[Chronique Congolaise n°6] Camp Luka, entre survie et espoir ...

C'est au tour de Sille. Je suis coopérante pour Médecine pour le Tiers Monde.
Début juin. Cela fait 3 mois et demi que nous sommes au Congo. Il est grand temps de vous donner des nouvelles des projets de Médecine Pour Le tiers Monde à Kinshasa. Ceci est la version raccourcie de ma newsletter. La version intégrale se trouvera bientôt à l’adresse:
http://www.intal.be/site/article.php?langId=2&articleId=81&menuId=32
L’ONG que MPLTM soutient s’appelle APRODI. Le nom APRODI veut dire « Association pour la Promotion d’un Développement Intégré en Milieu Rural et Péri-urbain ». L’ONG est dirigée par Jean-Baptiste Sondji, ex-ministre de la santé sous Laurent Désiré Kabila. Elle gère deux centres médicaux, un à Masina (depuis 3 ans) et un à Camp Luka (depuis 6 ans). Ce sont deux communes de Kinshasa. Elles sont surpeuplées et hébergent les groupes les plus pauvres de la population. A Camp Luka il n’y a ni eau courante, ni électricité…
Premières impressiona à Camp Luka
Lorsque je me rendais pour les premières fois dans notre centre de santé à Camp Luka, nous rencontrions à chaque fois un deuil … Une masse de gens pleurait et criait autour du cercueil qu’elle portait. Je pensais toujours: “cela doit être le hasard, ce n’est quand même pas possible que nous rencontrons à chaque fois un cortège funéraire…”. J’ai donc commencé à compter et je suis arrivée à la conclusion que 3 fois sur 4, nous passions devant un enterrement dans cette commune. J’ai interpellé le docteur Muchapa (qui dirige notre projet médical à Camp Luka) à ce sujet: “Depuis que je travaille ici, depuis quelques années, la situation est devenue de plus en plus difficile… Il y a 20.000 habitants à Camp Luka et il y a 9 décès par jour … Lorsque je passe, les gens dans la rue m’interpellent afin de les soigner gratuitement … ils ne viennent pas au centre de santé de peur de devoir payer. Quand je vois que la famille en question est en grande difficulté et que le malade est en situation critique, je le soigne gratuitement”. Et pourtant, le bas prix de nos consultations est un de nos points forts. Une consultation chez le docteur ne coûte que 500 FC. 1,25 € donc, le stricte minimum. Malgré ce bas prix, les patients ne peuvent venir … Pour beaucoup de gens ici, 1,25 € revient à leur rentrée “financière journalière”. La situation devient intenable … Les gens essaient aussi de se soigner par automédication. Ils évitent ainsi les coûts d’une consultation. Partout, on trouve des petits étalages en bois où l’on vend des médicaments. Et ceux qui les vendent n’ont généralement aucune connaissance médicale …
Vous avez maintenant une idée des conditions dans lesquelles nous travaillons. La population ne peut pas manger 3 fois par jour. Les jeunes filles se prostituent pour aider leur famille à survivre. La plupart des enfants ne peuvent aller à l’école. Les gens autour de nous tombent régulièrement malades parce qu’ils ne mangent pas assez et qu’ils ont un système immunitaire affaibli. Des infections banales qui, en Belgique, peuvent facilement être guéries (par exemple, la diarrhée ou une infection pulmonaire) font ici la différence entre la vie et la mort. Quelle est la meilleure approche dans une telle situation? Que fait notre ONG APRODI dans de telles conditions ?
Que fait notre ONG APRODI dans de telles conditions?
L’ONG APRODI travaille aux chances de survie du peuple en l’organisant au sein de Comités de Santé, en abrégées COSA. Dans le contexte de la diminution du pouvoir d’achat de la population, le travail avec les Comités de Santé est une contribution importante à la réalisation du but principale à savoir: sensibilisation, organisation et mobilisation de la population autour de son état de santé. Voici les convictions qui sont à la base de notre manière de travailler:
De simples gens qui reçoivent une information claire et simple peuvent éviter la plupart des maladies à la maison et même les guérir, et ce, souvent plus tôt, moins cher et mieux que des docteurs. La connaissance médicale ne peut pas être tenue secrète par une petite minorité mais doit être divulguée à tout le monde. Des gens avec peu de formations “officielles” sont aussi responsables que des gens qui ont fait des années d’étude. Dans le tiers monde, une formation est une question d’argent et non de capacité. Les soins de santé à la base ne doivent pas tout simplement être enseignés. Il faut encourager le peuple à participer activement aux programmes de santé.
Les membres des COSA’s ont été formés en développement communautaire et dans les soins de santé de base. Il y a régulièrement des recyclages pour les membres sur un problème de santé spécifique. Cette formation les permet de mobiliser à leur tour la population pour participer aux campagnes de santé. APRODI a été félicité en 2002 par les autorités compétentes parce que, grâce au travail du COSA, un début d’épidémie a été détecté rapidement et sa propagation a été stoppée. Le système de représentants par rue permet de rapidement signaler des maladies graves et le traitement des malades suivra rapidement.
