est pas concerné par
la question du retour.
Les demandeurs d'asile déboutés, mais dont l'ordre de quitter le
territoire est suspendu auront dorénavant le droit d'obtenir un permis
de travail. Cette mesure nécessite une modification de l'Arrêté Royal du
6 février 2003 et dépend de l'action du Ministre de l'Emploi, Monsieur
Frank Vandenbroucke.
Suivre la voie tracée
Les Afghans auront-ils obtenu réparation ? C'est à eux d'en décider.
Mais nous pouvons continuer à leur rendre justice en perpétuant
l'exigence démocratique dont ils ont fait preuve avec tant d'élégance.
Il est certain que des liens indéfectibles lient à présent la communauté
afghane à l'assemblée des voisins d'Ixelles et nous resterons vigilants
le temps nécessaire afin de s'assurer que plus jamais, un seul d'entre
eux, ne sera en proie à l'arbitraire ou à la malveillance.
Mais au-delà de la situation spécifique des Afghans ? Comment considérer
ce qui a été obtenu ? Tout d'abord, il est important de constater que
bon nombre des solutions qui furent trouvées, l'auront été en dehors du
Ministère de l'Intérieur. Il est peut-être temps de prendre conscience
que la question de l'immigration n'est pas un problème de police,
qu'elle relève d'un contexte international dont nous sommes redevables,
que les migrants posent leur présence en terme de droits politiques,
sociaux et économiques. L'unique traitement des migrants par des lois de
police montre à quel point notre état d'esprit reste toujours fermé à
l'idée d'une immigration de population malgré la réalité de notre
société.
Enfin l'amorce de dévoilement des pratiques de l'Office des Etrangers
doit être poursuivi de toute urgence. Pour quelques centaines de
dossiers qui auront à présent la certitude d'un traitement objectif, il
en reste des dizaines de milliers pour lesquels la discrétion reste de
mise. Il faut savoir que cette petite procédure discrétionnaire de
régularisation recouvre aujourd'hui un contentieux plus important que
l'ensemble de la procédure d'asile. Ce qui était inacceptable pour les
Afghans l'est tout autant pour tous les sans-papiers vivant dans l'ombre
depuis des années dans l'attente incertaine du sésame. La situation
exceptionnelle à laquelle la campagne de régularisation de 1999 avait
voulu répondre, n'a malheureusement pas disparu. Pourquoi devient-on
clandestin, comment vit-on clandestin ? Des dizaines de milliers de
personnes continuent à vivre ces impasses. Elles aussi sont en droit de
demander des comptes.
Conseils Pratiques
1. Pour tous les réfugiés accompagnés d'enfants scolarisés qui sont
depuis 3 ans en procédure d'asile, il faut introduire une demande sur
base de l'article 9.3. La régularisation sera quasi automatique, sauf
problème d'ordre public.
2. Pour tous les réfugiés qui ne sont pas accompagnés d'enfants qui sont
depuis le 1er janvier 2000 en Belgique ou qui sont depuis 4 ans dans la
procédure, idem.
3. La suspension de l'ordre de quitter le territoire laisse courir les
délais permettant la régularisation. Les ordres de quitter le territoire
étant suspendus jusque mars 2004 pour les Afghans non-accompagnés
d'enfants et juin 2004 pour les Afghans accompagnés d'enfants, cette
période peut être additionnée à la durée effective de la procédure.
4. Pour les Afghans, la recevabilité des demandes de 9.3 se présume de
la suspension de l'ordre de quitter le territoire. La difficulté de
faire la demande au pays est évidente. Pour les autres candidats qui
pourraient revendiquer la régularisation sur base de la durée de la
procédure d'asile, il importe également d'assurer l'argumentaire de la
recevabilité comme pour tout 9.3.
5. La demande doit être introduite par le biais d'un avocat ou d'une
association auprès du Bourgmestre de la commune du domicile.
6. Si la commune n'est pas au courant des critères, il ne faut pas s'en
inquiéter : son seul rôle est d'envoyer un agent de quartier pour
vérifier le domicile, ensuite elle envoie la demande de régularisation à
l'Office des Etrangers qui la traite.
7. Pour ceux qui n'ont pas encore 3 ou 4 ans, il vaut mieux attendre.
8. Dès qu'un réfugié atteint les 3 ou 4 ans, il introduit sa demande.
9. Pour les Afghans qui n'atteindront pas les 3 ou 4 ans, nous suggérons
d'attendre d'abord la réévaluation du Ministre (au début de l'année
2004). Si la suspension des OQT est prolongée, on continue d'attendre.
Dans le cas contraire, il faudra introduire une demande sur base de
l'intégration, d'un contrat de travail, etc. Dans tous les cas de
figure, il faut introduire la demande de régularisation avant que
l'ordre de quitter le territoire ne redevienne effectif.
10. En ce qui concerne l'autorisation de travailler, nous prennons
contact dès aujourd'hui avec le Ministre de l'emploi pour que le permis
C soit accessible le plus rapidement possible. Il faut attendre qu'il
prenne les dispositions nécessaires.
11. Nous allons maintenir un contact permanent avec le Médiateur fédéral
afin d'être en mesure de lui transmettre tous les problèmes qui
pourraient se poser. Une liste lui a déjà été faxée, mais il faut
continuer à dresser l'inventaire des problèmes spécifiques qui se
posent. Il est très important que tout problème puisse être communiqué
au groupe juridique pour assurer le suivi le plus efficace.
12. Si, après introduction des dossiers, les réponses au demandes de
régularisation ne parviennent pas dans un délai raisonnable, nous
devrons alors saisir à nouveau le Médiateur. Lors du dépôt du dossier à
la commune, celle-ci a dix jours pour effectuer le contrôle de l'adresse
de résidence avant de transmettre le dossier à l'Office. Dès sa
réception, l'Office a trois mois pour rendre sa décision.
Bonne chance à tous