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SNCB: Plan Move 2007 contre Plan des travailleurs
by Paul De Rammelaere Monday June 23, 2003 at 07:59 PM

Le Plan Move 2007 veut supprimer 10.000 emplois, réduire les coûts de 25 à 30%, augmenter les tarifs, etc. Si on ne l'applique pas, la survie de la SNCB est menacée, prédit l'administrateur délégué. Karel Vinck. Mais pour le cheminot PTB Paul De Rammelaere, le plan de Vinck conduit également à la mort de l'entreprise. Il oppose au Plan Move 2007 le Plan des Travailleurs. Comparons.

SNCB: Plan Move 2007 contre Plan des travailleurs

Karel Vinck, administrateur délégué nommé plus ou moins illégalement par le gouvernement en 2002 (il a des amis libéraux mais aussi socialistes), Vinck a été président de la VEV, organisation du patronat flamand. C'est un patron de choc qui a déjà inscrit pas mal d'encoches sur son fusil à licencier: 1.300 emplois supprimés chez Bekaert, 2.000 à Umicore (ex-Union minière) et maintenant 10.000 programmés à la SNCB.

Paul De Rammelaere, prépensionné liégeois de 55 ans, a été accompagnateur de train pendant 20 ans. En 2002, il a posé sa candidature à la fonction d'administrateur délégué de la SNCB et élaboré à cette occasion avec les autres cheminots du PTB un plan alternatif. Ce plan a été soumis sous forme de référendum aux travailleurs et usagers du rail.

Les voyageurs

Vinck dit vouloir augmenter de 12% le trafic intérieur d'ici 2007 pour atteindre 170 millions de voyageurs. Mais dans le même temps, il programme la suppression de lignes régionales, où il juge que le nombre de passagers est insuffisant. Ce qui suscite de vives inquiétudes dans la province du Luxembourg, par exemple, où la densité de population est peu élevée.
Vinck promet d'améliorer l'accueil des passagers, la ponctualité, la propreté, le nombre de places assises. Mais tout en planifiant une baisse des coûts de l'activité voyageurs, en réduisant l'encadrement, en augmentant la productivité du personnel, en assurant un contrôle des coûts généraux. On flaire donc la pub mensongère qui sert surtout à justifier une augmentation des tarifs.

Pour Paul De Rammelaere, la SNCB doit être et rester une entreprise publique au service de la population. Elle doit proposer une offre ferroviaire régulière. Pas seulement sur les grandes lignes et aux heures de pointe, mais aussi les week-ends et dans les régions à moindre densité de population.
Il faut suffisamment de personnel pour garantir la fréquence, la ponctualité, l'accompagnement, le confort des trains. Le Plan des Travailleurs prévoit par exemple d'investir dans des voitures confortables, la moitié du parc actuel devant être renouvelé d'urgence.

Les tarifs

Vinck veut obtenir une liberté tarifaire accrue. En clair: il veut augmenter les prix, sous prétexte qu'ils seraient de 15% inférieurs à la moyenne européenne. De même, il prévoit une simplification de la gamme de tarifications (lire: suppression de certains tarifs préférentiels). A l'instar des cheminots, les usagers payeraient donc aussi la note. Dans ce cadre, Vinck entend appliquer un meilleur contrôle de la fraude. Augmenter les prix et réprimer: ce n'est pas cela qui va réduire les agressions dans les trains, dont 90% se déroulent lors de la régularisation d'un trajet non payé.

Le Plan des Travailleurs prévoit une réduction immédiate des tarifs de 50% et le transport gratuit pour les plus défavorisés. Avant tout car la mobilité doit être considérée comme un droit, au même titre que la santé ou l'éducation. Ensuite car une baisse des prix favorisera les transports en commun face aux voitures, d'où moins d'embouteillages, de pollution, d'accidents de la route. Les pouvoirs publics doivent donc financer comme il faut le transport de voyageurs. Cependant, une partie du financement doit venir du paiement par les employeurs des abonnements déplacements domicile-lieu de travail de leur personnel.

L'emploi

Move 2007 prévoit de ne garder que 32.000 équivalents temps plein à l'horizon 2007. Soit une perte de 10.000 emplois, d'une part via les départs naturels, d'autre part via des prépensions pour lesquelles l'aide du gouvernement est sollicitée. Au moment où le formateur parle de créer 210.000 emplois (précaires), il devrait donc débourser de l'argent pour supprimer des emplois (statutaires).

«Vinck veut supprimer un quart des emplois et encore augmenter le trafic ferroviaire, fulmine Paul De Rammelaere. C'est catastrophique pour l'emploi mais aussi pour la charge de travail de ceux qui restent. L'ensemble des cheminots cumulent déjà 600.000 jours de congé de retard. Pour que les agents puissent récupérer leurs congés, il faut 5.000 personnes supplémentaires. C'est recruter qu'il faut faire, pas licencier!»
Réduire les coûts au nom du profit ou augmenter les moyens au nom de transports publics réguliers, bon marché et... sûrs? Deux accidents mortels ont touché l'Espagne et l'Allemagne début juin.

