Lettre au Ministre Dewael by voisine Wednesday August 13, 2003 at 05:44 PM |
Réaction à la lettre du Ministre Dewael
Monsieur le Ministre,
Je lis la lettre que vous avez envoyée aux voisins des Afghans d’Ixelles et je me demande pourquoi vous ne dites pas directement aux principaux intéressés ce que vous écrivez à leurs voisins. Prenez un peu de temps. Il y a le bus 60 qui va de votre cabinet rue Royale à la place Flagey. Descendez aux étangs et entrez dans l’église, c’est facile à trouver : il y a une grande banderole et des voisins attentifs sur le porche. Vous verrez, il y a des gens couchés par terre. Demandez-leur de se relever un peu pour que vous puissiez bien les regarder dans les yeux et prononcez la phrase : « Je maintiens qu'il est inacceptable de mener une grève de la faim dans un Etat de droit et un pays démocratique. Qu'on le veuille ou non, il s'agit là d'un moyen de chantage. ». Ce sont vos propres termes dans la lettre aux voisins. Poursuivez en indiquant à votre interlocuteur quelle voie démocratique il lui reste pour obtenir la garantie d’une sécurité pour sa vie et celle de sa famille.
Vous n’avez pas l’air de comprendre, Monsieur le Ministre, que ces Afghans et ces Afghanes ne veulent pas des promesses et des protections temporaires qui dépendent du bon vouloir d’un ministre ni même d’un Conseil de ministres européens. Ils et elles se méfient et l’Histoire leur donne raison. Ils et elles veulent l’assurance maintenant, et non dans six mois ou un an, qu’ils et elles seront en sécurité en Belgique aussi longtemps qu’eux-mêmes ou qu’elles-mêmes jugeront qu’ils ou elles ne peuvent rentrer en Afghanistan. Qui peut être meilleur juge ? C’est agir en « bon père de famille », comme on dit chez les juristes, alors arrêtez d’utiliser le mot chantage : il est inconvenant devant la détresse humaine.
Mais peut-être que pour en prendre conscience, faut-il que vous la rencontriez cette détresse humaine et surtout que vous vous demandiez dans quelle impasse mortelle les lois belges et européennes en matière d’immigration ont mené les migrants et les réfugiés.
Dans un système démocratique, les citoyens sont égaux devant la loi et disposent en principe de moyens légaux pour exprimer leurs idées (élections), faire respecter leurs droits (tribunaux). En plaçant des êtres humains en dehors du système démocratique par le biais de lois d’exception (loi du 15 décembre 1980, permis de travail, procédures d’expulsions forcées inhumaines et dégradantes) de lieux de détention (y compris l’enfermement d’enfants) et de procédures d’exception (Office des étrangers, CGRA, Commission permanente de recours, procédure spéciale pour les étrangers devant le Conseil d’Etat), le système démocratique force ceux qu’il pousse dans les « zones de non droit » à utiliser des moyens qui ne sont pas prévus dans les codes de procédure et qui bien souvent les obligent, uniquement pour survivre, à choisir des moyens qui mettent leur vie en danger : se cacher au fond d’une cale de bateau ou d’avion, dans une remorque chauffée à blanc, faire la grève de la faim.
Souvenons-nous que si nous vivons dans un système démocratique d’autres avant nous, ont dû choisir des moyens qui ne se trouvaient pas dans les codes de procédure pour nous y amener. La grève, celle des travailleurs, a attendu longtemps avant de devenir un droit démocratique car là aussi, il s’est trouvé des gens pour accuser les ouvriers de chantage. La grève de la faim, c’est exact, n’est pas protégée par les conventions internationales. Pourtant, en faisant la grève de la faim, les réfugiés ne font rien d’illégal. On peut s’évader d’une vie insupportable comme on peut s’évader sans violence d’une prison, ce n’est pas un délit. Les grévistes de la faim ne font du tort à personne et, à eux-même, le tort a déjà été fait par ceux qui les ont opprimés et humiliés.
Cette grève de l’alimentation dans les conditions pénibles de la chaleur ambiante est une souffrance difficilement supportable Et, c’est cette souffrance que vous leur reprochez de montrer en les rendant responsable de leurs propres choix et de ses conséquences et en ne prenant aucun décision qui leur garantit une vie décente. Vous leur reprochez ce choix parce qu’en décidant de souffrir ici, sous nos yeux, plutôt que là-bas, ils bafouent les règles de l’hypocrisie généralisée. Ils ne devraient laisser voir de leur misérable vie que les images lointaines sélectionnées par la presse pour faire vibrer l’opinion (si peu) publique des pays démocratiques. Images de femmes afghanes sous la bourka pour applaudir les bombardiers, images d’enfants réfugiés en larmes pour envoyer les soldats de l’aide humanitaire, images de routes et de ruines pour stimuler l’économie de la reconstruction. Mais surtout cacher l’image de ces maîtres-chanteurs venus mourir lentement dans nos belles villes alors qu’il serait si simple pour eux de mourir vite et sans publicité en Afghanistan sans heurter la conscience des gouvernements qui, de leurs lieux de décisions transformés en camps retranchés dans une Europe aux frontières closes, pourront prendre les décisions qui tuent sans en avoir ni la honte ni la vue.
Recevez, Monsieur le Ministre, l’expression de mes seuls sentiments de tristesse et de colère.
Une voisine des voisins