arch/ive/ief (2000 - 2005)

France: grève générale dès le 3 juin pour le retrait du plan Fillon
by Alice Bernard Thursday June 12, 2003 at 12:08 PM

Le bras de fer continue entre le gouvernement et les travailleurs français à propos des retraites. Prochaine échéance le 3 juin, qui pourrait bien marquer le début d'une grève générale dans le pays. Le mécontentement est tel que la base exige la grève générale et des revendications à la hauteur.

Enjeu de la mobilisation du 3 juin

Les travailleurs français seront donc une nouvelle fois en grève et dans la rue le 3 juin. On annonce des manifs dans au moins trente villes. 1 Les services publics, premiers concernés par le projet de réforme des retraites, seront tous à l'arrêt. Les transports, la poste et les télécoms s'engagent dans la durée, rejoignant ainsi les enseignants qui sont en grève depuis le 13 mai, véritable locomotive du mouvement. Dans le privé, la métallurgie, la chimie, l'énergie, la construction, le verre, l'agro-alimentaire et le spectacle organisent également des arrêts de travail et participeront aux manifestations. Jean-Claude Mailly de Force ouvrière a insisté sur l'idée de "processus de grève interprofessionnelle", enclenché à partir de mardi.

Enjeu: le projet Fillon sur les retraites ayant été adopté le 28 mai en conseil des ministres, «seule une généralisation du mouvement, public-privé, et s'inscrivant dans la durée, pourra faire revenir le gouvernement sur ces choix néfastes» dit un communiqué commun des syndicats CGT, FO, FSU et UNSA.

Lors de la grande manif - 700.000 manifestants - qui a déferlé sur Paris le dimanche 25 mai, le slogan «Public-privé, grève générale» était en effet le plus populaire. Les assemblées générales sur les lieux de travail réclament également le retrait de ce projet qui amputerait les pensions de 20 à 30% de leur montant et reculerait considérablement l'âge d'accès à la retraite. 2


Pas de réforme, retrait du plan Fillon

Les directions syndicales s'inscrivent cependant dans la logique de nouvelles négociations, qui conduisent à la collaboration de classe. «Contrairement à 1995, le gouvernement a en face de lui des organisations qui veulent négocier. Ce qui devrait le faire réfléchir. Les réformes dans les pays voisins se sont négociées pendant des mois et des mois» déclare Alain Olive, secrétaire général de l'UNSA dans Le Monde du 30 mai. Mais les travailleurs français ne veulent ni réforme, ni négociations. Ils veulent le retrait du plan Fillon.

Le PS profite du mouvement pour gauchir le discours: l'ancien ministre Dominique Strauss Kahn en appelle à la retraite à 60 ans avec 75% du salaire brut, comme l'exigent les organisations syndicales. Alors qu'il y a deux mois François Hollande, secrétaire du même PS avouait sur RTL qu'il se prononçait pour les 40 annuités (au lieu de 37,5) dans le public. Le Parti communiste mise quant à lui sur la bataille parlementaire. Il vient de déposer 10 000 amendements pour bloquer le processus. C'est une manœuvre d'opposition qui donne bonne conscience, mais le gouvernement a les moyens législatifs de faire passer la loi en force. La LCR après avoir appelé à la grève générale n'y appelle plus. A la télévision, Olivier Besancenot a rejoint la position de la CGT pour qui il ne suffit pas d'appuyer sur le bouton pour déclencher une grève générale.


Le mouvement dépasse la question des retraites

Les travailleurs français affrontent une attaque généralisée contre leurs conditions de travail et de vie. Des mesures contre l'ensemble de la sécurité sociale sont annoncées pour septembre. Une partie des services publics se battent contre les projets de "décentralisation" vers les régions. Dans l'enseignement, par exemple, 110.000 personnes (agents de cuisine et de ménage, assistantes sociales, conseillers d'orientation, psychologues et médecins scolaires) seraient transférés sous la compétence des régions. Sans aucune garantie que ces gens soient encore employés dans les collèges et les lycées. Pour les écoles, cela signifie des regroupements d'établissements, une diminution du financement, en bref moins de moyens. Et un premier pas vers la privatisation (cantines scolaires, inspection médicale, etc… puis le reste). Par contre, pour créer des centres fermés pour jeunes délinquants et renforcer partout les mesures de répression, Sarkozy et le gouvernement ont de l'argent!

Ce processus de régionalisation fait intégralement partie des plans de construction européenne: supprimer progressivement les Etats nationaux, cadres des droits acquis des travailleurs, en créant des structures régionales directement dépendantes du pouvoir central européen. Comme il essaie de diviser les travailleurs dans chaque pays (public contre privé, nationaux contre immigrés, …) le patronat européen tente de dresser les travailleurs des différentes régions/pays les uns contre les autres. Il s'agit de ne pas s'y laisser prendre.

