Postier de Bruxelles: "Malgré tout cela, j'adore mon métier." by Rene [connue par edito team] Thursday July 31, 2003 at 06:17 PM |
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En tant que facteur depuis 32 ans, je voudrais réagir aux différents avis que je viens de lire.
Bonjour.
En tant que facteur depuis 32 ans, je voudrais réagir aux différents avis que je viens de lire.
Moi qui suis sur le terrain depuis tant d'années que s'il est vrai que nous avons pu assister ces dernières années à une explosion de nouvelles techniques de communication, il faut prendre cela avec des réserves. Je suis moi-même, de par la profession de mon épouse qui est comptable indépendante, tout le temps dans l'informatique et l'internet. Je sais donc de quoi je parle. En effet, beaucoup de choses se passent maintenant par le net, et bientôt les déclarations d'impôts ne passeront plus par la poste... Mais on a vu aussi quantité de start-ups arriver sur le marché du net pour disparaître peu de temps après. Les gens se sont vite rendus compte que commander par le net n'est pas la panacée.
Bref, que constatons nous : il y a plus ou moins six ans, une baisse du volume des lettres (seulement des lettres ) d'environ 20 %. Mais ce pourcentage n'a pas bougé depuis !
Pourquoi : parceque la grande majorité des gens soit ne comprennent rien à l'informatique, soit n'en veulent tout simplement pas, ou encore ne peuvent pas se payer un PC.
Eh oui, la meilleure façon à l'heure actuelle de communiquer est encore soit le téléphone, soit la poste, qui sont en quelque sorte complémentaires.
Mr Germain, vous qui parlez de l'époque du SMS, que diriez vous si je vous demandais de m'envoyer un document de 6.000 caractères par SMS ? Je pense que vous attraperiez un fameux durillon au bout de l'index... Tandis qu'avec l'e-mail que vous évoquez, vous toucherez au plus 20 % de vos connaissances... s'ils ne sont pas en train de formater leur dique dur à cause d'un virus. On nous a aussi bourré le crâne avec les webcams et la videoconférence. C'est bien, mais installer cette caméra, lancer netmeeting, le configurer, entrer l'adresse IP d'une personne ou son e-mail : tout cela est bien trop technique pour toucher le plus grand nombre. Ne vous méprenez pas sur mes intentions, je ne vous prends pas à partie, je réponds juste en vrac à ce que j'ai lu.
D'autre part, si le volume des lettres à un peu baissé, celui des imprimés et pub a considérablement augmenté. Si quelqu'un se demande à quoi peut encore servir la poste et trouve que les facteurs ont fini trop tôt, je l'invite à me rejoindre vers le mois d'octobre-novembre au bureau de Bruxelles7. Après quelques jours, cette personne aura RADICALEMENT changé d'avis. Pourquoi , pensez vous, sur 10 jeunes que l'on engage, n'en reste-t'il que 2 ou 3 au bout d'un mois ou deux ? Parceque le travail de facteur est tellement facile ? Pourtant, si on veut en croire certaines rumeurs, il suffirait à ces jeunes de venir nonchalament travailloter 4 ou 5 heures pour aller vite ensuite s'adonner à un travail plus sérieux en dehors... Non, sérieusement, le travail de facteur est un dur métier. Il faut se lever très tôt : à Bruxelles on commence à 6 h 30', mais à la campagne, c'est 5 heures ! Mais même chez nous, il vaut mieux commencer 1/2 voire une heure plus tôt, car la plupart du temps la nuit n'a pas fait son travail par manque de personnel. N'oubliez pas que cela se passe dans le stress, car pour 7h30' vos sacs de surcharges doivent être prêts pour la camionnette, car celle-ci n'attendra pas. Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, c'est le facteur qui doit lui même préparer sa tournée : classer les formats A4 et les lettres selon son itinéraire, retirer les envois dévoyés et les changements d'adresse, traiter les rebuts, préparer les pensions... Sans oublier d'aller d'aller aux abonnements vider les casiers de journaux , qu'il faut inscrire et intercaler dans les A4, trier les colis etc... Attention, chaque erreur se paie cash : si on est à hauteur du 18 et on trouve une lettre du N° 2, il faut retourner !
Donc, ce n'est pas simplement arriver à la poste, remplir son sac et repartir.
Ensuite, la tournée ne se fait pas toujours sous un soleil radieux. Souvent il pleut toute le journée ou il gèle et il faut s'accroupir pour mettre du courrier dans une boîte qui se trouve à 20 cm du sol, arriver dans le noir à lire le nom sur la boîte s'il y en a un, tout cela avec ce sac sur le ventre dont les sangles vous scient les épaules. Cerise sur le gâteau, vous avez un à deux toutes boîtes que vous mettez en passant (c'est facile disent-ils, le facteur passe quand même partout) en utilisant votre troisième main...
N'oubliez pas non plus qu'un facteur est une sorte de machine qui n'a pas besoin de manger le midi. Cela à été supprimé depuis bien longtemps. Vous partez avec votre tournée vers 10 ou 11h. et vous revenez vers 13 ou 14 h voire plus tard, sans heure de table : bonjour l'équilibre. Dans ces conditions, que certains commencent plus tôt et donnent le maximum le matin pour pouvoir courir à la gare vers midi ou une heure et pouvoir rentrer dîner à une heure décente est tout-à-fait compréhensible, non ?
