Communiqué d'un-e black & pink block by via IMC suisse Wednesday July 30, 2003 at 01:43 PM |
Ce communiqué a été réalisé par un-e participante au pink bloc et un-e participant-e au black bloc, blocs formés le dimanche 1ier juin 2003 à Lausanne, dans le but de perturber le sommet du G8 et ses complices.
Attention ! Ce communiqué n'a valeur que de témoignage individuel et subjectif et ne devrait en aucun cas être pris comme une parole collective ou un communiqué du pink and silver bloc ou du black bloc. Il s'emploie notamment à dénoncer un certain nombre de mensonges hystériques des médias et des leaders de la gauche réformiste, ainsi qu'à expliquer les actions menées à Lausanne en les contextualisant et en redonnant les objectifs politiques. Il ne devrait être pris comme une relation exacte et objectif des faits, mais s'efforce dans la mesure du possible de recouper et vérifier différents témoignages individuels.
Le contexte :
Lausanne était avec Genève et Anemasse un des trois points clefs de blocage et de perturbation du G8: une partie des délégations de divers pays et personnels techniques y étaient logés. D'autre part, le parcours entre Genève et Evian par Annemasse devait être massivement bloqué par les manifs et il avait donc été décidé d'acheminer un grand nombre des délégués de Genève à Lausanne par la route jusqu'au port d'embarquement d'Ouchy, pointe sud de Lausanne, depuis lequel ils seraient ensuite acheminés en bateau jusqu'à Evian en traversant le lac Leman. Pour ce faire, l'autoroute entre Genève et Lausanne devait être fermée et n'être utilisée que pour des convois spéciaux et escortés de policiers. La zone sud d'Annemasse bordant Ouchy avait été déclarée zone rouge, barricadée et protégée. Les délégations pouvaient arriver de Genève, et de Lausanne à Ouchy par seulement quelques voies d'accès, en passant soit par l'ouest, soit par le centre, soit par l'est de la ville.
Suite aux initiatives des militant-e-s anti-G8 lausannaisEs, deux camps avait été mis en place. L'un, la bourdonette, installé par les autorités, l'autre, le "oulala c'village", un projet anticapitaliste et antipatriarcal squatté et autogéré sur les plages du lac, avec des structures médicales, indymedia, un espace queer et de la musique.
Des actions et manifestations avaient déjà eu lieu tout au long de la semaine précédant l'ouverture du sommet du G8 ainsi que des ateliers de simulation de manifestation, orientés autour des tactiques de blocages non-violents.
Contrairement aux manifestations organisées par la gauche institutionelle à Lausanne et réduites à une contestation purement informative et symbolique du G8, les manifestations illégales de bloquage prévues pour le matin s'étaient données en commun des objectifs concrets de perturbation maximale du G8:
- bloquer ou retarder par des tactiques diverses l'arrivée des délégation et personnels techniques à Evian,
- obliger les délégué-es du G8 à faire face directement à la contestation,
- continuer le travail de sensibilisation et de dialogue avec la population.
Avec pour une partie des manifestant-e-s, un objectif secondaire :
- se réapproprier, détourner ou saboter des enseignes, bureaux, symboles, bâtiments, hotels, commerces liés à l'organisation du G8 ou représentants les intérêts des Etats, banques et multinationales qui se cachent derrière le G8 et dévastent le monde et la vie de celles et ceux qui l'habitent. Ceci dans le but de créer un pression politique et économique directe et de déconstruire collectivement les structures de domination et de contrôle.
A Lausanne, il avait été décidé pour ce faire d'utiliser une diversité de tactiques de blocages et d'action et d'avoir différents blocs répartis sur les différentes artères clés de la ville. Ces tactiques devaient être complémentaires, se coordonner au mieux et déjouer la répression en agissant en plusieurs points en même temps.
