arch/ive/ief (2000 - 2005)

Compte à rebours pour Cancun
by Aileen Kwa Thursday July 24, 2003 at 02:53 PM

Compte à rebours pour Cancun: un processus de négociation opaque, exclusif et sans règles Par Aileen Kwa, analyste politique travaillant pour "Focus on the Global South" à Genève Traduction. Michel Quinet, Jean-Pierre Renard Coorditrad, traducteurs bénévoles (*)

Avec le Sommet ministériel de Cancun dans moins de 60 jours ouvrés,
l'OMC - de façon habituelle quand elle est sous pression - a opté pour
un mode plus secret et moins transparent de consultations. Le
processus est caractérisé par la "flexibilité" - c'est-à-dire que les
procédures sont inventées au coup par coup pour répondre aux intérêts
des puissants - et l'opacité. Le Secrétariat et les Présidents des
organes de négociation contrôlent étroitement le processus au lieu de
jouer leur rôle de simple facilitation, et ce sont les ministres qui
sont mis en avant, et non les experts techniques de Genève, plus
familiers avec le langage très technique et ses embûches cachées.

Pour couronner le tout, il n'y a aucun texte préliminaire pour le
Sommet ministériel et les Membres des pays en voie de développement
ignorent quand il existera. On a dit aux membres que ce ne sera pas
clarifié avant le 24 juillet, juste trois semaines ouvrées avant
Cancun, ce qui ne laissera aux délégations des pays en voie de
développement qu'un temps très court pour répondre au texte et se
coordonner entre elles.

LES ENJEUX DE CANCUN

Les enjeux de Cancun sont importants pour ce Sommet ministériel. Le
fait que des rendez-vous importants sur les questions de
"développement", à propos du traitement spécial et différencié, ainsi
que des services publics et de la santé ont été manqués l'an dernier,
a fait mettre en question la sincérité des membres influents de l'
MC - et spécialement les Etats-Unis et l'Union Européenne - à vouloir
réellement présenter un programme de "développement". L'image publique
de l'OMC est à l'avenant et le Secrétariat, les Etats Unis et l'Union
Européenne cherchent à limiter les dégâts. Cancun sera décisif pour
perdre ou gagner la bataille pour restaurer l'image de l'OMC.

De plus, les modalités de négociation sur l'agriculture devaient être
acceptées fin mars et il n'y a toujours pas d'accord en vue, et les
décisions d'entamer les négociations sur l'investissement, la
concurrence, la transparence dans la gouvernance des
approvisionnements et les aides au commerce (thèmes de Singapour)
doivent être prises à Cancun. Les acteurs majeurs de l'OMC ne veulent
pas voir Cancun se transformer en un autre Seattle où aucun accord n'
avait été trouvé. En plus d'un désastre relationnel, un tel scénario
pourrait amener la fin du "round" de négociation qui doit être bouclé
en décembre 2004. (Le Commissaire européen Pascal Lamy et le
représentant américain au commerce Robert Zoellick doivent tous les
deux quitter leur poste à la fin de 2004 et aimeraient sans aucun
doute voir un "succès" se concrétiser avant de partir.) Cependant en
matière d'agriculture les Etats Unis et l'Union Européenne
maintiennent leurs positions, apparemment irréconciliables. Sur les
nouveaux sujets, les négociations de Genève ont juste mis en lumière
les grandes différences qui existent entre les pays développés et les
pays en voie de développement. A la suite de l'impasse en agriculture,
les pays en voie de développement reviennent sur les négociations de l
'Accord Général sur Le Commerce et les Services (GATS). Presque deux
mois après le début du "round des offres", au moment où les pays
indiquent les secteurs où ils veulent libéraliser, peu sont ouverts et
ceux qui ont l'intention de faire des offres affichent des positions
minimalistes.