Les membres des COSA’s sont tous des bénévoles, ce qui n’est pas évident au Congo. Le taux de chômage est très élevé et souvent on ne mange que une ou deux fois par jour. Les gens sont tous les jours en route à la recherche d’un peu d’argent pour nourrir leur famille ce jour-là… Cela prend beaucoup de temps et on ne peut qu’admirer le dévouement des membres du Cosa pour leur travail volontaire dans le quartier. Mais APRODI a réussi à maintenir mobilisés entre deux tiers à trois quarts de ces membres. Beaucoup d’entre eux n’ont pas mangé de toute la journée quand ils arrivent au centre pour faire des réunions ou suivre des formations… J’ai beaucoup d’admiration pour leur persévérance, ce sont des gens très courageux, des vrais combattants! Dernièrement nous avons été félicité pour notre travail par Eric, un collaborateur de Médecins sans Frontières. Il ne connaît aucune ONG à Kinshasa qui arrive à organiser les gens sur une base volontaire.
Conscientisation autour de la pauvreté
A côté des programmes éducatifs autour de la pauvreté, nous organisons aussi des discussions au sujet des causes de la pauvreté et le lien entre pauvreté et maladie.
Nous racontons l’histoire de Pierre, un petit garçon qui meurt du tétanos parce qu’il n’y a pas de vaccin et parce qu’il n’y a pas d’hôpital dans les environs. Le transport du garçon vers un lointain hôpital coûte beaucoup d’argent et le traitement à l’hôpital est impayable pour les parents. Après cette histoire, les participants discutent en petits groupes aux sujets des causes de la mort de Pierre. Puis nous tirons ensemble une conclusion. Souvent elle revient à la même constatation: c’est la responsabilité du gouvernement de développer le pays et ses soins de santé de manière à ce qu’il y ait accessibilité pour tout le monde. Les gens parlent alors au sujet de Mobutu, qui a dirigé le Congo de 1965 à 1997 et qui n’a jamais investi un franc dans le développement durable. Les gens ne désapprouvent pas seulement Mobutu lorsqu’il disent: “Mobutu était un dictateur qui a été porté au pouvoir par la Belgique, la France et les Etats-Unis. Il a été soutenu pendant tout ce temps par ces puissances parce qu’il servait leurs intérêts. Des gens comme Lumumba et Kabila, qui auraient pu développer le Congo, indépendamment de l’ouest, ont été assassinés.” Il y a aussi des discussions sur la guerre à l’est parce que c’est justement cette guerre qui empêche tout développement du Congo aujourd’hui. Deux tiers du territoire est occupé par les rebelles (appuyés indirectement par les Etats-Unis via le Rwanda). Ils contrôlent les principales ressources du Congo. Après la signature des accords de paix le gouvernement est le dos au mur parce que la guerre continue à faire rage comme si les rebelles voulaient dépasser l’holocauste… Aujourd’hui cette guerre a fait plus de 4 millions de victimes. Cette guerre hypothèque sérieusement la reconstruction du pays. Laurent Désiré Kabila, qui est arrivé au pouvoir en 1997 n’a jamais eu la chance de mener à bien son plan triennal pour le développement du Congo. Après un an (en août 1998) la guerre a commencé et en janvier 2001 il a été assassiné.
Soutenez Aprodi
APRODI est une ONG qui arrive à mobiliser la population, malgré cet océan de misère. Nous ne créons pas des îles de développement mais des structures alternatives dans lesquelles la population se bat pour ses droits et peut améliorer sa situation.
Dans les quartiers de Kinshasa vous voyez beaucoup de misère, mais aussi des dizaines de gens dynamiques qui veulent s’organiser et veulent entreprendre des actions pour améliorer leur sort. Les Comités de Santé que je vous ai présentés dans cette newsletter organisent tout leur quartier. Une des actions qu’ils organisent est par exemple la récolte des déchets dans les rues pour atteindre des conditions de vie plus hygiéniques. Tout ce travail est réalisé par des bénévoles qui sont convaincus qu’il peuvent faire avancer leur communauté par leurs propres forces au sein d’une organisation. Ces comités ont droit à notre soutien! Ils méritent nos encouragements! Je vous appelle donc à nous soutenir dans notre campagne de parrainage “Les enfants du Congo”. Devenez parrain ou marraine d’un enfant des quartiers où nous travaillons et soutenez de cette manière le travail d’APRODI et les actions des COSA. 120 enfants attendent votre aide!
Si vous voulez soutenir APRODI un compte courant est à votre disposition de Médecine Pour le Tiers Monde , Chaussée d’Haecht 53 1210 Bruxelles : 001-1951388-18.
N’hésitez pas à verser !
Un grand merci et à la prochaine !

arch/ive/ief (2000 - 2005)