(Bouaké-Côte d'Ivoire) Le Chef Bamba parle des dozo et de la rébellion. by Wurufato Tuesday July 22, 2003 at 08:23 PM |
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Ce n'est un secret pour personne dans la ville de Bouaké, les dozo ou chasseurs taditionnels manding ont été pour beaucoup dans l'avènement du changement survenu le 19 septembre 02 en Côte d'Ivoire. Le charismatique chef des dozo nous en parle...
Le Chef Bamba, responsables des dozo (chasseurs traditionnels) et commandant de la Compagnie Guerriers de la Lumière (CGL) est celui qui a unifié les dozo de la ville pour faire face aux besoins de la rébellion. Pour la prise de Bouaké le 19 septembre et sa défense les 6, 7 octobre 02. Toute la ville de Bouaké parle du rôle déterminant des chasseurs traditionnels dans les différentes batailles de la ville. On raconte partout dans les rues les exploits mystiques de ces hommes blindés sur les champs de batailles qui en ont fait voir de toutes les couleurs aux loyalistes et aux journalistes étrangers.
Je me suis rendu au domicile de l'un des dozo les plus réputé de la ville de Bouaké pour lui arracher quelques secret sur leur rébellion à eux. Le chef Bamba me reçoit en toute décontraction et avec beaucoup d'humilité...
Indymédia : Dites-nous, Chef Bamba, comment les chasseurs traditionnels de Bouaké sont entrés dans cette rébellion.
Chef Bamba : Ce sont en fait les dozo qui ont commencé la rébellion. Nous avons été contactés peu avant les évènements par des militaires qui nous ont demandé de nous joindre à eux pour mener la guerre contre l’injustice et la xénophobie en Côte d’Ivoire. Le pouvoir central, depuis la transition militaire de Robert Guéi (99 – 2000) jusqu’à la prise du pouvoir de Laurent Gbagbo en octobre 2000 avait organisé une chasse sélective à l’homme ; leur cibles préférées étaient des jeunes militaires nordistes et les chasseurs traditionnels dont ma confrérie. Un jour de fin 2000, peu après son investiture à la présidence, Gbagbo envoya des militaires pour m’abattre ici même à mon domicile de Tolakouadiokro (Tolus). Ils sont d’abord arrivés ce lundi matin vers 11h, pendant que mes confrères chasseurs et moi étions sur les lieux de notre culte hebdomadaire. Dans l’attaque, nos assaillants ont laissé la vie de trois des leurs et des armes que nous avons saisies. Ce sont ces armes qui nous ont servi plus tard pour démarrer la guerre. Je reviens donc sur ce fameux lundi car les militaires ne se sont pas avoués vaincu après leur déroute du matin. Ils sont revenus à la charge, mais cette fois-ci chez moi à la maison. J’avais au préalable pris le soin d’éloigner les membres de ma famille après la première attaque. Je venais de rentrer de l’hôpital où nous avions conduit un de nos confrères blessé au cours de la bataille du matin. Ils sont donc arrivés avec un cargo de militaires armés jusqu’aux dents vers 20h et ont pris position autour de ma concession pendant que je prenais une douche. Du coup, ils se mirent à tirer autour et à l’intérieur de ma maison. Il y a des impacts de balles partout sur les mûrs que vous pourrez voir en sortant. Comme si de rien n’était, j’ai fini de me doucher et me suis mis à table pour manger. Au moment de sortir après mon repas, j’aperçue devant le portail un attroupement de soldats munis de kalachnikovs. Certains étaient postés sur le toit et d’autres sur la clôture, prêts à m’exterminer. Je suis revenu dans la maison pour me préparer sérieusement avant de les affronter. Je suis ressorti fonçant droit sur les deux premiers assaillants qui étaient à la porte puis m’avançai hors de la concession vers ma voiture garée auprès de leur cargo. Je suis entré dans ma voiture et pendant que je démarrais, ils prirent tous la fuite. Un peu plus loin dans ma rue se trouvait un gros arbre sur lequel étaient postés d’autres assaillants. Ceux-ci tombèrent de l’arbre avant même que je n’arrive à leur niveau. Ils se relevèrent et prirent leurs jambes au cou, laissant les armes derrière eux. J’ai ramassé leurs armes que j’ai rangées avant de sortir faire mes courses. En fait de bataille, il n’y a pas eu d’affrontement à proprement dit.
Après cet incident majeur j’ai quitté le pays pour un exil de six mois.