Cette impasse n'est pas étrangère aux négociations commerciales: cela
fait partie intégrante des stratégies de négociation des grands
acteurs - tenir des positions extrêmes, négocier en dehors avec des
égaux (les Etats Unis et l'Union Européenne vont en venir à leurs
propres négociations privées), offrir quelques carottes et menacer du
bâton les pays en voie de développement en y ajoutant une forte dose
de contacts personnels avec les ministres et une sauce épaisse de
"persuasion" et de coercition. En fin de compte, il est possible
d'arracher un "consensus" à la fin (comme on l'a vu au Sommet
ministériel de Doha en 2001), mais le contrôle du processus par
quelques-uns devient de la dernière importance si la conclusion
"correcte" doit être atteinte. Ce n'est pas là que conduisent la
transparence et la cohésion dans le processus de prise de décision
pour la préparation du Sommet ministériel et pendant le Sommet
lui-même, comme on l'a vu à Seattle, où le texte préliminaire était un
texte de membres opposé au texte des présidents, et reflétait la
variété des différentes positions tenues par les membres.

Au contraire, la marginalisation, l'exclusion et l'opacité sont
nécessaires, mais encore une fois cela doit être habilement orchestré
pour qu'il y ait au moins une apparence d'intégration pour empêcher
ceux qui sont marginalisés de se révolter.

C'est exactement ce qui se déroule aujourd'hui à Genève, alors que 146
nations se préparent pour le cinquième Sommet ministériel qui doit se
dérouler en septembre.

CARACTERITIQUES DE LA PREPARATION DE CANCUN

1. Flexibilité - Aucune règle de procédure claire.

Depuis mars de cette année, il y a déjà des rumeurs sur la façon dont
le sommet de Cancun se prépare, y compris de nombreux bruits selon
lesquels le Sommet ministériel échouerait et que le "round" serait
prolongé. Diverses idées ont été échangées sur comment aborder la
préparation du Sommet ministériel de telle façon qu'un consensus
puisse être trouvé - une déclaration, un communiqué, un rapport d'
étape, ou pas de déclaration du tout, mais il n'y a pas eu de réelle
discussion à propos de ces questions entre l'ensemble des membres. Le
8 mai, plutôt que de consulter les membres, le directeur général,
Supachai Panitchpakdi et le président du Conseil Général, l'
ambassadeur uruguayen Carlos Perez del Castillo ont convoqué les chefs
des délégations (souvent les ambassadeurs) pour une réunion informelle
d'"information" sans compte-rendu, où ils ont été "informés" de ce que
serait le processus de préparation.

Au lieu d'esquisser une approche claire des négociations menant à
Cancun, Castillo a dit que alors que tous les membres avaient
fortement intérêt à avoir "un plan aussi clair et prévisible que
possible pour les semaines à venir. Je suis sûr que vous comprendrez
qu'il n'est pas possible aujourd'hui de prévoir chaque étape ou son
échéance avec certitude. Nous allons devoir conserver la flexibilité
nécessaire pour gérer un processus évolutif, en opérant bien sûr dans
la transparence et de façon ordonnée" (JOB (03)/88, 9 mai 2003).

La "flexibilité" à laquelle il fait référence avait été au cour d'un
débat passionné après Doha. Les pays du « Like Mind Group » (LMG), qui
incluait Cuba, la République Dominicaine, l'Égypte, le Honduras, l'
Inde, l'Indonésie, la Jamaïque, le Kenya, la Malaisie, l'île Maurice,
le Pakistan, le Sri Lanka, la Tanzanie, l'Ouganda et le Zimbabwe ont
demandé qu'il y ait des règles de procédure définies avant et pendant
le Sommet ministériel (WT/GC/W/471, 24 avril 2002). Par exemple leurs
suggestions sur le processus préparatoire avant le Sommet ministériel
incluaient:

- Toute procédure de négociation dans la phase préparatoire devrait
être adoptée par consensus par les membres lors d'une réunion formelle

- Le programme provisoire serait établi après que les Membres aient eu
la possibilité d'exprimer leur point de vue.

