arch/ive/ief (2000 - 2005)

Une politique migratoire respectueuse des droits humains: une urgence!
by FEF, CRECF Saturday August 09, 2003 at 12:43 PM

Si le qualificatif «de droit» pour un Etat s'évalue au regard du traitement réservé aux plus fragilisés d'entre nous, aujourd'hui, l'Etat belge ne mérite pas cette épithète. La Fédération des Etudiants francophones, Le Collectif de résistance aux expulsions et aux centres fermés (Bruxelles)

Cet été 2003 ne diffère pas des étés précédents. Toute la Belgique est en vacances... Toute? Non, alors qu'avocats, assistants sociaux et médecins du peuple font pour la plupart relâche, une administration résiste aux sirènes estivales et dans l'ombre, continue inexorablement son travail... Il s'agit de l'Office des étrangers dont les décisions se sont traduites, ces derniers mois, par des situations humaines dramatiques. Il en est ainsi de celle de ces Sud-Américains pris dans des rafles policières à Saint-Gilles comme de celle de ces centaines d'Afghans déboutés de leur demande d'asile qui ont entamé une action radicale de grève de la faim à Ixelles. Ces deux drames illustrent à suffisance les carences et dysfonctionnements choquants de la politique migratoire d'un Etat dit de droit.

Le 24 juin dernier, des dizaines de Sud-Américains, en situation régulière ou irrégulière, sont tirés de leur sommeil et sommés d'accompagner les policiers sans prendre le temps de rassembler leurs affaires. Certains sont relâchés parce qu'ils avaient introduit une demande de régularisation sur base de l'article 9.3 de la loi du 15 décembre 1980; d'autres sont expulsés - enfants et personnes âgées y compris - manu militari et sur-le-champ. D'autres, enfin, sont toujours détenus en centres fermés dans l'attente d'une expulsion imminente. Il est établi que ces personnes n'ont, à aucun moment, été averties de leur droit de communiquer avec une tierce personne, et singulièrement avec leur avocat. Cette action policière de grande envergure semble justifiée par une instruction ouverte à charge de ce que l'on appelle les marchands de sommeil. Evidemment, nous ne pouvons qu'applaudir à une politique criminelle de poursuite de personnes qui exploitent la précarité d'immigrés. Mais nous ne pouvons admettre que cela se fasse aux dépens des droits élémentaires de leurs victimes, qui doivent, elles, être protégées.Sans plus de précisions, la déclaration gouvernementale prévoit une modification de la législation applicable au trafic et à la traite des êtres humains. Nous espérons que cette réforme visera à ce qu'un titre de séjour puisse être délivré automatiquement aux personnes victimes d'une exploitation sexuelle et/ou économique. La validité de ce titre doit au moins courir jusqu'au jugement des exploitants. C'est la seule solution politique envisageable qui mettrait fin à la double pénalisation institutionnelle des sans-papiers: sans droits, ils sont à la merci de personnes peu scrupuleuses; ces dernières une fois arrêtées ou dénoncées, ils sont alors à la disposition de l'Office des étrangers qui peut ordonner leur détention en centres fermés et leur expulsion.La situation des Afghans, elle, fait tristement penser à celle vécue, il y a un an quasi jour pour jour, par des ressortissants tchétchènes. Dans les deux cas s'exprime un refus légitime d'accepter une décision du Commissariat général aux réfugiés et apatrides. Refus légitime car en effet, la procédure suivie devant cette instance est tellement problématique qu'elle ne peut susciter que le rejet. Ainsi, aucun texte ne fixe cette procédure; par conséquent, des droits élémentaires voient leur effectivité conditionnée par le bon vouloir des fonctionnaires du Commissariat. En l'espèce, il est par exemple inadmissible que des demandes d'asile introduites en 1999 ou en 2000 ne soient traitées que des années plus tard.

Cette technique qui consiste à geler les demandes d'asile jusqu'à ce qu'un changement de régime intervienne dans le pays d'origine n'est pas neuve. Elle aboutit en pratique à ce que des personnes qui pouvaient revendiquer le statut de réfugié bénéficient tout au plus en Belgique d'un statut précaire, avant d'être finalement contraintes de quitter le territoire. Ayant ainsi tardé, le CGRA laisse planer le spectre d'un traitement collectif de ces demandes et a, quoi qu'il en soit, maintenu les demandeurs d'asile dans une situation d'insécurité juridique extrême, et ce, pendant plusieurs années.

Plus fondamentalement, il apparaît clairement, à la lecture de rapports indépendants, que tout rapatriement vers l'Afghanistan est actuellement impossible. Les pays limitrophes de l'Afghanistan refusent d'ailleurs d'organiser ces rapatriements, craignant pour la sécurité des réfugiés qui seraient ainsi renvoyés. Alors, comment justifier que la Belgique fasse ce que d'autres pays, plus pauvres et dont le nombre de réfugiés est sans commune mesure avec celui, limité quoi qu'on en dise, que connaît notre pays, se refusent à mettre en oeuvre?

A cette difficulté, la réponse gouvernementale, à savoir la suspension de l'exécution d'ordres de quitter le territoire, est inadéquate et intolérable. Il appartient au gouvernement de tirer les conséquences qui s'imposent suite à la situation actuelle en Afghanistan. Si les candidats réfugiés afghans sont actuellement inexpulsables, il convient de leur accorder un véritable statut en raison de cet état de fait. Une solution collective existe; la Belgique l'a mise en oeuvre lors des conflits rwandais et yougoslaves. Un titre de séjour provisoire pourrait être octroyé collectivement à toute personne dont le rapatriement est impossible. Au vu de la situation en Afghanistan, une validité de ce titre de 18 mois est un minimum. Un tel titre assurerait aux personnes qui en bénéficient l'accès à tous les mécanismes de solidarité collective (aide médicale, sociale, accès à l'emploi et à l'éducation...), seuls garants d'une vie un tant soit peu digne.

Mais au-delà de solutions ponctuelles, ce sont des réformes structurelles que nous appelons de tous nos voeux. Parmi elles, la mise sur pied d'un mécanisme permanent de régularisation est cruciale. Serait concerné au premier chef par ce mécanisme tout demandeur d'asile n'ayant pas reçu de réponse à sa demande endéans les deux ans; ainsi, les Afghans qui ont introduit leur demande au plus tard en 2001 pourraient recevoir un titre de séjour définitif. Car une procédure d'asile inéquitable, l'absence d'un statut protecteur des victimes de l'exploitation et d'un statut complémentaire collectif - mais également bien d'autres pratiques telles que la double peine ou la détention et libération aléatoires en centres fermés - poussent et pousseront inexorablement des personnes à refuser les règles du «jeu» proposé par la Belgique et à y «préférer» des conditions de vie précaires dans la clandestinité.

C'est ainsi que notre politique migratoire, par ses aberrations, ses lacunes et ses dysfonctionnements, génère et alimente en permanence des poches de clandestinité que, bien entendu, l'opération «one shot» menée en 2000 n'a en rien résorbées. Or, si le qualificatif d'Etat de droit s'évalue au regard du traitement réservé aux plus fragilisés d'entre nous, on peut se demander si l'Etat belge mérite aujourd'hui cette épithète.

Deux manifestations sont prévues ces prochains jours: Rassemblement en soutien de la Communauté afghane, ce samedi 9 août 15h, place Fernand Cocq à 1050 Bruxelles; Manifestation de solidarité avec les Equatoriens et tous les sans-papiers, ce jeudi 14 août 17h, départ: Place Poelaert 1000 Bruxelles.