Il y avait notamment:
- un pink and silver bloc (bloc rose et argent): cette tactique est née lors sommet du FMI et de la Banque Mondiale à Prague, où elle avait connu un grand succès et permis à une partie des manifestant-e-s d'arriver jusqu'au centre de congrès. Elle a été réutilisée dans un grand nombre de manifestations et actions directes depuis, et se base sur une résistance festive, rythmée et colorée. Elle vise à promouvoir le queer (dépassement
des genres sociaux masculin et féminins et de l'oppression patriarcale) et le travestissement. Elle recherche et intègre une diversité de modes d'action au sein même du cortège, mais essaie souvent de détourner et de saboter avec humour et élégance les armes du système et ces modes d'oppression. Elle cherche à dépasser les fausses limites entre violence et non-violence. Elle se veut offensive, mais dans des rapports de force souvent inégalitaires, ne court pas systématiquement la confrontation directe et la montée en pression. Elle viserait plutôt à neutraliser les forces policières par des stratégies d'évitement et de mouvements constants. Le pink bloc se retrouve dans le slogan "si je ne peux pas danser, ce n'est pas ma révolution" et crée souvent à son passage une atmosphère conviviale et énergique aussi bien pour les manifestant-e-s que pour les passant-e-s. Le pink bloc n'a pas de leader ni de représentant-e-s mais se base sur un ensemble de groupes affinitaires: samba, créateur-euses de barricades, danseur-euses, détourneur-euses de mobilier urbain, équipe légale, médicale, équipe de médias indépendants.
Ces groupes affinitaires étant des petits groupes de personnes qui se connaissent mutuellement, se font confiance et se donnent des objectifs particuliers d'actions et des techniques de protection du groupe face à la police. Ils avaient prévu au sein du cortège de communiquer et de se coordonner par divers moyens: signes, drapeaux, réunions de délégué-e-s des groupes afinitaires dit "spokes council", musique. Ces signes sont conventionnels à chaque manif et leur évolution est constante. Chaque groupe peut décider à n'importe quel moment de s'autonomiser du bloc.
- un black bloc (bloc noir), constitué de personnes masquées et habillées en noir pour empêcher l'identification et la répression policière. Il se base sur des tactiques offensives de blocage, barricades, enfoncement des cordons policiers et création de dommages économiques. Il recherche parfois pour parvenir à ces objectifs ou pour se défendre la confrontation avec la police, mais ne s'attaque en dehors de cela qu'aux biens matériels et pas aux personnes, ni à leur maisons d'ailleurs. Comme le pink bloc, il est constitué de petits groupes affinitaires, autonomes et solidaires, sans "chef" ni "meneurs".
Cette tactique s'est vue pratiquée traditionellement par une partie des groupes autonomes et antifas allemands, et s'est vue redynamisée par des groupes anarchistes lors du contre-sommets de Seattle ou elle a très fortement contribué, en parallèle aux blocages non-violent, à empêcher l'ouverture du sommet. On la retrouve depuis un peu partout en Europe.
- un bloc "critical mass" (masse critique), cortège cycliste, issu des manifestations pro-cyclistes, anti-pétrole et anti-voiture. Il permet de bloquer ou ralentir la circulation, en regroupant un grand nombre de personnes à vélo ou d'autres moyens de locomotion non-polluants et en prenant toute la largeur de la route. Lors des manifestations massives contre le centre financier de londres, le 18 juin 1999, une critical mass avait activement paralysé la circulation.
- différents projets de blocages "non-violents" par petits groupes: escalades, enchaînement à des blocs de béton sur l'autoroute, sit-in, traversée du lac en radeaux auto-construits pour atteindre Evian...
L'organisation de ces actions et leur coordination se passaient notamment par des assemblées permettant à tout-e un-e chacun-e de s'intégrer et de s'impliquer dans la réflexion stratégique large. Au delà de cette structure globale décidée de manière ouverte et collective, nous étions bien-sûr dans un cadre fortement écouté et surveillé par la police, et un certain nombre de groupes affinitaires devaient garder leurs objectifs concrêts secrets afin de se donner une meilleure chance de réussite. A Lausanne semblait présider la volonté de casser les fausses frontières imposées par les médias et partis de gauche entre violence et non-violence, et d'obtenir une grande diversité d'actions dans un respect solidaire des choix de chacun-e. Par ailleurs, il s'agissait clairement de cortèges d'action directe, agissant indépendamment des grandes marches citoyennes.