- Il y aurait de fréquentes réunions formelles du Conseil Général pour
prendre en compte les progrès du travail préparatoire et les minutes
de ces réunions seraient établies

- Il y aurait suffisamment de temps pour que les délégations puissent
étudier les documents et consulter leurs capitales

- Le projet de déclaration ministérielle devrait faire l'objet d'un
consensus. Si tel n'était pas le cas, le projet de déclaration
ministérielle devrait faire état des différences d'une manière précise
et complète. Si la majorité des membres était fortement opposée à l'
inclusion d'un point quelconque dans le projet de déclaration
ministérielle, ce point ne serait pas inclus dans le projet de
déclaration.

- Dans le processus préparatoire de la Conférence ministérielle, le
Directeur Général et le Secrétaire de l'OMC devraient rester
impartiaux sur les points spécifiques pris en compte dans la
déclaration ministérielle.

Et la liste continue. Ce qui frappe dans ces demandes, c'est leur
caractère élémentaire. Ces procédures devraient être à la base de
toutes les institutions internationales.

Les LMG s'exprimaient en réaction à l'expérience désagréable que les
négociateurs des pays en voie de développement avaient rencontrée au
Sommet ministériel de Doha. Murasoli Maran, alors ministre indien du
commerce, avait résumé cette expérience des deux derniers jours du
Sommet de Doha :

"Seule une poignée de membres de l'OMC a été convoquée pour participer
(dans la salle de réunion verte). Même pendant la nuit de discussions
entre le 13 et le 14 novembre, la session "non-stop" qui a duré 38
heures, les textes apparaissaient toutes les heures pour discussion
sans donner le temps aux délégations de les examiner. Qui a préparé l'
avalanche de projets après projets? Pourquoi? Nous ne savons pas. A la
onzième heure, - probablement après 37 heures et 45 minutes - ils ont
produit un projet - comme un magicien sortant un lapin de son
chapeau - et ont dit que c'était le projet final.

La tactique semblait être de produire un texte aux dernières heures et
de forcer les autres à l'accepter ou à s'en rapprocher. Cela serait-il
arrivé dans n'importe quelle autre conférence internationale ?

Certainement pas. Ainsi, avec peine et angoisse, je dirais que n'
importe quel système qui oblige dans les dernières minutes les pays en
voie de développement à accepter des textes dans des domaines cruciaux
pour eux ne peut pas être un système loyal. Je voudrais fortement
suggérer que les membres de l'OMC s'interrogent sérieusement sur la
loyauté de la procédure préparatoire pour les conférences
ministérielles." (discours au sommet de l'Économie indienne, 4
décembre 2001).

Cependant, la position du LMG a été violemment combattue par un groupe
de pays développés. Conduit par l'Australie, le groupe, qui comprenait
la Suisse, le Canada, la Corée, le Mexique, la Nouvelle Zélande,
Singapour(WT/GC/W/477, 28 juin 2002) réclamait la "flexibilité". Ils
argumentaient que "des approches décisives et détaillées des
processus préparatoires sont inappropriées et ne créeront pas les
meilleures conditions pour faire émerger un consensus lors de la
réunion de Cancun. Dans une organisation dirigée par les membres les
procédures doivent rester flexibles. Nous devons éviter les
rigidités".

Les pays du LMG n'avaient pas le poids politique pour imposer leurs
vues sur l'institution lors des consultations qui ont pris fin en
2002. Un pays signataire du texte a dit qu'il était depuis passé aux
oubliettes. Ces pays ont demandé à l'ambassadeur de l'Uruguay de
commencer une nouvelle fois les consultations au nom du LMG, mais ne
sont pas sûrs de son niveau d'engagement.

Il est troublant qu'une organisation internationale censée fonctionner
sur des règles fasse fi des procédures ou en invente au coup par coup
de façon à arriver à la situation qui produira un résultat
correspondant aux intérêts de ses membres les plus puissants.

2. Obscurcissement et opacité.

Ce genre de "flexibilité" conduit à l'obscurcissement et à l'opacité.
Le processus de négociation est pour l'instant masqué par des
inconnues, ce qui ne peut que conduire à des surprises dans la
préparation du Sommet ministériel ou lors du Sommet lui-même. Cela
mettrait les pays en voie de développement sur la défensive, et les
limiterait à un rôle passif.