Dans le privé, la question des retraites est liée à celle des conditions de travail. Les ouvriers de Toyota Valenciennes ont déclaré dans Libération qu'ils ne veulent pas aller de l'usine au cimetière. Le pays n'a toujours pas non plus digéré les nombreuses fermetures et pertes d'emploi, malgré les millions de subventions publiques aux entreprises. Moulinex a reçu plus de 50 millions d'euros de subventions publiques pour la réduction du temps de travail. Résultat: plus de 3.000 licenciements. Après avoir reçu 13,1 milliards d'euros des pouvoirs publics, Philips (Le Mans) a licencié 1.000 personnes. Et les riches actionnaires deviennent encore un peu plus riches…

Les travailleurs précaires (chômeurs, intérimaires, …) se verront bientôt obligés de troquer le revenu minimum d'insertion (RMI - 411,7 euros par mois) contre le revenu minimum d'activation (RMA). Pour janvier 2004, le gouvernement veut imposer le travail obligatoire aux Rmistes, 20h semaine, pour à peine 140 euros de plus à la fin du mois, soit environ 2 euros de l'heure. Une situation que les chômeurs belges connaissent déjà avec les "Agences locales pour l'emploi".


La bande des huit (Chirac n'est pas seul)

Le monde du travail fait donc face à une attaque généralisée. Une attaque orchestrée pas seulement par le patronat français, mais par les capitalistes du monde entier.

Les lois du système capitaliste sont implacables. S'il craque sous le poids de la surproduction et des crises, la logique du profit pousse les grands monopoles vers la guerre, l'ultime moyen pour relancer la production dans l'économie capitaliste et de réaliser de substantiels bénéfices grâce aux sacrifices imposés aux travailleurs. La volonté européenne de réduire "le coût du travail" au profit des multinationales et des patrons se traduit par des mesures contre les salaires et les acquis sociaux. Des mesures similaires contre les travailleurs et les systèmes de sécurité sociale sont prises dans tous les pays d'Europe. C'est le résultat des directives émises par le sommet de Barcelone en mars 2002: pour garantir plus de profit aux entreprises, il faut faire travailler les gens plus longtemps.

L'Europe est en guerre économique contre les Etats-Unis. Pour tenter de sortir de la crise, les capitalistes se battent pour se repartager le monde, ce qui mène en fin de compte à la guerre. Après les grands projets de travaux publics chers à Jacques Delors (réseau TGV européen,…) ce sont les plans de défense commune qui font maintenant marcher l'Europe. Tous les grands groupes (Snecma, Mercedes, Dassault) se lancent dans la course: création de l'EADS, commandes Airbus,… Et s'en prennent aux acquis des travailleurs.

Face à cela, des mouvements se déclenchent dans différents pays d'Europe pour repousser les attaques contre les pensions: France, Allemagne, Autriche, … Les travailleurs européens ont de toute évidence besoin d'agir ensemble, de coordonner leurs luttes.

Ils l'ont bien compris, les syndicalistes français qui ont ouvert le cortège d'Annemasse contre les bonzes du G8 dimanche matin en scandant: «Y'en a marre de ces guignols qui ferment les usines et les écoles. Tous en grève générale.» De même que ceux qui se sont donné rendez-vous à Thessalonique (Grèce) les 20 et 21 juin contre le sommet européen et pour crier ensemble «Pas d'argent pour la guerre, mais pour l'emploi et la sécurité sociale.» 3

Pas d'argent pour la guerre, mais pour les pensions

La loi de programmation militaire 2003-2008, adoptée en septembre 2002, prévoit une augmentation de 6,1% du budget de la défense en 2003. Début octobre 2002, le président Chirac a admis que l'effort consenti en la matière est «très important dans le contexte économique actuel». «Je veux souligner le caractère exceptionnel des décisions que j'ai prises avec le gouvernement», a-t-il déclaré. (Le Monde, 01/10/02)

La France devrait ainsi allouer 88,88 milliards d'euros à l'équipement de ses armées et de la gendarmerie entre 2003 et 2008, soit 14,8 milliards d'euros en moyenne par an. C'est une manne supplémentaire de 1,1 milliard d'euros chaque année. De quoi combler l'écart 4 qui s'est creusé avec la Grande-Bretagne et donner le signal d'un nouveau départ d'une Europe de la défense en construction. Cet argent servira entre autres à acheter de nouveaux engins de guerre et à construire un nouveau porte-avions. Une armée pour défendre les intérêts des monopoles français contre ceux des USA. Une armée pour terroriser les peuples du tiers monde. Est-ce cela que veulent les travailleuers de France et d'ailleurs?

Notes

1 Bordeaux, Pau, Bayonne, Clermont-Ferrand, Dijon, St Brieuc, Brest, Rennes, Bourges, Troyes, Orléans, Narbonne, Montpellier, Perpignan, Albi, Lille, Caen, Cherbourg, Le Havre, Rouen, Dieppe, Angoulême, Poitiers, Avignon, Bourg-en-Bresse, Grenoble, Lyon, Paris,… voir l'appel des UD de la CGT sur http://www.cgt.fr

2 Voir «France, Autriche, Allemagne: Protestation massive contre le démantèlement des pensions» sur http://www.solidaire.org

3 Plus d'info sur http://www.action-salonika2003.org

4 La Défense représente 2,5% du PIB en Grande-Bretagne. La France veut passer de 1,8% à 2,2% du PIB.