Récit des évènements:
Le dimanche 1ier juin, jour de l'ouverture du sommet, à 6h30 du matin et donc avant l'arrivée des premières délégations, plusieurs milliers de personnes se sont d'abord rejointes à l'est de la ville, près du camp de la bourdonnette, avec en tête de cortège, le pink bloc, puis le black bloc. Après un début de marche commune, les deux blocs se sont séparés au rond point d'une des arrivées de l'autoroute de Genève sur Lausanne. Le pink bloc (environ 2000 personnes) a alors continué sur la ville au son de la samba en longeant les zone jaunes et rouges, pendant que le blac bloc (environ 500 personnes) bloquait ce rond point en faisant tomber un arbre sur la route à l'aide de tronçonneuses, en démontant des palissades en métal et barrières de sécurité de l'autoroute et en enflammant des barricades.
Le pink bloc s'était donné comme objectif complémentaire de bloquer les artères Est de la ville menant à l'embarcadère d'Ouchy. Le long de la zone rouge, les forces de police étaient encore assez peu nombreuses et semblaient prises au dépourvu et désorientées par cette offensive matinale et décentralisée. Si bien que de manière presque inespérée, il nous fut facile de rejoindre et de bloquer une des principales voies d'accès à Ouchy, ou quelques minutes encore auparavant, passaient des délégations. Le blocage dura un moment et comme à chaque artère le long de notre route, des barricades furent érigées par des manifestant-e-s. Répondant aux tentatives de passage à travers un cordon défendant la zone jaune, la police envoya de premiers jets d'eau. Apprenant que le black bloc était repoussé en direction du pink bloc par la police et souhaitant garder une certai
ne autonomie entre les deux groupes, le cortège se remit en mouvement pour laisser éventuellement ce carrefour aux prochains. Le but était alors d'atteindre la dernière grande artère d'arrivée possible pour les délégations du G8, à l'est de la ville.
A divers moments dans le pink bloc, de rapides réunions de porte-paroles des groupes affinitaires pouvaient être provoquées par n'importe quel groupe et permettaient de prendre des décisions rapides et collectives sur la marche à suivre.
Sur le parcours, des signes amicaux étaient faits aux personnes pendues à leur balcon à cette heure matinale et restées à Lausanne malgré la psychose orchestrée par les médias. Des tracts réalisés et distribués auparavant à Lausanne s'étaient attachés à dénoncer les mythes sur la violence des manifestant-e-s et à expliquer que les éventuelles destructions étaient ciblées sur des structures capitalistes et politiques et ne visaient ni elles et eux, ni leur maisons.
Toujours aussi peu nombreuses, les forces de police, qui se confrontaient plus en arrière avec le black bloc, commencèrent plusieurs fois à former des débuts de cordons pour bloquer le passage du pink bloc, mais reculèrent finalement à chaque fois à l'arrivée du cortège.
Pendant ce temps, la critical mass semblait bloquer avec succès d'autres voies de circulation. D'autre part, bien en amont sur l'autoroute, un groupe d'une trentaine de personnes s'étaient enchaînées tandis qu'un autre bloquait un pont avec deux personnes ayant passé une corde sur le pont et s'étant pendues en rappel de l'un et l'autre coté de la route. Une technique utilisée déjà plusieurs fois avec succès en Angleterre et qui peut exiger quelques heure de la police pour dégager la voie sans tuer les grimpeur-euses.
Finalement, le pink bloc atteignit le croisement avec l'autoroute Est où cette fois un dispositif policier beaucoup plus important entravait le passage avec des canons à eau, camions militaires, fusils à gaz lacrymogènes et à balle en caoutchouc pointés. La samba continua à jouer face à la police. Mais la tension finit par monter et la police à généreusement asperger le cortège de grenades lacrymogènes. Divers chemins de retraite furent alors pris à travers bois et le long d'une rivière par certains groupes. Au final, tout le monde se retrouva pour un nouveau blocage de carrefour un peu plus haut, alors qu'une partie du black bloc était pris en sandwich par deux cordons de policiers qui se rapprochaient et gazaient au fur et à mesure. Il fut alors décidé d'aller leur porter secours. Au final, les deux blocs finirent par se retrouver.