Lors de la même réunion du HOD le 8 mai, le Directeur Général,
Supachai, a dit aux membres que l'ensemble des textes n'arriverait au
niveau du Conseil général que le 24 juillet. Pendant ce temps, les
négociations vont continuer dans les différents groupes. Les délégués
des pays en voie de développement ne savent pas exactement si un
quelconque projet de déclaration sera alors publié le 24 juillet. Un
délégué, se référant au mini sommet du Canada, auquel environ 25
membres seront invités et qui se tiendra très certainement fin
juillet, pensait qu'un projet de déclaration ne serait pas disponible
avant le début ou le milieu d'août, en fonction du résultat de la
réunion canadienne.

L'OMC ferme deux semaines en été, du 26 juillet au 10 août. Tout
projet publié après la fermeture laissera aux délégués environ trois
semaines pour réagir. Si l'on ajoute à cela la manière dont les
projets sont maintenant rédigés par les présidents (voir paragraphe
suivant), la brièveté du délai est une source de préoccupation.
Généralement les délégués devraient avoir assez de temps pour envoyer
les projets dans leurs capitales, se coordonner avec les autres pays
en voie de développement et donner leur sentiment lors des sessions du
Conseil Général. Un délai de trois semaines semble bien conçu pour
court-circuiter ces réponses, de telle façon que les plus importantes
décisions seront reportées à Cancun pour être prises par les
ministres, dont la maîtrise des questions techniques complexes sur le
commerce ne peut pas être comparée avec celle de leurs experts
commerciaux à Genève.

3. Textes de présidents plus que textes de membres : les présidents
imposent plus qu'ils n'aident les négociations.

A l'époque du GATT comme dans les premières années de l'OMC, on n'a
jamais entendu parler d'un président qui aurait mis en avant un texte
donnant son avis là ou un compromis entre les membres serait
possible. Traditionnellement le rôle d'un président est de faciliter
les négociations entre les membres de manière à travailler malgré les
divergences. Si des divergences persistent, les textes de négociations
produits par les présidents reflèteront ces divergences d'opinion, en
mettant les différentes versions entre parenthèses. Le résultat serait
un "texte de membres".

Stuart Harbinson présidait le Conseil Général avant le Sommet de Doha
quand il était ambassadeur de Hong Kong. Il créa un précédent dans les
procédures de négociation des organisations internationales en prenant
sur lui-même de rédiger un "texte de président" durant la préparation
du Sommet de Doha. Au lieu de refléter les diverses positions dans son
projet, il alla contre les normes internationales et de l'OMC en
présentant sa conception d'une position de compromis. Cette technique
allait à l'encontre des positions des ministres des pays en voie de
développement, les rendait invisibles, en particulier sur les
nouvelles questions conflictuelles, et ne reflétait que la position
commune des États Unis et de l'Union Européenne.

Malheureusement pour l'OMC, ce précédent dangereux s'est répété depuis
Doha dans tous les secteurs clés de négociation. Les textes sur les
services publics (TRIPS) et la santé, les négociations tarifaires des
produits agricoles et industriels non agricoles ont été produits à la
mode Harbinson. Les pays en voie de développement qui avaient élevé
des objections lors du pré-Doha (par exemple le Nigeria qui avait
dénoncé le texte d'Harbinson, l'Inde, les LCD, le groupe africain,
etc.) semblent fatigués de résister et de plus en plus résignés face à
de telles stratégies.

