arch/ive/ief (2000 - 2005)

Les nanas de la Compagnie Guépard(Forces Nouvelles de Côte d'Ivoire)
by Wurufato Wednesday June 25, 2003 at 07:32 PM
wurufato@yahoo.com

Bouaké(Côte d'Ivoire)- fief des Forces Nouvelles issues de la rébellion du 19 septembre 02. Une compagnie fait beaucoup parler d'elle; c'est la Compagnie Guépard, dont le chef vient d'être nommé Commandant de la zone sud. la compagnie compte aussi plusieur femmes...

Les nanas de la Comp...
le_sergent_kon_.jpg, image/jpeg, 320x240

Les nanas de la compagnie Guépard

L’idée de faire un papier sur les filles de la compagnie Guépard m’est lentement venue quand j’ai pénétré le camp pour faire des photos des combattants et réaliser quelques interviews. Je les rencontrais partout dans le camp, très fermement structurées et disciplinées dans leurs tâches quotidiennes de soldat, sous-officier ou civile, autant que les garçons avec lesquels elles partageaient la même destinée ; je les remarquais tantôt sous les arbres dans la cour, en compagnie des éléments mâles, buvant du thé vert de Chine tout en se marrant des histoires et mésaventures de guerre, tantôt au bâtiment de commandement, en passant par la cuisine où elles sont en toute évidence en surnombre. Dix-sept femmes se sont en effet portées volontaires pour faire à manger pour les Guépards. Cinq autres combattent. Je me suis laissé emporté par la générosité de leur engagement dans la Lutte, dans leur lutte. La Lutte de tous ceux du Mouvement avec lesquels j’ai parlé. Mais la guerre ne les intéresse-t-elle pas au premier chef ? Ce sont elles qui donnent la vie. Peuvent-elle à la fois contribuer à si violemment l’enlever avec la guerre ? Pourquoi une femme ferait-elle la guerre ? Ou bien, qu’est ce qui pousse une mère à cautionner, pire, à participer à la guerre ! En me posant toutes ces questions, j’avais en même temps les réponses. Je ne veux pas faire de romance ici. Je veux tout simplement donner la parole à qui de droit pour parler de la guerre (ou de la mort), et puisqu’elles donnent la vie, de la paix et de l’avenir aussi. De leur condition féminine.
J’ai pu mener des conversations posées avec trois d’entre elles : le Sergent, et non la sergente, Koné, la chargée de la restauration Kinan et le soldat Sita dite « S ». Elles ont chacune leurs trajets dans la vie et viennent de différents milieux socio-professionnels de ce pays qu’elles aiment forcément. Elles partagent les mêmes convictions de justice et de liberté. Deux d’entre elles, Koné et « S » sont allées et revenues du fameux front de l’Ouest. Kinan, la restauratrice est restée pour assurer avec son équipe les repas des soldats restés au camp au cas ou des renforts seraient nécessaires. Elles racontent tour à tour les évènements comme elles les ont vécus dans une série d’article que je me propose de vous livrer en trois parties sous le titre ‘Les nanas de la Compagnie Guépard’.
Cette semaine je publie les propos de la plus féministe de la compagnie Guépard, le Sergent Koné :

De son ralliement :
« Je me nomme Sergent Koné, je suis de la compagnie Guépard du Sergent-chef Chérif Ousmane. Je suis une policière de Bouaké qui s’est tout de suite ralliée au Mouvement du 19 septembre 02. Je me suis ralliée dès que j’ai su les raisons du soulèvement. L’on n’a cessé de parler d’étrangers qui attaquaient la Côte d’Ivoire en tout début de crise. Il n’en est rien car nous qui étions ici sur place avons pris le train en marche parce que les vraies causes de cette insurrection sont justes et nobles ; combattre de façon radicale la discrimination religieuse et ethnique dont une grande partie de la population était sans cesse victime. Pour que la Côte d’Ivoire redevienne elle-même, c’est à dire une et indivisible patrie, il n’y avait plus que la voie des armes car toutes les voies du dialogue ont été épuisées. Les armes permettent de se faire entendre et la diplomatie prend le relaie pour résoudre le problème de façon durable.
Avant le 19 septembre la situation était aux limites du supportable. Moi qui suis née ici à Bouaké, je connais beaucoup de gens dans la ville. Il ne se passait pas de jour sur le terrain sans intervention de ma part auprès de mes collègues policiers pour sauver un tel ou un tel civil. J’ai donc décidé de quitter le terrain pour me confiner dans un bureau.
En tout début de mutinerie, les ralliements étant soupçonneux, je n’ai donc pas participé aux premiers combats, notamment la bataille de Bouaké les 5, 6 et 7 octobre 02. Je suis entrée dans la danse en mi-octobre et j’ai participé à la mission dans l’Ouest.

