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Rencontre avec un rebelle des forces nouvelles de Côte d'Ivoire
by Wurufato Friday July 04, 2003 at 11:03 PM
wurufato@yahoo.com

Un rebelle blessé par le MI24 de l'armée régulière ivoirienne raconte sa guerre dans l'Ouest ivoirien.

Rencontre avec un re...
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Soum K. : « Je suis devenu rebelle après une série de frustrations. »

Rencontre avec Soum K, un jeune transporteur d’Abidjan devenu rebelle. Blessé par l’hélico (MI 24) de Gbagbo le 14 avril 02 lors de la mission de nettoyage de l’Ouest ivoirien, de son lit d’hôpital à Man, il a suivi avec amertume la progression de ses camarades de troupe dans le Far West ivoirien. Depuis sa chambre du camp des Guépards à Bouaké où il finit sa convalescence, il raconte…

Indymédia : Comment es-tu venu à la rébellion ?

Soum K : Je suis un jeune transporteur d’Abidjan qui suivait tous les évènements politiques du pays. Depuis que la xénophobie occupe l’essentiel du débat politique en Côte d’Ivoire, j’ai décidé de participer aux manifestations de protestation contre le pouvoir. Nous subissions à chaque marche la répression violente des forces de Laurent Gbagbo. Lors de la marche du 4 décembre 01, une marche pourtant autorisée, la BAE (brigade anti-émeute) et l’armée nous ont tendu un piège ; certains policiers en civil et munis de PA (pistolet automatique) se sont infiltrés parmi la foule pour semer le trouble, provoquant ainsi la réaction de la BAE avec des bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants. Nous avons regagné nos domiciles le cœur rempli de colère contre ces agents et leurs commanditaires qui nous disaient pourtant que c’est par le jeu démocratique que nous devrions exprimer nos convictions. Un peu plus tard pendant le mois du Ramadan de la même année, ayant passé la nuit à la gare, je me suis réveillé vers 5h du matin pour manger avant le jeun de la journée. Vers 5h30 je suis allé au bord de la route pour acheter de la cigarette lorsque des militaires patrouillant dans le cadre du couvre-feu me prirent en chasse. J’ai échappé à la mort ce jour là grâce à ma vitesse de course et à ma connaissance des alentours de la gare routière d’Adjamé. Le 27 octobre 2000, après les manifestations contre la prise de pouvoir forcée de Laurent Gbagbo au départ du Général Guei Robert, j’ai eu pour la première fois très peur pour ma vie ; plusieurs barrages de milices civiles interceptaient partout dans la ville d’Abidjan les gens de mon ethnie, les Dioula (nordistes), qu’ils assassinaient sur la voie publique sans même prendre la peine de cacher les corps. Revenant d’Abobo-Andokoi, j’aperçus un premier barrage que j’ai évité en m’engageant sur le chemin de fer jusqu'à Yopougon. Des heures de marche plus tard, à 2 km de la prison civile, un vieil homme m’intercepta, me demanda mon ethnie avant de me conseiller de faire demi-tour si je tenais à ma vie. C’est avec la peur au ventre que je repris l’autoroute, jonchée de cadavres et marchai vers mon domicile.

IM : Revenons à ton engagement au sein du Mouvement rebel.

