Cancun : dernier round pour l'acces aux medicaments by Act Up-Paris Monday August 25, 2003 at 12:43 AM |
Les monopoles conférés aux compagnies pharmaceutiques par les brevets sont responsables du prix élevé des médicaments qui en interdit l'accès à la majorité des malades des pays pauvres.
Suite à une forte mobilisation internationale, les 144 États membres de l'OMC ont signé en novembre 2001 un accord - la déclaration ministérielle sur l'ADPIC1 et la santé publique (appelée aussi déclaration de Doha) - reconnaissant le droit des pays a passer outre les brevets afin de promouvoir la santé publique et l'accès aux médicaments pour tous.
La déclaration de Doha a pourtant laissé une question majeure en suspens : comment les pays pauvres qui ne produisent pas eux-mêmes de médicaments s'approvisionneront-ils en génériques ? L'OMC permet, par le recours aux licences obligatoires, la production locale de copies, cependant jusqu'à présent elle entrave l'exportation vers d'autres pays. Or la plupart des pays pauvres n'ont pas la capacité de fabriquer les médicaments essentiels dont ils ont ou auront besoin. Parallèlement, des pays, techniquement en mesure de produire, ne disposent que de débouchés restreints sur leurs marchés intérieurs, ce qui, en l'absence d'une possibilité d'exportation, interdit la production locale.
A Doha, l'OMC a mandaté les états membres pour résoudre le problème avant la fin 2002. Au terme d'une année de négociations, et à force de pressions bilatérales, les pays riches étaient quasiment parvenus à imposer un texte, dit « de Motta »2, rédigé sur le modèle de la proposition de l'Union européenne. Or, cette « solution » imposerait aux pays des procédures administratives d'une telle lourdeur et d'une telle complexité qu'elle en sera d'emblée inutilisable. En outre, la tendance des pays riches est, depuis le début des négociations, de chercher par tous les moyens de restreindre le champ d'application de cette solution : en refusant l'accès au dispositif à certains pays jugés « insuffisamment pauvres », en limitant son recours à certains pathologies, ou aux médicaments seuls à l'exclusion d'autres produits du secteur pharmaceutique (vaccins, tests, etc.).
En décembre 2002, les États-Unis ont empêché un consensus sur le texte de Motta en exigeant formellement qu'il ne s'applique qu'à certaines maladies. Depuis, plusieurs tentatives ont été conduites par l'Union européenne, le Japon et l'ambassadeur Motta pour arracher l'assentiment des pays pauvres. Toutes ont échoué, ceux-ci refusant le principe d'une liste arbitraire. Actuellement c'est sur la question des pays bénéficiaires de l'accord que les pays du Nord accentuent la pression, espérant obtenir un accord afin d'évacuer la question du médicament de l'agenda international avant la réunion ministérielle de Cancun en septembre 2003. Tandis que se multiplient les accords commerciaux bilatéraux ou régionaux pour contraindre les pays pauvres à élever le niveau de protection de la propriété internationale au delà même des exigences des standards internationaux, ces derniers subissent une incroyable pression pour ratifier à l'OMC un texte parfaitement impropre à répondre à leurs besoins. Ainsi, le risque est grand de voir la déclaration de Doha vidée de son contenu et incapable de limiter les effets pervers de la globalisation sur la santé publique.
C'est pourquoi les pays en développement doivent impérativement demander la révision du « texte de Motta »3 et refuser tout compromis. Si le conflit sur les médicaments se concluait par une victoire de l'industrie pharmaceutique pour maintenir ses monopoles et empêcher l'accès aux génériques, cela prouverait une fois de plus, et de façon tragique, l'inadéquation des accords internationaux aux besoins d'une majorité de pays et du cadre de l'OMC comme espace de négociations équitables. Dans ce contexte, la remise en question du principe même de propriété intellectuelle sur les produits de santé constituera la seule alternative pour tenter d'assurer la survie de millions de malades.
1 Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle et le Commerce. 2 Ce texte est appelé ainsi parce que c'est l'ambassadeur du Mexique Eduardo Perez Motta, président du conseil des ADPIC au moment des négociations, qui l'a proposé le 16 décembre 2002.