Le black bloc, après avoir barricadé le premier rond point, avait décidé de bouger. Sur son parcours, un magasin Adidas, un concessionaire Alfa-romeo, 2 stations Shell et une station BP furent cassés. Certaines stations-essence contenant de l'alimentation furent pillées, ainsi qu'un Migros (chaîne de supermarchés suisse). A chaque fois, les produits et aliments furent redistribués à la population aux balcons et entre les manifestant-e-s, ou utilisés comme projectiles quand le contexte s'y prêtait. Les vitrines d'une boucherie furent aussi cassées et une inscription "go vegan" ("devenez végétalien") et "meat is murder" ("la viande est un meurtre") peintes.
Une roulotte de chantier fut poussée et retournée en travers de la route pour barrer une voie d'accès. Les panneaux publicitaires et caméras de videosurveillance furent détruits ou utilisés pour faire des barricades. De nombreux slogans politiques furent peints sur les murs.
L'hôtel de luxe "royal savoie" où étaient logées des délégations fut attaqué avec des fusées de détresse et des caillous. Des robocops finirent par arriver sur les lieux et jeter des lacrymos et reçurent quelques pavés en retour. Une voiture diplomatique fut cassée. Plusieurs chantiers furent pillés, du matériel récupéré tout le long du parcours et poussé dans de grands containers, une rue dépavée au pied de biche et les pavés disposés dans les containers et caddies. Une barricade enflammée géante à base de palissades de chantier fut érigée et gardée pendant un bon moment au carrefour d'accès à Ouchy. Il est à noter que tout au long de la manifestation, ce bloc ne chercha pratiquement pas la confrontation directe avec la police, ni même à répondre aux charges et jets de lacrymos, mais resta beaucoup plus dans une logique de mouvement.
Le black bloc finit par être pris en sandwich sur une route, mais parvint à s'échapper par des chemins de traverse et à rejoindre le pink bloc qui tentait de le secourir.
A ce moment-là, des communications avec les blocages de Genève et Annemasse semblèrent confirmer que le sommet et l'arrivée de pluisieurs délégations, dont la délégation américaine et des groupes de traducteur-euses avaient été rétardés. Il était alors environ dix heures trente, nous avions réussi à longer toute la zone d'accès à Ouchy et l'entousiasme général était à son comble.
Il est évidemment difficile de mesurer l'impact réel des blocages dans un contexte chaotique où les autorités s'étaient fait un point d'honneur à ne pas avouer une certaine impuissance et à ne laisser filtrer aucune perturbation. Néanmoins, il semble très vraisemblable qu'à Lausanne, l'impossibilité de sécuriser la zone d'accès à Ouchy, les différents types de blocages, barricades et les mouvements constants des blocs rendirent pendant quelques heures très difficile le passage des délégations. Ceci semble avoir été confirmée par les personnes branchées sur les ondes radios de la police.
Au final, avec une coordination sur trois villes et d'autres blocages réussis à Genève et Anemasse, ces actions furent un beau pied de nez à un dispositif de sécurité policière que les organisateurs du G8 et l'Etat suisse voulaient infaillibles -- même si les médias préférèrent évidemment ne pas en parler et focaliser l'attention publique ailleurs en racontant n'importe quoi sur les soit-disant "casseurs".
Dès lors, à Lausanne, la police s'employa constamment à repousser à l'extérieur de la ville le pink et le black bloc en gazant systématiquement et en bloquant les autres artères.
Le dispositif policier reconduisant le cortège était alors impressionant avec un grand nombre de camions et canons à eau, des policiers anti-émeutes allemand venus en renfort, et des troupes des divers cantons suisses. Le nombre de policiers était plus important que le nombre de manifestant-e-s. Une dernière tentative de se lancer sur l'autoroute fut faite mais repousée. Il était alors aussi beaucoup plus difficile de se concerter et de prendre des décisions en grand cortège.
Au fur et à mesure, des groupes s'étaient dispersés ou esquivés à divers points, mais une partie du cortège finit par parvenir au campement de la bourdonette qui fut peu à peu encerclé par les forces de police. Face à cette menace, les 400 personnes présentes se réunirent en cercle, s'assirent et décidèrent qu'au vu du rapport de force, ils et elles ne pouvaient plus faire grand chose à part résister solidairement et sans provoquer
de déchaînement de violence de la part de la police.
