arch/ive/ief (2000 - 2005)

Lettre ouverte à mes amis écologistes
by Bruno Poncelet Sunday May 18, 2003 at 10:40 PM
horemheb@axel.be

Réaction à la défaite des écologistes lors des élections du 18 mai 2003.

Lettre ouverte à mes amis écologistes
Dimanche 18 mai 2003

C’est drôle, mais j’ai une fameuse tendance à gagner les élections.

Tenez, en 1999, comme depuis l’âge de mes dix-huit ans en 1988, j’avais voté vert. Adhérent irréductible de cette mouvance qui pense local en voulant agir global, j’avais savouré comme il se doit cette victoire historique des écologistes à l’échelle de la planète. Pensez un peu : à Bruxelles, où je vis, plus d’une personne sur cinq avait voté Ecolo ; en Belgique, ils étaient 14% à avoir fait un choix identique (soit pour Ecolo, soit pour son alter ego flamand : Agalev). Belle victoire n’est-il pas ?

Bien sûr, il est des victoires aux lendemains amers. L’amertume, j’en connu les premiers embruns lors de l’Assemblée Générale d’Ecolo qui, à une majorité finalement plus large qu’on ne l’aurait cru, vota la rentrée d’Ecolo dans tous les exécutifs gouvernementaux - à l’exception toutefois de Bruxelles. Militant muni du droit de vote, j’avais voté contre cette entrée fracassante et historique dans les majorités. Mon « que nenni n’entrons pas » n’était pas un veto de principe, juste pour le plaisir de rester dans l’opposition. Mon « que nenni n’entrons pas » était un hurlement des tripes, un vagissement du cœur qui refusait de voir l’ambitieux projet de l’écologie politique être galvaudé sous les coups de butoir du libéralisme, fut-il saupoudré d’un peu de social et recouvert, en toute dernière minute, d’une pincée pour faire « jeune et alternatif » de vernis vert.

Il faut dire que j’avais assisté à pas mal de réunions au sein d’Ecolo depuis la victoire des urnes. Il faut dire qu’au fil des jours j’avais vu les rires d’un soir se muer en rictus crispé. Ecolo dérangeait, Ecolo n’était pas attendu au rendez-vous des braves chargés de former un gouvernement, Ecolo devait payer le prix fort pour forcer son entrée dans la majorité.

Ecolo ne voulait pas s’embarquer dans une limousine bleue aux autocollants rouge et vert, comme l’a si joliment dit le négociateur vert de l’époque, Jacky Morael. Ecolo, pourtant, dérivait alors de renoncements en renoncements. De Conseils de Fédération (le Parlement interne d’Ecolo) en Assemblée Générale, j’ai tout entendu. Et notamment, à quelques semaines d’intervalle :
- nous avons gagné les élections ! Pour participer au gouvernement, il nous faut absolument un Ministère à finalité sociale comme l’Emploi et le Travail…
- nous avons perdu les négociations, ensemble, gagnons la participation gouvernementale !

Il faut dire que je suis myope à tendance astigmate. Il faut dire que je ne vois donc pas très loin et que ma vision est déformée par une idéologie radicale : j’ai tendance à croire que le libre marché nuit gravement à la santé des pauvres, qu’affairisme ne rime pas souvent avec bien-être, que la croissance à tout-va n’est pas bonne pour la santé de la Terre. Il faut dire qu’Ecolo, pendant 4 ans, a voté pour des choses incroyables au nom de la loyauté gouvernementale. Des exemples, j’en ai plein la tête mais je ne vais pas, ici, enfoncer le clou dans la toile de mes désillusions. Juste dire que celle-ci s’est tissée, au fur et à mesure que le temps passait, de couleurs tristes, comme fanées, chargées de peine et de regrets.

En 2001, profitant d’un long voyage à l’étranger, j’en avais aussi profité pour oublier de renouveler ma cotisation de membre à Ecolo. Ce parti continuerait sa vie sans ma contribution de modeste militant, et ce n’était pas bien grave tant les nouveaux venus - à l’idéologie peut-être plus friable, moins ancrée dans l’alliance systématique du social et de l’environnemental - étaient nombreux.

Et déjà, nous voilà en 2003. Comme beaucoup, quelques millions de personnes en tout, j’ai été voter ce dimanche matin. Il y a quelques jours, un mail en provenance d’un parlementaire Ecolo bruxellois m’avertissait dans ma boîte aux lettres électroniques en ces termes :

« Voilà. Dimanche il va falloir voter et donc faire un choix.

Que vous dire en cette fin de campagne ?

Que je suis sur la liste Ecolo à la Chambre.
Que je suis plutôt fier du bilan d'Isabelle Durant et d'Olivier Deleuze. Ils sont les pionniers de l'action gouvernementale d'Ecolo en Belgique.
Que je suis conscient que l'image et l'action d'Ecolo a été brouillée ces quatre dernières années. On y a contribué. On a bousculé tout le monde. Tout le monde nous bouscule.
Que je suis encore plus conscient que les priorités d'Ecolo sont justes et qu'elles doivent être davantage et mieux défendues.
Que nous sommes, après cette expérience, capables de mieux les défendre.
Que voter c'est faire un choix qui peut se résumer autour de la question suivante : "Aujourd'hui, je pense qu'il faut davantage de..."
Que je ne pense pas qu'on ait, pour aujourd'hui et pour demain, besoin de plus de libéralisme ou de socialisme.
Qu'on peut danser sur sa tête ou fermer les yeux encore quelques temps, mais que dès qu'on recule un peu pour mieux voir plus loin, on se rend compte partout que le plus urgent est d'avoir un meilleur équilibre entre social, économie et environnement.
Qu'on a donc surtout besoin de plus d'écologie.
Que les derniers sondages montrent qu'à Bruxelles, Ecolo aura 2 ou 3 élu(e)s. Que ça dépendra de quelques voix seulement.