Malheureusement, les membres peuvent s'attendre à ce que les choses se
répètent avant Cancun. Le directeur général Supachai ne l'a pas caché
lors de la réunion du 8 mai quand il a dit : "Les présidents de
groupes de négociation travaillent dur actuellement pour remplir leur
mandat. Le président du Conseil Général et moi-même travaillerons avec
eux pour optimiser les chances de succès de ce processus multi niveaux
intégré..." (JOB (03)/88,9 mai 2003)

Ces propos ont été repris le 9 mai par l'ambassadeur américain Deily
auprès du TNC, qui parlait de Cancun : "Il nous faut reprendre
systématiquement tous les enseignements de Doha, et c'est ce que
préparent le Directeur Général et le Président Perez Del
Castillo"(Déclaration de l'Ambassadeur Deily, 9 mai 2003)

Commentant la situation actuelle, un ancien ambassadeur au GATT et à l
'OMC a dit "Les présidents sont censés faciliter les négociations, et
non les anticiper, ni exposer leur interprétation d'un compromis. Nous
n'avons jamais osé faire une telle chose avant. Nous étions plus
prudents. Nous n'aurions jamais osé avancer notre interprétation d'un
compromis quand les membres avaient encore de positions divergentes.

En vertu du fait que les présidents sont choisis parce qu'ils sont
proches des acteurs majeurs ou qu'ils ont leur écoute, ils auront
certains points de vue. Par conséquent, lorsque les présidents font
état de leurs textes, il est clair que leurs positions reflètent plus
les intérêts de certains acteurs plutôt que d'autres."

4. Mini conférences/ Réunion en "chambre verte" et "lobbying" dans les
capitales.

Une autre critique apportée à la procédure de négociation pré-Cancun
est le "lobbying" auprès des ministres dans les capitales et ce que
certains représentants à Genève perçoivent comme la marginalisation
des ambassadeurs et des experts à Genève.

Depuis Doha, deux mini-conférences où seuls environ 25 membres
étaient invités se sont déjà tenues à Sydney et Tokyo, et deux sont
prévues - en Egypte en juin et au Canada en juillet.

Des critiques plutôt virulentes ont été entendues à Genève à la suite
de la réunion du Conseil des ministres de l'OCDE de Paris à la fin
avril. Certains délégués des pays en voie de développement, parmi
lesquels le directeur général, ont rejoint les membres de l'OCDE dans
une réunion exclusive sur l'OMC à Paris. A leur retour, les "non
invités" ont été informés de ce qui avait été mis en place, ce qui a
incité certains à se plaindre de la marginalisation du processus de
Genève.

Une mini conférence doit avoir lieu les 21 et 22 juin à Sharm
el-Sheikh en Egypte. Les ministres de 27 pays seulement ( l'Union
Européenne comptant pour un seul membre) ont été invités :
l'Australie, le Bangladesh, le Brésil, le Chili, la Chine, le Costa
Rica, l'Egypte l'Union Européenne, Hong Kong, l'Inde, l'Indonésie, le
Japon, la Jordanie, le Kenya, le Lesotho, la Malaisie, le Mexique, la
Maroc, la Nouvelle Zélande, le Nigeria, le Sénégal, Singapour,
l'Afrique du Sud, la Suisse, la Thaïlande et les Etats Unis.

Cette mini conférence, qui porte sur les questions d'accès au marché -
tarifs industriels, agricoles et services - et les services publics et
les traitements spéciaux et différentiels, sera sans aucun doute,
comme les questions de Singapour traitées durant un dîner, un moment
politique critique dans le règlement des affaires et la mise en forme
d'un "consensus" avec les membres des pays en voie de développement.
La mini conférence canadienne sera plus cruciale. Avant Doha, la mini
conférence de Singapour avait conduit les délégués de Genève au
sentiment que "les choses étaient différentes". Les résultats de cette
mini conférence de Singapour n'étaient pas différents de ce qui fut
finalement adopté à Doha. Il est clair qu'un scénario équivalent est
programmé.

Ces mini conférences sont illégitimes, étant donné qu'elles excluent
environ 100 membres de l'OMC. C'est un comble qu'un "programme de
développement" soit négocié alors que la majorité des pays en voie de
développement est absente de la table de négociation. Alors que les
coordinateurs des groupes de pays en voie de développement - les LCD
et le groupe africain - assisteront à la mini conférence égyptienne
(respectivement le Bangladesh et le Maroc), ils n'ont pas été mandatés
pour négocier au nom des autres.