SK : Le 19 septembre 02, lorsque j’ai entendu les coups de feu de chez moi dans un quartier d’Abidjan, j’ai senti que quelque chose de grave se passait dans le pays. On nous disait aux nouvelles que les mutins avaient replié d’Abidjan mais qu’ils tenaient Bouaké. J’ai alors confié à mes amis que le changement était en marche en Côte d’Ivoire et que je me joindrai aux mutins pour les aider dans leur combat de libération du pays.
Prétextant un voyage au village, j’ai quitté les miens à Abidjan pour Bouaké via Zénoufla et Tiénougbé. Je suis arrivé le 1er novembre 02 à Bouaké où je me suis présenté aux chefs rebelles comme volontaire. On me demanda un code que j’ignorais avant de refuser ma requête. Je pris mon mal en patience et suis allé me poster au corridor nord auprès des mutins. Je revenais chaque fois après avoir erré dans cette ville que je ne connaissais pas auparavant dans l’espoir d’être un jour engagé comme les autres volontaires du Mouvement. Finalement je passais la nuit là et mangeais avec les frères mutins à ce barrage important de la sortie nord de la ville de Bouaké. Un beau matin, un chef de guerre de la rébellion est arrivé au poste à la recherche de candidats pour la formation d’une nouvelle compagnie. Ce fut mon jour de chance. Nous avons entamé les entraînements dans différents lieux de la ville, début décembre 02. Nous allions régulièrement en brousse pour 24h d’exercices militaires avec des sacs remplis de sable au dos. Pour nous qui n’avions jamais fait l’armée, il nous fallait beaucoup de courage pour ne pas abandonner. Aussi, j’avais foi en mes chefs qui ne cessaient de nous motiver ; notre lutte étant noble, nous devrions mettre toutes les chances de notre côté pour la victoire finale en nous préparant aux pires situations de guerre. Ma motivation était si grande que je fini par m’imposer comme l’un des formateur de notre compagnie.
Le jeudi 10 avril nous embarquons pour la mission de l’Ouest. Nos chefs de guerre nous reçurent successivement dans les différentes villes sur notre passage jusqu’à Man. Le lendemain matin au rassemblement, nos aînés nous ont avertis pour la dernière fois des dangers que nous courons dans cette zone de haute insécurité qu’est l’Ouest de la Côte d’Ivoire ; ceux qui ne se sentaient pas prêts pour mourir pouvaient toujours rendre leurs armes et rentrer en famille. Personne ne désistait tant notre détermination dans ce combat était sans égale. Nous prîmes la direction de Danané le samedi 12 avril pour le début des opérations. La population de Danané nous accueilli avec des cris de joie ; « nous sommes sauvés, nous sommes sauvés ». Du coup je ne comprenais pas pourquoi des populations d’une zone sous notre contrôle pouvaient nous voir comme des sauveurs. Une fois sur le terrain, les habitants nous racontèrent les exactions dont ils étaient régulièrement victime de la part des supplétifs libériens incontrôlés. Nous avons occupé nos positions dans la ville de Danané après une patrouille de prise de contact avec la population en ville. On nous raconta entre autre que les Libériens pénétraient dans le marché avec des armes en tirant dans tous les sens, de surcroît les jours de marché, dans le but de terroriser la population et piller les marchandes. Ils déviaient ainsi les objectifs de notre lutte à laquelle nous les avions engagés.
Dimanche 13, 17h. Les premiers renforts de notre compagnie font mouvement pour le front. A 23h le commandant arrive sur notre poste. C’était à notre tour de monter au front. Nous avons mené une bataille au cours de laquelle nous avons réussi à repousser les loyalistes. J’étais pendant le combat, fièrement posté à l’arrière d’un véhicule muni d’une arme lourde nommée la Sam 7. Je me trouvais avec des compagnons en poste avancé. Nous avons mangé du mouton et fait la fête avec la population le lundi matin. C’est alors que vers 12h 45 ce lundi 14 avril, alors que nous prenions paisiblement du thé, l’hélico de Gbagbo fit irruption dans le ciel de Zouhongnin à la surprise générale. Le soldat qui portait la Sam 7 n’a pu réagir à temps et l’hélico se mit à cracher du feu en fonçant en direction de la population effrayée qui fuyait pour s’abriter dans l’église. Je partis en leur direction en leur criant de se coucher. En revenant pour me camoufler, l’hélico m’a aperçu et pris pour cible. Le premier obus ne m’a pas atteint mais il persistait dans ma direction avec plusieurs rafales de mitraillette jusqu’à ce que deux balles m’atteignirent à la cuisse et au genou gauche. Je crus un instant que mon combat s’arrêterait là net. Plaqué au sol, impuissant, je continuais à encourager de la voix mes amis qui ripostaient avec bravoure. A cet instant précis les images de corps déchiquetés de civils surpris par l’arme fatale de Gbagbo se mirent à défiler dans mon esprit ; des scènes d’horreur et de désolation que j’ai vue de mes propres yeux lors de nos missions précédentes. Sous les tirs nourris de mes frères d’arme, l’hélico se sentant menacé reparti en flèche d’où il est venu. Nous n’avions que deux blessés graves. Les amis nous transportèrent aux environs de 15h à l’hôpital de Danané d’où l'on me transféra sous perfusion vers celui de Man, mieux équipé. L’idée qu’on pourrait m’amputer la jambe aggravait ma souffrance et m’était insupportable. Heureusement, l’opération s’est bien déroulée, ma jambe fut sauvée et soumise à une traction de 25 jours. Je quittai l’hôpital pour continuer mon traitement chez un tradi-praticien de Man, le cœur meurtri d’avoir abandonné mes camarades au front.

IM : Est-ce que tu recevais les nouvelles du front ?

SK : Bien sur ! Ce sont d’ailleurs les bonnes nouvelles du front qui égayaient mes longues journées d’hospitalisation et m’aidaient à persévérer dans mon désir de vite remarcher pour rejoindre mes camarades.
Ce qui m’a surtout marqué à la fin de notre mission dans l’Ouest, fin mai, c’est lorsque mes chefs, en compagnie d’un impressionnant détachement militaire sont venu me chercher pour le retour sur Bouaké. Tout le monde a su alors qui j’étais et ce qui m’avait ainsi cloué au lit. Je m’appuyai fièrement sur mes béquilles et marchai comme un héros vers les véhicules qui prirent la direction de Bouaké.

(Propos recueilli par Wurufato, le correspondant de Indymédia à Bouaké.)