Interview avec Malek Boutih, président de SOS Racisme.

Le week-end dernier, lors du congrès de l'Union des organisations islamiques de France, Nicolas Sarkozy a été sifflé lorsqu'il a rappelé les règles du port du foulard...

Malek Boutih : D'abord, je trouve singulier qu'une association qui vient de participer à un processus électoral sous l'égide de l'Etat français (NDLR : la création du Conseil français du culte musulman) fasse siffler ou laisse siffler le ministre de l'Intérieur, c'est-à-dire le représentant de la République. Des sifflets qui ne font que renforcer l'image négative dont souffrent déjà les musulmans de France. D'autant que, sur le fond, le ministre n'a fait que rappeler la loi : sur les photos d'identité, on n'a pas le droit de porter un chapeau, une casquette ou... un voile. Un point, c'est tout. Une fraction des organisations musulmanes utilise-t-elle le voile pour défier la République ? Oui. Certains militants ont une volonté quasi obsessionnelle de focaliser le débat sur le foulard. Pour savoir dans quelle mesure ils peuvent nous faire reculer sur la question centrale de la laïcité. Ces islamistes ont un point commun avec le FN : à l'extérieur, un discours relativement modéré mais, entre eux, les masques tombent, et le discours devient beaucoup plus radical. S'agissant du foulard, le Conseil d'Etat avait suggéré une approche pragmatique... Cette approche-là a atteint ses limites face à des gens qui ont clairement des objectifs politico-religieux. Quelle est, en effet, la réalité ? La plupart de ceux ou plutôt de celles qui ont un rapport au voile simplement religieux ont fini par accepter les règles de la laïcité. D'autant que la France n'interdit pas aux filles de porter le voile chez elles ou dans la rue : elle leur demande seulement de respecter le cadre public, par exemple dans les écoles...

« Certains prennent la France pour un pays musulman »

Certaines organisations musulmanes ont, à vos yeux, une conduite ambiguë...

En écoutant certains mouvements, on ne sait pas s'il s'agit de partis ou d'organisations religieuses. une fraction d'entre eux cherche à instrumentaliser la question religieuse pour devenir des porte-parole politiques. Ce qui me gêne, c'est qu'ils ont été choisis comme interlocuteurs par le ministère de l'Intérieur. Ils ont reçu unilatéralement un label de respectabilité républicaine. Il faut quand même rappeler que le Consistoire musulman a été élu par une poignée de gens : moins de 1 000 personnes sur plus de cinq millions de fidèles. La plupart des musulmans n'ont, eux, rien compris à ce qui s'est passé. La majorité des musulmans de France ne demande qu'à vivre tranquillement, dans la sphère privée, leur islam. Les organisations islamistes, elles, se comportent comme si elles étaient dans un pays musulman. Nicolas Sarkozy doit-il clarifier les choses ? Dès lors qu'il a choisi ses interlocuteurs, il en a la responsabilité. Je crains que le ministre de l'Intérieur n'ait joué à l'apprenti sorcier. Le ministre réclame une répression accrue contre l'usage du cannabis... Le débat sur le cannabis est peut-être le plus gros tabou de notre vie politique. Le discours public des responsables n'a en effet rien à voir avec leurs véritables convictions. Car il ne s'agit pas que des trafiquants de drogue. Aujourd'hui, un jeune Français sur deux a goûté au moins une fois au cannabis, et ça représente un marché de plusieurs millions d'euros par an, géante pompe à finances du gangstérisme qui naît dans les banlieues. Du coup, si on refuse de poser le problème du cannabis de façon responsable, on va droit au mur en renforçant l'économie parallèle qu'on prétend combattre : quand on arrête un dealer, il y en a dix pour prendre sa place compte tenu de l'argent en jeu. On voit trop bien qui trafique avec la drogue, on feint de ne pas voir qui la consomme. Or on consomme aujourd'hui plus de cannabis que de Smarties ! Il faut que le ministre de l'Intérieur regarde cette réalité en face, et que le débat s'ouvre. On verra ensuite sur quoi il débouche. La plupart des adultes sont prêts à un dialogue sans tabou. Ce sont les politiques qui bloquent tout. Comme s'ils acceptaient l'idée de deux sociétés étrangères l'une à l'autre : celle du ghetto (structurée par la drogue) et celle hors du ghetto. Mais c'est une forme de défaitisme par rapport à la reconquête républicaine des banlieues.

« Le FN m'inquiète »

Le congrès du FN a été marqué par la promotion de Marine Le Pen...

Je suis inquiet. Il y a un vrai projet politique qui se dessine dont Marine Le Pen est porteuse : permettre au FN de participer un jour au pouvoir. Et, pour commencer, je ne prends pas à la rigolade les ambitions proclamées de Jean-Marie Le Pen. Je considère en effet, sur la pente où nous sommes, que le FN peut en 2004 gagner seul et sans alliance plusieurs régions. Je vous demande de me passer l'expression, mais on va donc être obligé de « mettre les mains dans la merde ». Si les citoyens et les mouvements associatifs ne comprennent pas qu'ils doivent être des acteurs de la vie politique, y compris au moment des échéances électorales, alors j'ai bien peur que rien ne résiste à la montée en puissance du FN qui se nourrit d'une abstention croissante.

Que dites--vous à la droite et à la gauche ?

La droite doit respecter les engagements moraux pris au moment du 21 avril : aucune alliance avec le FN. La gauche doit cesser de faire de l'antifascisme sans contenu, mais aller plutôt sur le terrain

arch/ive/ief (2000 - 2005)