De la mission dans l’Ouest :
Avant la libération de Danané, nous avons effectué un premier voyage dans la région et tenue des meetings à Man puis à Danané même avec le Secrétaire Général du Mouvement et les différents chefs de guerre. Ces consultations nous ont donné l’occasion de mieux apprécier la situation dans l’Ouest. Quand nous y sommes retournés dans le cadre de la mission de nettoyage avec les Guépards, nous étions très vigilants car nous avions des appréhensions concernant la loyauté de nos alliances dans la région des 18 montagnes (l’Ouest ivoirien).
Notre objectif initial était de collaborer avec toutes nos forces présentes sur le terrain afin de sécuriser la population locale. Mais ayant constaté des irrégularités dans le comportement des uns et des autres nous avons été obligés de prendre les devants. Nous ne savions plus qui étaient nos amis et qui étaient nos amis. Il se trouvait que nos supposés amis étaient ceux-là même qui désarmaient nos propres éléments. Les Guépards ayant eu une formation basée sur la discipline, les éléments rendaient toujours fidèlement compte de ce qui leur arrivait sur le terrain au Sergent-chef Chérif Ousmane, notre Commandant, qui nous indiquait alors la conduite à tenir. Les exactions allant grandissantes, nous avons autorisé nos éléments à désarmer tous ceux de Félix Doh qui commettaient des actes de violence sur la population. Après les avoir désarmés, nos éléments venaient rendre compte au chef et lui remettaient les armes saisies. Dans un premier temps, le commandant se rendait chez leurs supérieurs pour faire savoir son mécontentement de voir autant d’éléments incontrôlés de leur rang saboter ainsi notre travail, puis il leur rendait leurs armes.
Devant la persistance des pillages des populations, nous avons changé de stratégie et nous étions désormais méfiants vis à vis de nos alliés d’hier. Notre méfiance atteint son paroxysme lorsque de nuit, les Libériens de Félix Doh se mirent à attaquer nos positions à l’arme lourde. C’était le jeudi noir ; la nuit du 23 au 24 avril 03. Le 23 en fin de journée, une de nos patrouilles dirigée par le Caporal-chef Namori est sortie par miracle indemne d’un bombardement à la roquette ; le véhicule dans lequel ils se trouvaient a été atteint par deux roquettes ennemies et par la grâce de Dieu tous les quatre s’en sont sortie intact. Au bout de plusieurs jours de combat nous avons mis ces Libériens hors d’état de nuire avant de faire face aux loyalistes pour libérer Zouhongnin. Nous voyions venir chaque jour des populations déplacées des campagnes et villages vers la ville. Ils nous racontaient que les loyalistes pillaient leurs biens, violaient les femmes avant de brûler les villages. C’est alors que nous avons ouvert le front à Zouhongnin pour freiner les loyalistes dans leur progression. Vers la mi-mai, le cessez le feu est intervenu et nous avons arrêté les combats. Ce fut la fin de notre mission dans l’Ouest. Nous avons quitté la région et sa population en pleurs qui s’était attachée à nous. Nos responsables ont installé un nouveau C.O (chef des opérations) à Danané qui a la tâche de continuer le travail. Nous espérons que ce dernier ne tombera pas dans les mêmes pièges de l’Ouest.

Retour à Bouaké et Réconciliation:
De retour à Bouaké, nous voilà de nouveau confronté à un problème d’ordre et de sécurité dans la ville. Nous allons prendre le temps de constater ce qui ne va pas et nos autorités prendront les mesures adéquates pour un retour rapide de l’ordre.
Par ailleurs je tiens à dire deux mots sur le processus de réconciliation pour apaiser les Ivoiriens ; l’entrée de nos ministres dans le gouvernement de Seydou Diarra est la preuve que nous privilégions l’option diplomatique pour mettre fin aux souffrances de la population car c’est pour elle que nous combattons. En cas de fléchissement dans l’application des accords de Marcoussis, nos ministres ont pour rôle d’interpeller le comité de suivie et l’opinion internationale. Quant aux zones sous notre contrôle, nous prenons à témoin les forces d’interposition Licorne et celles de la CEDEAO pour dire au monde entier comment nous traitons nos populations.