Entouré-e-s par un cordon policier dans un espace restreint, le chef local de la police essaya de diviser les manifestant-e-s en demandant des responsables, puis en disant que soit les gens acceptaient de venir un par un donner leurs papiers, soit ils venaient tous nous arrêter. Tout ceci lui fut énergiquement refusé par la foule qui essaya de gagner du temps en traduisant tout en 4 langues, en posant un tas de questions bidons et en demandant l'arrivée d'observateurs neutres.
Au final, plein de journalistes officiels et indépendants arrivèrent, ainsi que des observateurs agréés et l'équipe légale. Les flics ne pouvaient plus faire n'importe quoi et étaient observés et photographiés sous tous les angles. Au bout d'une heure en plein soleil, les arrestations progressives commencèrent et durèrent environ cinq heures. Tout le monde se tenait, huait la police, lui crachait au visage et de nombreuses personnes s'accrochèrent, se firent traîner et résistèrent au mieux si bien que le rythme des arrestations était extrêmement lent et fastidieux.
Pendant ce temps, la police avait interdit la manif officielle qui devait se dérouler l'après-midi, mais les gens se réunirent malgré tout au centre-ville. Et une foule de plusieurs milliers personnes décida de braver l'arrestation vers 16h.
Au bout de quatre heures interminables, l'extraordinaire bonne humeur, solidarité et détermination des personnes encerclées à la bourdonette finit par payer et la police, après avoir réussi à embarquer une centaine de personnes, abandonna et se retira -- sous les cris de joie des restant-e-s. Il semblerait d'une part que la police n'ait pas le droit de détenir plus d'un certain nombre d'heures des personnes sans pouvoir contrôler leurs papiers, et d'autre part que l'arrivée du cortège du centre-ville à la bourdonette ait hâté leur départ.
Vers minuit, la grosse majorité des interpellé-e-s étaient relâché-e-s sans suite, à l'exception d'une dizaine de personnes. D'autre part, l'intervention policière sur le pont d'autoroute bloqué par les deux personnes en rappel faillit se solder par deux meurtres puisque malgré les avertissements des autres militant-e-s présent-e-s sur le pont, un policier vint couper la corde et provoquer la chute de vingt mètres d'une des personnes suspendues, tandis que le brin de corde de l'autre était retenu de justesse. Par un coup de chance miraculeux, il semblerait ce militant n'ait que deux jambes et des vertèbres cassées et ne souffre pas de paralysie.
Dès le lendemain, les médias et politicien-ne-s déversèrent leurs habituels mensonges et s'employèrent à créer des mythes sur ces manifestations et les "casseurs". Mythes qu'il s'agit encore une fois de démonter.
- dans des manifestations comme celle de Lausanne, les soit-disant "casseurs" n'étaient cas des gens infiltrés dans la manif cherchant à la détourner de ses but initiaux, mais un cortège autonome menant ses propres actions en les coordonnant au mieux avec les autres blocages.
- comme à Prague lors des manifestations contre le sommet du FMI et de la Banque Mondiale, la stratégie adoptée visait à autonomiser les blocs afin que chacun puisse explorer au maximum l'impact de ses tactiques sans gêner ou contrecarrer les autres.
- les black-blocs et les pink blocs sont principalement issus de mouvements anarchistes ou autonomes, autogestionnaires et anticapitalistes. Il peut arriver, comme dans n'importe quelle manifs, que des policiers tentent de s'introduire dans le black bloc ou de se camoufler en black blocs, mais les actions qu'ils réalisent sont alors clairement des pièges, des provocations ou de la casse sans objectifs qu'il est possible de déjouer
avec un peu de discernement. Comme n'importe quel cortège, le black bloc peut être rejoint par des personnes moins réfléchies que d'autres dans leurs objectifs et leurs pratiques, ou se livrant à des actes dangereux ou stupides. Cette réflexion ne peut s'acquérir qu'au moyen de débats et pratiques collectives renouvelées, pas par la diabolisation de certaines tactiques et franges du mouvement.
- la participation à un bloc pink ou black, le blocage d'un sommet ou la création de dommages économiques ne sont que des actes militants bien particuliers dans la vie de personnes souvent aussi impliquées constamment dans des projets locaux visant à la réappropriation et à l'autonomie culturelle, alimentaire, médiatique ou énergétique à travers des collectifs, des campagnes d'actions ou des espaces de vie ou d'activités autogérés.