Croyez-en ma longue expérience : en été, quand on vous voit passer, on vous dit : vous, vous avez quand même la belle vie ! Et tout le monde voudrait être à votre place.Mais le reste de l'année, on n'entend plus rien, on ne voit plus ces gens, trop occupés qu'ils sont à se mettre à l'abri des intempéries. Mais le pire dans ce métier, c'est le fait que le moindre geste d'un facteur est vu et su de tous. Il y a des millions de gens (de moins en moins, mais il en reste) qui travaillent en Belgique. Beaucoup de ceux-ci peuvent se ménager un ou des instants de repos et aller au restaurant ou à la cantine se sustenter. Un facteur pas. Où aller, quand vous êtes au milieu de votre tournée, à la campagne, par ex. ? Au café ? : erreur stratégique : les commentaires ne tarderont pas à fuser, du genre : le facteur est encore une fois au café, Monsieur doit d'abord manger son sandwich avant de venir payer ma pension (vécu).
Malgré tout cela, j'adore mon métier, car j'apprécie par dessus tout le contact avec les gens, quand on sait écouter les autres, on apprend plein de choses qui peuvent vous aider dans la vie. Et vous pouvez souvent aussi aider les gens.
Pour vous citer un exemple, j'ai un jour été payer un petit chèque de la CPAS à une personne seule, mi décembre,il y a longtemps. Je me suis rendu compte que cette personne âgée allait passer son Noel seule, n'ayant plus de famille, dans son sordide deux pièces, et qu'elle n'avait même pas la télé ! Nous avons mis une annonce à la paroisse, et bien vite une personne m'a téléphoné pour me dire qu'elle avait une télé noir et blanc pour moi. J'avais pour ma part une très bonne antenne intérieure qui captait tres bien les deux postes belges et un chaîne française. Je suis allé lui installer tout cela. Vous auriez dû voir sa joie ! Mais elle n'était rien à côté de la mienne. Est-ce cela que l'on veut supprimer ? Pensez vous, Mr Germain que cela justifie mon existence dans la société et que je puisse être fier de cela ? ou bien les "autres solutions" que vous ne proposez d'ailleurs pas seront-elles bientôt mises en place et rendront-elles inutiles les sourires et les mains secourables que dispensent les facteurs chaque fois qu'ils en ont l'occasion, eux qui passent TOUS LES JOURS au domicile de chaque personne ?
Dans un autre registre, un jour j'ai donné à un enfant de six ans le cadeau d'anniversaire que sa maman avait commandé par la poste. La manière dont le visage de cet enfant s'est illuminé et les "merci facteur" qu'ils m'a lancés sont comme un antidote qui m'aide à subir la mauvaise humeur et l'égoisme de certaines personnes, à qui il faut néanmoins répondre en gardant le sourire. Vraiment, si on veut supprimer cet aspect social du métier de facteur, ce serait vraiment dommage et je préfère travailler les dernières années que j'ai encore à faire dans une usine à la chaîne. Au moins, là je serai à l'abri des intempéries et je pourrai manger à des heures fixes.
Merci à Mr Michel. En effet, si les services publics commencent à produire des bénéfices, pourquoi paie t'on encore autant d'impôts ? Et je vous rejoins aussi quand vous dites qu'il est grand temps d'essayer de stopper cette dangereuse mondialisation. Merci aussi pour votre pertinente vision de ce monde de fous dans lequel nous vivons.
D'autre part je ne vois pas, à part la grève, de quelle façon un ouvrier peut manifester son désaccord et pousser les puissants patrons à venir s'asseoir à la table des négociations. Je pense que travailler comme une brute pour enrichir le patron un peu plus en portant un brassard " je suis en grève " n'est vraiment pas le bon plan.
Pour finir mon roman, je voudrais parler de ce fameux géoroute. Qu'est ce que ce machin là ? J'ai entendu et lu toutes sortes de descriptions : à la RTBF : c'est un logiciel qui est censé " optimiser " la tournée des facteurs ... RTL : un logiciel qui va rentabiliser les tournées ... et j'en passe et des meilleures. De qui se moque-t'on ? Je pense qu'il y a une volonté délibérée de laisser un flou artistique autour de ce programme. Une personne un peu censée pourrait se dire que les facteurs ont tort de refuser de s'appuyer sur les toutes dernières technologies afin d'améliorer leur rendement. On pourrait penser que ce logiciel va, tout seul comme un grand, calculer des tournées tellement bien que le facteur va travailler deux fois plus vite. Eh bien, non. Il s'agit d'un programme qui est manipulé par un être humain. Un prog. dans lequel on a introduit une base de données. Données qui sont les suivantes : des gens sont allés dans les rues de toute la Belgique et ont répertorié les rues par sections (de coin à coin) afin de les quantifier. Ex : une rue qui monte et dont les maisons sont espacées vaut autant, une autre rue où il faut chaque fois monter des escaliers vaut autant, etc ... En notant aussi le nombre de boîtes de chaque rue, bien sûr. C'est succint, mais en gros c'est cela.
Ensuite un employé va à l'écran à l'aide de sa souris constituer des tournées en collant les sections les unes aux autres. Il travaillera selon les normes qu'on lui aura données : faire des tournées de 1000 ou 1200 boîtes, ou d'à peu près autant de points. Et voilà : le monstre est démystifié. Non, on a pas inventé le super programme magique qui va calculer des tournées idéales et qui va résoudre tous les problèmes ! En fait, c'est de la poudre aux yeux, ni plus ni moins.
Je sais que j'ai été un peu long, mais en fait je n'ai rien dit ... Il y a tant d'autres choses à dire, mais je vous ai bassiné assez longtemps et contrairement à ce que dit mon fils, je n'essaie pas de concurrencer le grand Zola.
A plus, René...