Femme, au sein de la compagnie Guépard :
Nous sommes six femmes au sein de la compagnie Guépard dont cinq combattantes, avec une équipe de dix-sept restauratrices. Il n’y a eu aucun problème à notre intégration à la compagnie. Personnellement, étant du corps, j’ai depuis longtemps épousée la mentalité militaire même si je suis de temps à temps confrontée à des problèmes dues à ma condition de femme. Avec mes collègues militaires il n’y a pas de problème car c’est la hiérarchie qui prime sur le sexe.
Les hommes nous confinent dans des rôles classiques de femme qui sont de faire la cuisine ou de rester au bureau. C’est à nous de nous démarquer et de montrer sur le terrain de quoi nous sommes capables. Ce que nous avons fait en allant au front. Nous y avons combattues au même titre que les hommes. Ces hommes nous donnent du respect parce qu’ils nous ont vus à l’œuvre.
Dans la vie de tous les jours, certains hommes, en nous voyant en tenue, ont peur de nous approcher par crainte de notre réaction. Moi je ne mets pas de barrière entre les hommes et moi. Mais lorsqu’ils franchissent certaines limites je les rappelle à l’ordre. Au-delà du travail il y a des responsabilités et des obligations dévolues à toute femme quel que soit son rang, son grade ou sa fonction dans la vie. Il s’agit de faire un équilibre entre les deux.
Dans ma famille tout le monde m’encourage tant ils sont fiers de me voir dans l’armée. Je suis issue d’une famille de 12 garçons et seulement 4 filles dont j’étais la seule restée en famille. Les 3 autres n’ayant pas grandies avec nous, j’étais toute seule parmi mes 12 frères. Cela a dû certainement influencer mon orientation vers une carrière masculine même si j’aimais au départ le métier des armes. Il faut dire en outre que mon père fut militaire et a fait la guerre d’Algérie dans les années 50. Et puis c’est au tour de l’aîné de la famille d’embrasser la carrière de militaire. Je ne suis donc qu’une continuité dans le sillon tracé par ceux qui m’ont précédée.
J’aime la discipline et la tenue dans l’armée. Un peu moins les armes. C’est plutôt la discipline qui m’attirait le plus dans ce métier. Nous étions à l’époque très peu familiarisés avec les armes en Côte d’Ivoire. Il y a aussi au sein de l’armée un traitement égal pour tous selon la seule hiérarchie militaire, que vous soyez homme ou femme. On ne dit pas par exemple sergente, adjudante ou lieutenante ! Lieutenant, c’est Lieutenant et le coté féminin, on s’en fiche, si vous me permettez l’expression! Vous entrez, hommes et femmes en formation, vous faites toutes les étapes nécessaires pour l’obtention de vos rangs. A la sortie, vous avez le même grade et vous accomplissez les mêmes missions. C’est en tant que combattantes que le Sergent-chef Chérif nous a fait appel, nous les quatre filles sur cinq combattantes pour la mission dans l’Ouest. A partir du moment où nous sommes militaires, que vous soyez femme ou homme, quand il y a la guerre il faut assumer…

Ses souhaits pour son pays, la Côte d’Ivoire, … et pour les combattants :
Je souhaite sincèrement qu’on en finisse avec cette guerre. Que chacun retrouve sa stabilité! Que l’on se remette au travail, tous ensemble, pour bâtir la Côte d’Ivoire de demain.
Je pense dans l’immédiat à l’avenir des combattants, de nos soldats volontaires qui se sont massivement engagés de nos côtés dans notre combat pour la liberté. Il va falloir entreprendre quelque chose pour la réinsertion d’une majorité d’entre eux vers divers secteurs d’activités professionnelles. Je pense d’ailleurs en premier à l’armée qui, en temps normal est en effectif méprisable dans notre pays. Je suis donc pour un engagement de beaucoup de ces jeunes dans notre future armée nationale.
Que dieu bénisse la Côte d’Ivoire ! »

(Des propos recueillis par le correspondant de Indymédia, à Bouaké.)