Malheureusement, ces mini conférences sont l'occasion de cooptations
ou de pressions fortes. Supervisant un programme plus large, les
ministres des pays les moins puissants sont désavantagés dans ces
négociations. Il est aussi manifestement anti-démocratique que des
décisions prises au sein d'un petit groupe soient présentées comme un
fait accompli à l'ensemble des membres.

Un diplomate d'un pays en voie de développement favorable aux
nouvelles questions a fait cette observation à propos du partage entre
Genève et les capitales : "Nous sommes maintenant dans une impasse.
Les ambassadeurs ici ne veulent pas prendre de décisions. Il y a trop
d'enjeux et ils ne veulent pas être ceux qui "braderont la maison".
Aussi ils laissent les décisions aux personnes importantes. Et ils se
plaignent de ce que le processus de Genève est court-circuité."

5. Les négociations de Genève se font sur le mode informel.

Les réunions d'"informations" des responsables de délégations qui ont
lieu à Genève en préparation de Cancun se passent aussi sur un mode
informel. Cela est également inquiétant et cette préoccupation a été
exprimée par l'Inde et plusieurs autres pays en voie de développement
lors de la réunion HOD du 8 mai.

L'OMC a une propension à tenir des réunions informelles sans
compte-rendu. Dans l'avant-Doha, les réunions préparatoires au niveau
du Conseil Général étaient tenues de façon informelle, et étaient
parfois suivies de réunions formelles (bien que la fréquence des
réunions formelles ait toujours été très insatisfaisante). Comme ces
réunions formelles faisaient l'objet d'un compte-rendu, les positions
des pays étaient rendues publiques. Ces positions publiques ajoutaient
au moins à la transparence de l'institution, et il était possible
après la conférence de Doha de comparer les positions finales des pays
avec leurs positions initiales. Les différences entre le pré- et le
post-Doha faisaient un peu de lumière sur ce qui avait pu se produire
dans les coulisses.

En terme de mémoire de l'institution, les réunions formelles avec
compte-rendu sont aussi très importantes dans la mesure où cela permet
d'informer les nouveaux arrivants des circonstances de l'élaboration
du programme actuel. Elles sont également importantes du fait que
l'OMC utilise souvent un langage ambigu, de façon à accommoder des
positions variées. Les comptes-rendus peuvent aider à éclairer ce
qu'il y a derrière les mots ambigus. Les pays qui sont politiquement
plus faibles sont pénalisés sans ces comptes-rendus.

6 Pressions bilatérales.

L'inégalité de pouvoir entre les pays développés et la majorité des
pays en voie de développement pèse lourdement sur la capacité des pays
en voie de développement à exprimer leurs véritables positions dans
les négociations.

Bien que le consensus signifie en théorie que n'importe quel pays
peut s'opposer aux propositions qui lui sont faites et donc ouvrir des
négociations, pas un pays en voie de développement, pas même l'Inde,
n'est capable d'agir ainsi en pratique. Tout pays en voie de
développement est vulnérable dans au moins un secteur à l'égard des
Etats Unis, de l'Union Européenne ou du Japon. Ce peut être le
secteur des exportations, de l'aide, de la dette, de la suppression
des prêts du FMI, ou de l'accès préférentiel. (particulièrement
l'accord des pays ACP avec les Etats Unis, ou des pays africains avec
les Etats Unis dans le cadre de l'Accord Africain de Développement
(AGOA)). Les menaces sur les exportations ou le commerce sont des
réalités quotidiennes pour les ministres, aussi bien que pour les
négociateurs de Genève. Certains pays actuellement en cours de
négociation bilatérales sur la liberté du commerce avec les Etats Unis
sont aussi particulièrement prudents. En fonction de leur niveau de
dépendance et de vulnérabilité, les délégués du Sud contrôlent leur
ton dans les négociations.