Leur stratégie n'est en aucun cas seulement confrontationnelle mais passe en bonne partie par des débats et diffusions d'idées sur des luttes extrêmement variées mais reliées. Ces luttes peuvent concerner aussi bien le patriarcat, la liberté de circulation et les luttes au coté des sans-papiers, que l'écologie radicale, l'antispécisme, la solidarité nord/sud, la propriété intellectuelle, l'usage de logiciels libres, la création de médias indépendants et de maisons d'édition, les alternatives à la psychiatrie, à l'éducation autoritaire ou l'agriculture industrielle... Il s'agit, pour beaucoup, de personnes qui s'emploient généralement à déjouer les rapport de domination et la violence du système au quotidien.
- ces personnes se coordonnent et échangent par des moyens multiples, mais évidemment moins visibles que les grandes organisations réformistes. Cette discrétion tient pour partie au refus de se doter de leaders, de héros ou de martyrs, à la volonté de privilégier des modes d'organisations égalitaires et l'autonomie d'invidus et de collectivités réduites, plutôt que de viser des mouvements de masse et de moutons menés par des élites. Cette discrétion tient aussi à la répression de l'Etat qui menace constamment l'existence de ces groupes, ainsi qu'à la méfiance vis à vis des médias traditionnels qui de toutes façons les censurent. A part s'ils peuvent espérer hausser leurs chiffres d'affaires à coup de vitrines cassées et en parodiant leur existence et leur discours...
- s'attaquer aux biens privés n'est en aucun cas de la violence gratuite mais une tactique politique réfléchie. Ne pas se laisser faire par la police et répondre à ses attaques l'est aussi. Le black bloc ne s'attaque pas aux personnes.
- quand bien même on juge qu'ériger une barricade, détruire un objet ou un bâtiment est violent, cette violence n'est en rien comparable avec les violences qui se cachent derrière ces objets et bâtiment: la violence inouïe imposée chaque jour à des milliards de femmes, d'hommes ou d'animaux sur la planète par les institutions financières, étatiques et les entreprises capitalistes.
- cette condamnation de la "violence" des casseur-euses est généralement propagée et entretenue, par des personnes privilégiées ayant accès à un niveau de consommation totalement dépendant de l'exploitation du reste du monde. Un niveau de consommation qu'elles ne sont abolument pas prêtes à remettre en cause, encore moins à voir quoi que ce soit venir perturber leur quotidien.
- nous avons aussi toutes et tous à divers niveaux intégré cette domination: la paranoïa sécuritaire, l'addiction à la consommation, l'aliénation par le travail, les structures hiérarchiques et diverses formes d'oppression raciste, sexiste ou homophobe. Nous nous voyons bien souvent incapables de remettre en cause réellement cet ordre coercitif et fondamentalement inégalitaire que l'on nous présente comme une démocratie. Même la ga
uche alter-mondialiste ou plutôt ses représentant-e-s auto-proclamé-e-s fait mine de croire que de grand spectacles inoffensifs et récupérés par le pouvoir feront autre chose que de le renforcer.
- même si le changement social passe sans nul doute en grande partie par des prises de conscience, des débats, des constructions d'alternatives à l'Etat et au capitalisme, il passe aussi par l'entretien d'un rapport de force constant: grèves, occupations, réappropriations, sabotages et cré
ations de structures autonomes. Pas en laissant croire que ceux qui dominent le monde sont à l'écoute et vont renoncer au pouvoir et à ses privilèges simplement parce qu'on les implore de le faire.
Face aux discours citoyennistes d'Attac, des trotskistes et de toute la gauche institutionelle qui s'est depuis quelques années largement emparée de la dynamique des contre-sommets et l'a déjà fortement neutralisé, il est temps de rétablir quelques vérités:
- c'est bel et bien parce que des gens ont mené des actions offensives et entrainé d'importants dommages financiers et politiques que des sommets ont été bloqués, fuient et se barricadent, ou que plus une ville ne veux les acceuillir, et non pas grâce à de grand étalages d'organisation politiques, à une débauche de marches pacifistes et de conférences de presse. Même si le travail d'information est encore une fois extrêment important et complémentaire des autres actions réalisées...
