arch/ive/ief (2000 - 2005)

Les mouvements sociaux : les écouter ou les mettre sur écoute ?
by Hedebouw Raoul Wednesday June 18, 2003 at 10:12 AM

Je m?appelle Raoul Hedebouw. Je suis enseignant. En septembre 2001, j?étais porte parole de la coordination « S22 vers D14 ». Coordination dont le but était d?organiser une manifestation contre le sommet européen des ministres des finances qui se tenait le 22 septembre dans la citée ardente liégeoise. « Cette Europe n?est qu?une construction anti-sociale, anti-démocratique et belliciste » était notre message.

Un an et demi plus tard, fin avril 2003, revenant d?un long voyage en République Démocratique du Congo, j?apprendrai qu?au tribunal de première instance, à Liège, un dossier était ouvert à ma charge, à mon insu. Et pas un léger puisqu?il s?agissait ni plus ni moins d?une « association de malfaiteurs » impliquant encore 2 autres militants « altermondialistes ». Je découvrirai la mise sur écoute de mon GSM privé ainsi que l?interception de mes mails. Egalement des rapports de policiers en civil présents à nos réunions ainsi qu?à nos manifestations.

Avant de rentrer dans les détails de cette violation flagrante de ma vie privée, je voudrais informer tous les citoyens épris de démocratie que cette « découverte » ne constitue sans nul doute que la partie visible de l?iceberg du monde de « Big Brother ». La sécurité de l?état constituant la partie invisible et non officielle. Pour ceux qui n?ont pu regarder l?émission « Hebdo » de la RTBF du 14 décembre 2001 traitant du mouvement anti-mondialiste, je rappellerai qu?en avril 2001, un emploi m?a été refusé à l?aéroport national de Zaventem auprès de la défunte Sabena. Par la douce voix de mon agence intérimaire par laquelle nous, les jeunes, devons de plus en plus passer, j?apprendrais que des « cercles supérieurs » ont pris la décision de ne pas me permettre de travailler à l?aéroport de Bruxelles National. Après vérification, il apparaît bel et bien que la seule instance centralisant toutes les informations au sujet des citoyens se trouve derrière cette décision : j?ai nommé la sécurité de l?Etat.

Il va sans dire que je condamne fermement cette intrusion dans ma vie privée, ainsi que toutes les conséquences que cela comporte pour le mouvement social en Belgique et pour ma vie personnelle. Mais je condamne avec une plus grande fermeté encore les motifs et la logique justifiants de telle mesure. Et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, on utilise contre moi la loi 324 bis utilisée contre les « organisations criminelles ».
Or, je ne suis pas un criminel. Je suis un activiste qui se bat pour un monde meilleur. Un monde plus juste où l?argent dépensé pour la guerre servirait à renflouer les caisses de l?enseignement. Ou les bénéfices plantureux des multinationales servirait à créer de l?emploi et non du chômage. Ou les nouvelles technologies serviraient à développer le tiers monde plutôt qu?à détruire l?emploi. Je ne suis pas un criminel et la justice le sait. Il s?agit donc bien d?utiliser la loi des « organisations criminelles » contre des opposants politiques dans un pays comme la Belgique qui a pourtant signé la déclaration des droits de l?Homme. De plus, notre justice utilise hypocritement et politiquement contre moi une loi qu?elle n?utilise même pas contre les « véritables » organisations criminelles. Comment expliquer sinon l?étouffement de l?affaire des tueurs du brabant wallon ? De l?affaire Cools ? Des enfants disparus ? Le temps où l?on pouvait tout remettre sur des prétendus dysfonctionnement est passé me semble-t-il ?

Deuxièmement. « Mais si vous n?avez rien fait de mal, vous ne risquez rien » me disent des gens. Le problème, c?est que pour notre justice belge , ne « rien faire de mal » est tout un concept « politiquement correct ». Vous ne serez pas poursuivi par elle si vous menez une entreprise publique comme la Sabena à la faillite. Vous ne serez pas poursuivi par elle si vous êtes Général américain et que vous avez tués des civils. Vous serez à peine inquiété si vous êtes responsable d?un réseau pédophile en Belgique. Par contre, dame justice vous frappera à coup d?astreinte lorsque vous êtes délégué dans un piquet de grève. Frapper aussi vous serez lorsque vous militerez contre les centres fermés, comme nos amis du collectif contre les expulsions. Et frappez une nouvelles fois lorsque vous vous battrez contre la fermeture de votre usine, comme l?on fait les 13 délégués des forges de Clabecq. Il y a donc bien une justice à deux vitesses dans notre pays.

Troisièmement. Tout le dossier a été monté en fonction de ce qui « allait se passer » pendant notre manifestation du 22 septembre. Si aujourd?hui ce dossier se classe « sans suite », c?est parce que tout s?est déroulé « normalement ». Nous entrons donc dans la même logique que le dossier des « 13 de Clabecq » qui a vu des représentants syndicaux traînés devant des tribunaux pour des actes commis pendant des manifestations. Mais qui osera encore organiser une manifestation en Belgique s?il est responsable pour tout ce qui se passe en son sein ? Par une telle application de la loi, à la longue, tous les dirigeants contestataires syndicaux, politiques ou associatifs finiront par être condamnés devant les tribunaux.

Car c?est bien de cela qu?il s?agit. La classe politique et la justice sait que les années à venir vont être troublées socialement. Comment pourrait-il en être autrement dans une Belgique où l?emploi se fait rare et les bénéfices, par contre, plantureux. La Belgique ne sera d?ailleurs pas une exception et les luttes naissantes en France montre déjà des signes. Le 12 mai passé déjà, le gouvernement arc-en-ciel a mis en place une table d?écoute centrale et 28 tables locales qui sont en mesure de contrôler toutes les communications téléphoniques, fixes, mobiles et par satellite. Et ceci, pour la modique somme de 500 millions d?euros.

Aujourd?hui, c?est de Kinshasa que je vous écris. De cette partie « belge » de l?Afrique, je continue, avec mes camarades congolais, mon combat entamé en Belgique contre cette mondialisation capitaliste. D?ici, je comprends mieux politiquement et économiquement mon propre pays. La mondialisation néolibérale belge, c?était le soutien à Mobutu. La mondialisation néolibérale du Congo, c?était 4,3 milliards de $ de bénéfice pour la Belgique entre 1887 et 1953. Mais cette mondialisation « démocratique » a aussi un autre visage, et celui-là je le côtoies tous les jours dans les rues de Matonge à Kinshasa. Enfants mals nourris, mamans mortes de malaria et des millions de morts par la guerre est le lot quotidien du peuple congolais ?

Et aujourd?hui, dame justice veut me poursuivre pour un combat mener contre cette mondialisation. Peut-être justement parce que cette mondialisation congolaise qui lui a permis de construire son beau palais à Bruxelles ?

Hedebouw Raoul