A mon retour en 2001, j’ai été de nouveau contacté par les jeunes militaires afin d’organiser ensemble la lutte de libération de nos populations qui ne se sentaient plus chez eux dans leur propre pays. Nous avons travaillé durant des mois ici même dans ma maison à Tolus pour préparer l’insurrection du 19 septembre 02. Nous étions au total un effectif de quatre-vingt-cinq hommes dont soixante-dix-huit dozo et sept militaires à lancer l’assaut. Nous avions disposé nos troupes à raison de dix dozo pour un militaire. Moi je faisais la liaison entre les différents postes avec ma voiture. Nous avons lancé l’attaque vers 3h 30…
IM : Après la prise de Bouaké on vous a donné, à vous et à vos dozo, le camp des Guerriers de la Lumière qui est situé non loin d’ici, au secteur Yankadi, à Dar-Es-Salam…
CB : On ne nous a pas confié ce camp ! C’est moi-même qui ai réquisitionné les locaux vides de cette future maternité du quartier Yankadi. Je constatais que nous les dozo, malgré la part importante que nous ayons prise dans l’avènement du changement, nous étions très peu organisés. Nous étions dispersés dans la ville et n’avions pas de locaux propres à nous en ville. Nous manquions de structures. A ce niveau de la compétition (guerre), il m’était insupportable de voir que les dozo n’avaient pas un camp à eux comme les militaires qui ne sont que les dozo des temps modernes. Autrefois, nos armées étaient constituées par les chasseurs traditionnels. C’est ce constat qui m’a alors tout de suite fait pensé à ces locaux vacants. Nous y avons fait installer l’électricité, le téléphone et une adduction d’eau. J’ai réuni la confrérie et nous avons commencé par repartir les bureaux et les responsabilités entre les grands dozo (chez les dozo il y a deux classes : les grands dozo et les jeunes dozo). Nous avons ensuite lancé un appel pressant à tous les dozo, pour l’union et le rassemblement dans un camp ! C’est ainsi qu’est née la Compagnie des Guerriers de la Lumière. Nous sommes sortis des ténèbres et des errements pour nous organiser et nous prendre en charge car l’heure était grave. Nous collaborons très bien avec les Commandants des autres camps depuis lors.
IM : J’ai beaucoup entendu parlé de pouvoirs mystiques dans cette rébellion de Côte d’Ivoire que l’on impute essentiellement aux dozo ; qu’en est-il réellement ?
CB : Nous les dozo, nous ne craignons pas les armes à feu ; PA, kalach, AA52, lance-roquettes ou char de combat. D’ailleurs tout ce que nous avons aujourd’hui comme armement nous vient des loyalistes. Nous avons récupéré leurs armes après chacune de leurs défaites face à nos troupes. Pour vous donner un exemple, sachez par exemple que nous avons commencé la guerre avec l’unique A52 que nous avions prise aux militaires lors de l’attaque de notre lieu de culte en brousse, fin 2000. Mais aujourd’hui nous en comptons plus de deux cent. Les loyalistes ont été puissamment armés pour venir nous combattre mais très peu sont retourné. Tout se passe comme s’ils venaient tout bonnement nous remettre leurs vies et leurs armes.
IM : Aujourd’hui on parle surtout de paix et réconciliation, de désarmement et réinsertion des combattants. Quelle est la position de vos dozo par rapport à la nouvelle donne ?
CB : Tant que Gbagbo Laurent restera au pouvoir, les dozo ne baisseront pas la garde. Nous restons très vigilants. Quant à l’avenir de nos éléments, il est clair que chacun retrouvera son activité professionnelle d’avant la guerre. Moi, je suis tradi-praticien et je continu de traiter mes malades auxquels je me consacrerai entièrement après la guerre. Les autres en feront autant. Pour nos plus jeunes éléments, ceux qui seront inaptes au métier des armes seront réorientés vers d’autres activités avec une prime de démobilisation.
IM : Depuis le temps qu’on en parle, avez-vous déjà rencontré des organismes ou centres de formation s’intéressant à la réinsertion des éléments désireux de faire autre chose que l’armée ?
CB : Pas pour l’instant ! Nous serons ravis de collaborer avec de telles structures si elles sont sérieuses et bien organisées comme nous. Cela permettra aux éléments consciencieux de préparer leur avenir en dehors de l’armée et de bien gagner honnêtement leur vie au lieu de traîner en ville en commettant ci et là des gaffes. Des centres de ce genre seront à mon avis très utile pour la démobilisation des combattants en fin de guerre.
IM : Un dernier mot pour les nombreux ivoiriens de la diaspora ; beaucoup ont suivi la guerre de loin avec amertume. Ils ne cessent de s’inquiéter pour leurs parents et amis restés au pays.
CB : D’abord je voudrais leur dire de ne pas s’inquiéter pour la vie de leurs parents. Nous ne sommes pas en guerre contre la population mais contre le Président Gbagbo. Cette rébellion n’est pas une guerre tribale dirigée contre telle ou telle ethnie. Seuls les disciples et les sbires de Gbagbo doivent nous craindre car ils tomberont avec lui.
A ceux qui comprennent le sens de notre combat, je leur demande de nous venir en aide dans l’organisation de nos troupes. Nous avons beaucoup de courage et de détermination mais manquons de matériel. Certains de nos amis vivant en Europe nous ont déjà envoyés la somme de vingt-cinq millions de francs CFA et 2600 T-shirts. Nous sommes en contact permanent avec eux. J’exhorte les autres aventuriers qui souhaitent nous soutenir à faire autant car c’est aussi pour eux et leurs familles que nous luttons. Nous voulons la justice et la liberté pour tous les Ivoiriens.
Entretient mené par Pablo Senior, alias Wurufato.
Pour Indymedia Belgium.