La sécurité

Le plan Move 2007 prévoit des économies substantielles «tout en garantissant un niveau de sécurité très élevé qui restera un des meilleurs d'Europe». Mais tous les cheminots travaillant à des postes sensibles sont formels: faire des économies et réduire l'emploi va conduire à des catastrophes. En Grande-Bretagne, les économies substantielles induites par la privatisation du rail ont multiplié les accidents graves. Et la libéralisation européenne étend ce problème aux autres pays. Sur une semaine, début juin, deux accidents mortels ont fait au moins six morts en Espagne et six morts en Allemagne.

Pour Paul de Rammelaere, l'accident mortel de Pécrot (2001) et d'autres accidents graves de ces dernières années ont montré que la sécurité n'est pas optimale. Le Plan des Travailleurs prévoit d'importants investissements, notamment pour: l'équipement des lignes du système TBL2, qui empêche les trains de brûler les feux rouges; l'équipement de tout le réseau d'un système de communication efficace avec les trains et de GPS permettant de localiser les convois sur tout le réseau; la modernisation des cabines de signalisation; l'amélioration de la formation permanente.

La reprise de la dette

Vinck demande au gouvernement de reprendre la dette SNCB en 2005 à concurrence de 7,2 milliards d'euros (dette de la Financière TGV comprise). Par ailleurs, Vinck limiterait les investissements à 5,8 milliards, contre 6,5 milliards dans le plan 2001-2012 du gouvernement arc-en-ciel. Dans ce scénario, il resterait tout de même une dette de 3,3 milliards en 2007. Le gouvernement envisagerait de vendre les 50% de parts que l'Etat détient encore dans Belgacom pour financer cette reprise.

«La reprise de la dette, constate Paul de Rammelaere, c'est l'Europe qui l'impose depuis 1991. Dans le but de privatiser, en offrant au privé des sociétés ferroviaires rentables. Ici on aurait une double privatisation: celle de Belgacom préparant celle de la SNCB.» Pour le cheminot, reprendre la dette, oui, mais pas pour privatiser: pour permettre au service public de fonctionner convenablement sans enrichir les banques.

La concurrence

Vinck veut réduire l'emploi et augmenter la productivité pour faire face à la concurrence. En mars 2003, le trafic international de marchandises a été libéralisé sur une grande partie du réseau, ce qui signifie que des firmes peuvent concurrencer la SNCB. L'Union européenne veut libéraliser le trafic national de marchandises en 2006 et le trafic voyageurs en 2008. Le plan Move 2007 cite Louis Gallois, président de la SNCF: «Mon message aux cheminots est simple: si nous jouons l'Europe à 100%, si nous sommes conquérants, nous gagnerons.» Une logique de guerre qui tue l'emploi et, via les accidents, tue tout court.
D'ailleurs, le plan Vinck veut orienter le transport marchandises vers trois pôles particuliers: cela indique qu'il s'attend à ce que, pour le gros de l'activité, la SNCB sera bouffée par des firmes plus puissantes.

«La SNCB n'a d'avenir que comme service public», soutient Paul De Rammelaere, qui rejette la libéralisation et la privatisation du rail. La libéralisation, c'est l'introduction de la logique de profit. On voit bien à travers le plan Vinck que si la libéralisation profite à certains capitalistes, elle nuit autant aux usagers (hausse de tarifs) qu'aux travailleurs (baisse de l'emploi). «Nous voulons le rétablissement du monopole public des chemins de fer au niveau national et européen. Les autres compagnies européenne ne doivent pas être des concurrentes, mais des partenaires avec lesquelles collaborer pour rendre un véritable service public à la population.» A terme, il doit être possible d'avoir une seule compagnie publique de chemin de fer pour toute l'Union européenne.