- ces actions, des blocages de toutes sortes aux destructions ciblées, ont pendant quelques années déjoué les dispositifs policiers, ont été créatives et efficaces. C'est pour ces raisons qu'elles ont pu mobiliser les pratiques et l'imaginaire de centaines de milliers de personnes et qu'elles ont pu s'imposer comme une force politique majeur et, comme un mouvement. Ce mouvement s'est créé sur des bases égalitaires et horizontales. C'est cette énergie et ces personnes que la gauche citoyenniste s'emploie maintenant à neutraliser et encarter dans des partis et autres structures hiérarchiques garantes de la paix sociale.
- Attac, trotskistes et consorts semblent conscients jusqu'à un certain point de leur absence totale de subversion et de créativité et sont même allés, à l'occasion de ce sommet d'Evian, jusqu'à s'arroger la pratique de camps d'actions issus de mouvements radicaux comme le No Border. Elles ont ainsi affiché hypocritement une autogestion à l'opposé de leurs pratiques d'organisation. On peut toujours espérer que les milliers de personnes ayant, par exemple, participé au village intergalactique, ne se soient pas laissées trop prendre à cette récupération et que de réelles pratiques d'autogestion demeurent et finissent par dépasser les leaders.
- il est par ailleurs heureux, malgré toute cette propagande, qu'une partie de la population garde une envie réelle de changer radicalement ce système. Malgré l'hystérie médiatique, tout le monde n'est pas aussi effrayé que les médias veulent bien le faire croire par les soit-disant "casseurs" et à Genève ces jours derniers, les émeutes furent soutenues et rejointes par une partie de la population locale et des badauds. Mais le fait que ces actions puissent être réfléchies, efficaces et soutenues par une partie des manifestant-e-s est proprement inacceptable pour les pouvoirs en place. Il leur est alors nécessaire de faire croire à un gentil mouvement inoffensif pris en otage par quelques casseurs, de créer des mythes de complots cachés, d'infiltration néo-nazies, de manipulation policière ou des stéréotypes de jeunes gens immatures et manipulés par une poig
nées d'extrémistes cyniques. Il leur faut coûte que coûte chercher à entretenir une division entre "militant-e-s alter mondialistes bon enfant" et "jeunes et méchants casseurs". En dépit de quoi, bon nombre de personnes s'apercevrait peut-être qu'il est possible de s'épanouir et de s'amuser en changeant ce système concrètement, de plein de manières différentes, sans se laisser manipuler et diriger par les partis et syndicats.
En guise de conclusion provisoire, beaucoup de gens semblaient tirer un bilan positif de la variété, de la maturité et de l'impact des actions menées à Lausanne. Reste à tirer un bilan à plus long terme de la gestion collective de la répression, de ce que retiendra la population locale de ces manifestations et des éventuels retours négatifs sur les militant-e-s locaux. On peut aussi tirer un bilan plutôt enthousiasmant des pratiques d'autogestion et de rencontres popularisées par les divers campements de Lausanne et d'Annemasse. On ne peut s'empêcher néanmoins de soulever des doutes sur le fait de continuer à mener systématiquement ces actions dans le cadre de "contre-sommets" tel que celui du G8. Leur potentiel de surprise, de perturbation, leur faculté à promouvoir de nouvelles idées politiques et un discours radical est le plus souvent menacée. Les dispositifs policiers sont par ailleurs de plus en plus habitués et efficaces. C'est en ce sens qu'il est primordial de continuer à inventer d'autres formes de convergences, d'actions et d'autogestion, localement et au quotidien. C'est en ce sens aussi qu'il nous faut apprendre à communiquer et expliquer beaucoup plus chacune de nos actions.
Solidarité avec tou-te-s les inculpé-e-s du G8! N'oublions pas le travail anti-répression, il doit être maintenant l'affaire de tou-te-s celles et ceux qui étaient présent-e-s à ces manifestations. A bas toutes les prisons! Ne croyons jamais la presse bourgeoise, vivons et diffusons nous-même nos expériences et nos idées! N'oublions pas de nous amuser et de ne pas trop nous prendre au sérieux !
02/06/03 - un-e participant-e au pink bloc, ainsi qu'un-e participant-e au black bloc anti G8 de Lausanne