Voilà un dimanche pour voter Ecolo. »

Moi non plus, aujourd’hui, je ne pense vraiment pas qu’on ait besoin de plus de socialisme (un mot qui rime bien trop avec clientélisme) ou de libéralisme - une idéologie qui porte à ses nues l’égoïsme des classes qu’il m’en viendrait presque l’envie de relire Karl Marx ! Mais justement, en votant Ecolo, j’aurais eu la paradoxale impression d’encourager la coalition arc-en-ciel, c’est-à-dire surtout et avant tout le libéralisme, un peu moins mais quand même pas mal le socialisme et à vrai dire, finalement, pas beaucoup l’écologie politique.

Comme Ecolo a quand même fait avancer certaines choses - maintien du protocole de Kyoto à l’échelle internationale grâce à l’excellent boulot d’Olivier Deleuze, loi sur le droit à mourir dans la dignité, droit de se marier quel que soit le sexe de son aimé(e), fiscalité encourageant les investissements plus écologiques… -, et puis parce que je ne voulais pas voter PTB et qu’il n’y avait vraiment pas d’autre choix, je suis resté fidèle à Ecolo au Sénat. Un choix par dépit, je l’avoue, mais un choix quand même.

Mais, je l’ai dit, aujourd’hui j’ai gagné les élections. Ecolo s’est pris une pelle du tonnerre et j’avoue humblement, pour le Parlement, y avoir contribué de mon petit vote que j’ai symboliquement laisser filer vers l’extrême gauche de l’échiquier politique. Une extrême-gauche la plus démocratique qui soit, puisqu’elle envisage notamment l’accès gratuit aux soins de santé, le droit de vote et d’éligibilité pour tous les résidents en Belgique, ainsi que la redistribution du bénéfice des entreprises. Un peu radical, certes, mais il n’y a pas d’utopie sans une certaine part de rêve. Et dans un monde où un cinquième de l’humanité s’accapare 80% des richesses matérielles (le cinquième le plus pauvre se battant pour 0,5% des mêmes richesses matérielles selon le PNUD - oui, 0,5%, quel terrible chiffre !), je n’ai ni honte, ni dégoût, juste le sentiment d’avoir voté en fonction de mes convictions les plus profondes.

Lesquelles font de la politique non pas une pièce de théâtre où le rocambolesque culmine au cours des fiançailles entre deux vieux cyniques qui sautent à la va-vite une jeune fille de 20 ans en lui faisant croire qu’elle connaîtra l’orgasme - après tout, du point de vue socialiste et surtout libéral, on n’est pas très loin du compte… -, mais bien un idéal à défendre corps et âme. Ecolo s’était promis d’être le poil à gratter de la majorité gouvernementale, je trouve qu’il a surtout servi de paillasson et j’adresse ces mots aux poils qui restent et doivent y croire malgré tout : retrouvez vos idéaux dans les faits et dans les gestes, arrêtez de vendre vos projets plus révolutionnaires et ô combien plus intelligents que le marxisme dans des brocantes de marché à cinq sous, réfléchissez aux conséquences qu’ont eu certains de vos votes au Parlement.

Parmi ceux-ci, il y a en a un très concret qui fait mal ce 18 mai. Sous la pression des brontosaures de la politique belge, vous avez autorisé le fait qu’un parti totalisant moins de 5% des votes n’ait pas de représentant au parlement. Et bien, aujourd’hui, l’écologie politique paie concrètement les pots cassés de cette politique mesquine vis-à-vis des petits puisqu’il est des endroits en Belgique où, manifestement, Agalev (le petit frère flamand) n’atteindra pas les 5% requis ! Je n’en suis pas spécialement heureux. Parce que même si j’ai gagné les élections en vous donnant tort pour la première fois de ma vie, je suis un irréductible écologiste.

Qui n’attend qu’une chose : que le printemps de la contestation revienne et que le vert des mots rebelles et justes, dans votre bouche mais aussi dans vos votes, refleurisse.

A bon entendeur, salut !


Bruno Poncelet

J'apprécie
by m. chabian Monday May 19, 2003 at 12:56 PM

J'apprécie ce texte, pondéré mais clair, et j'en félicite l'auteur.
C'est vrai qu'il faudrait revenir sur leur volonté de participer, non pour réécrire le passé, mais pour évaluer.
C'est vrai que les avancées portent sur le long terme et peu sur l'électoral.
C'est vrai que les deux autres ont voulu surtout piéger ECOLO, tout bénéfice pour les flamands libéraux.C'est vrai qu'ils ont très mal communiqué (surtout sur les vols de nuit !), et que les journeaux (les journalistes petit-bourgeois inféodés ? ou peureux de se brouiller avec les 'barons' bleus et rouges ?) ne les ont pas aidés.
Faut-il qu'ils partent de la Région ? c'est le deuxième débat.
M. Chabian.