La réduction des coûts

Réduire les coûts de 25 à 30%, tel est le leitmotiv de Vinck. Promettant de sortir la SNCB du rouge et d'atteindre un bénéfice de net de 535 millions d'euros en 2005, il veut réduire les frais généraux et améliorer la productivité du réseau, du matériel, du personnel. Mais le pourcentage de réduction des coûts n'étant guère éloigné de celui des emplois visés, on voit que c'est surtout la productivité (l'exploitation) du personnel qui devrait augmenter. Par exemple, quand Vinck veut concentrer les postes de signalisation, centraliser les cinq dispaching régionaux en un centre national, réduire le nombre d'atelier... cela a toujours pour effet de réduire le personnel ­ en plus d'augmenter l'insécurité!
Afin d'imposer pratiquement la hausse de la charge de travail et de la flexibilité, le plan prévoit même un «coaching pour le changement». Propagande patronale intensive? Surveillance rapprochée? Entraînement paramilitaire? Ce qui est sûr, c'est qu'avec 10.000 emplois en moins et 12% de trafic voyageurs en plus, la situation déjà intenable maintenant deviendrait catastrophique. Par exemple, les conducteurs de train devraient de plus en plus souvent commencer à 4 heures du matin sept jours de suite. Imaginez l'impact physique pour un cheminot de 50 ans. Avec aussi le risque qu'un machiniste s'endorme et brûle un feu rouge, ou qu'un signaleur exténué dirige un train sur une mauvaise voie...
«Depuis 1981, remarque Paul De Rammelaere, on a déjà supprimé 25.000 emplois pour réduire les coûts. Et les problèmes financiers sont plus importants que jamais.» Le Plan des Travailleurs avance d'autres pistes pour financer le rail.
La SNCB doit cesser d'être la vache à lait du privé. Les banques encaissent des millions d'intérêts à cause de la dette persistante. Des firmes privées profitent d'opérations douteuses comme le sale lease and back (la SNCB vend son matériel à une firme privée qui le lui reloue). Des fournisseurs comme Bombardiers livrent des wagons 25% plus chers que le marché. Etc., etc., etc. (voir l'étude des cheminots du PTB, Solidaire, 11/6/03).
Le trafic marchandises doit se faire à un juste prix de manière à permettre un transfert de bénéfices vers le trafic voyageurs.
L'Etat doit financer les transports publics mais sans augmenter l'impôt pour le peuple. Le Plan des Travailleurs préconise un impôt sur les grandes fortunes (1% sur les fortunes de 0,375 million d'euros, 2% sur celles de 0,5 million), un retour à un impôt des sociétés de 40% (sans réductions de toutes sortes) et une réelle lutte contre la fraude fiscale.

Les structures

En marge de son plan, Vinck a adressé une note au gouvernement pour revoir les structures et les organes de gestion. But: «Mieux s'adapter au nouveau contexte de concurrence en Europe et clarifier les mécanismes de gestion de la SNCB.» Traduction: gérer encore plus la SNCB comme une entreprise privée, comme étape préparant une privatisation au moins partielle des activités.
La SNCB paye des sommes folles à une armée de managers qui gaspillent de l'argent dans des projets ruineux comme ABX et qui sont liés à des intérêts privés qui sucent la SNCB. Les salaires de ces managers sont secrets et partiellement payés en noir depuis des filiales étrangères, comme l'a découvert l'Inspection spéciale des impôts.
Les managers liés au privé doivent être mis dehors de la SNCB. Les membres du conseil d'administration doivent être élus directement par la population, le personnel et les organisations de voyageurs. Ils pourront être démis à tout moment. Tous les plans et transactions financiers doivent être rendus publics.
Les administrateurs et managers ne doivent pas gagner plus de trois fois le salaire moyen d'un cheminot.
Tout cheminot doit avoir le droit de faire grève sans restriction et le droit de faire des déclarations publiques sur tout ce qui se passe à la SNCB. En particulier sur les lacunes par rapport à la sécurité du trafic ferroviaire.

La régionalisation

Vinck, partisan plus ou moins ouvert de la régionalisation de la SNCB, avance dans cette voie en programmant une «meilleure collaboration avec les sociétés régionales de transports». Le patronat européen veut plus de moyens pour les liaisons ferroviaires vers le port d'Anvers, ce qui remettrait en cause la clé 60/40 des investissements Flandre/Wallonie (que conteste aussi le socialiste Steve Stevaert). Si Vinck a reporté les investissements vers le port, n'est-ce pas aussi pour pousser la régionalisation?
Pour Paul De Rammelaere, il n'est pas question de toucher à l'unicité de l'entreprise, ni pour privatiser certaines activités, ni pour régionaliser. «Cela ne ferait que briser l'unité des travailleurs et permettrait de faire passer encore plus facilement des restrictions budgétaires, comme on l'a fait avec la régionalisation de l'enseignement.» Selon lui, il faut au contraire aller vers la construction d'une société publique européenne de chemin de fer.

L'entrée du privé

Vinck prévoit de faire appel à des sous-traitants privés pour des activités comme le nettoyage des gares, l'entretien des bâtiments, le gardiennage, la bureautique...
Par ailleurs, en marge de son plan Move 2007, il a remis au futur gouvernement un mémorandum dans lequel il plaide pour diviser la SNCB en trois sociétés. La maison-mère ne garderait que le transport de voyageurs. Elle chapeauterait deux filiales, l'une s'occupant de l'infrastructure, l'autre du transport de marchandises. Cette dernière serait transformée en société anonyme de droit privé et ouvrirait ses portes à un partenariat avec le secteur privé.
Paul De Rammelaere s'oppose à la politique de filialisation de la SNCB: «Cette politique consiste à diviser la société en activités rentables et activités non rentables. Les premières seraient cédées au privées, les secondes financées par l'Etat ou laissées à l'abandon.» Selon le Plan des Travailleurs, toutes les filiales et activités doivent rester dans le giron de la SNCB. C'est triplement nécessaire. Un, pour garantir que tout le personnel ait le même statut. Deux, pour empêcher toute privatisation. Trois, pour que les bénéfices réalisés dans les secteurs les plus rentables puissent partiellement financer des activités sociales comme le transport de voyageurs.

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