Si cela n'est pas suffisant pour amener les négociateurs à un silence
adéquat, les ambassadeurs risquent évidemment leurs postes. Il y a
très souvent des pressions sur les pays pour qu'ils retirent leurs
représentants. Une poignée d'ambassadeurs qui se sont fait entendre
ont été retirés après Doha, et cela a considérablement affaibli les
regroupements de pays en voie de développement à Genève. (Un exemple
très récent de cela dans le contexte des Nations Unies s'est vu à New
York où l'ambassadeur du Chili a été retiré à cause de son opposition
à la guerre en Irak.)

La situation politique générale aujourd'hui - la volonté des Etats
Unis d'être ouvertement unilatéral - et les déploiements de forces
militaires, sont aussi des facteurs qui invariablement pèsent sur les
esprits des ministres des pays en voie de développement engagés dans
les discussions de l'OMC.

Un diplomate d'un pays en voie de développement d'Amérique a déclaré :
"Le processus actuel est aussi peu transparent que le dernier Sommet
ministériel. Franchement, le problème maintenant (en comparaison à
l'avant-Doha) est que les pays en voie de développement sont plus
faibles qu'avant, en raison des pressions bilatérales et de la
situation politique générale".

Selon un diplomate africain, les efforts faits par certains Africains
pour amener les autres à une position plus critique sur les aides
locales dans les négociations agricoles à Genève du début de l'année
ont amené des coups de téléphone dans les capitales. "Quand ils
reçoivent un coup de téléphone des gars de Pascal Lamy, ils savent
qu'il s'agit d'un truc sensible". Le résultat est que l'initiative a
été rejetée et que cela signifie une nouvelle injustice pour les pays
en voie de développement.

Nouvelle Zélande : Plus de transparence conduira les négociations à
la clandestinité.

De façon inattendue, le 9 mai, à la réunion TNC, l'ambassadeur de
Nouvelle Zélande, Timothy Groser, a recommandé aux pays en voie de
développement de ne pas demander plus de transparence dans le
processus de prise de décision. Il a averti que si le processus de
prise de décision devait impliquer l'ensemble des 146 membres, il
n'aboutirait pas. Les efforts pour atteindre une transparence interne,
dit-il, seraient contre-productifs et conduiraient le processus de
négociation à la clandestinité.

On aurait pu espérer un tout autre ton de la Nouvelle Zélande, nation
censée "démocratique". De toute façon, le processus semble déjà être
devenu clandestin, puisqu'il est entièrement sous le contrôle de
l'équipe du directeur général Harbinson et du président du Conseil
Général, en alliance avec les acteurs majeurs.

EN CONCLUSION

A moins que les organisations internationales qui créent les règles
internationales n'existent dans notre monde d'aujourd'hui que pour
légitimer la volonté des puissants, ce qui arrive au sein de l'OMC est
une aberration grave des aspirations du "multilatéralisme" auquel la
majorité des membres de l'OMC aspire. Plutôt que d'exister pour les
faibles, l'OMC fait tout pour institutionnaliser la volonté des
puissants.

Peut-être tout se réduit-il à ce que dit John Musonda de "Union
Network International" de Zambie :"C'est toujours la vieille équation
coloniale. Nos peuples ne possèdent rien, ne contrôlent rien. Leurs
peuples (ceux du Nord) sont développés, et ils veulent étendre leur
commerce. Nos peuples ne sont pas développés, nous ne pouvons pas
étendre notre commerce" (Khan, Farah, IP S 24 mai 203 'Une stratégie
pour la prochaine réunion de l'OMC au Mexique").

Essayer d'imposer à la majorité du Sud un programme expansionniste des
entreprises multinationales ne peut se faire qu'avec une
marginalisation, un obscurcissement, des procédures "dérégulées" et
par la "persuasion".

Contact pour cet article. Nicola Bullard N.Bullard@focusweb.org

Focus on the Global South (FOCUS) c/o CUSRI, Chualalongkom
University - Bangkok 10330 THAILAND Tel: 662 218 7363/7364/7383 -
Fax: 662 255 9976 - Web page http://www.focusweb.org