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Ils ont voté et puis après ?
by Bruno Poncelet Sunday May 18, 2003 at 07:10 PM
horemheb@axel.be

Réaction au vote des personnes belges résidant à l'étranger lors des élections législatives du 18 mai 2003. Pas de séquence audio ou vidéo.

Ils ont voté, et puis après ?
Dimanche 18 mai 2003

J’écoute la radio. A l’heure qu’il est, cette après-midi, les urnes s’enfournent encore des bulletins d’électeurs et tous les résultats demeurent secrets. Pour tuer le temps, les yeux médiatiques lorgnent vers l’Ailleurs. Appelés à aller voter pour les élections législatives, les Belges à l’étranger - du moins ceux que la radio a choisi d’interviewer et de faire passer sur antenne - témoignent à l’unisson : « être obligé de voter pour les élections belges, c’est un peu bizarre tout de même ! Ma vie est ici à présent (ici, pour eux, c’est en France, en Afrique du Sud, en Amérique…) et je ne connais plus grand chose à la politique belge ».

Les Belges à l’étranger, ce n’est pas qu’ils sont mécontents de voter - la plupart de ceux que j’entends s’exprimer se disent même heureux de pouvoir le faire, que ça les raccroche un peu au pays -, mais ils n’y connaissent plus rien à la politique belge. Deux questions du journaliste me frappent à ce propos :
- vous savez qui est le Premier Ministre sortant ?
- vous savez quels partis formaient la dernière coalition gouvernementale ?

Si Guy Verhofstadt luit manifestement sur l’écran médiatique des quelques expatriés capables d’écorcher son nom, il est bien le seul rayon de l’arc-en-ciel à percer par-delà la brume opaque des frontières. L’attelage gouvernemental bleu, rouge et vert, lui, y est comme invisible. Malgré son côté inédit, ses coups de gueule, ses esclandres et ses crises à répétition, son parcours chaotique semble être une parfaite terra incognita pour tous ces yeux, si lointains, qui n’ont plus revu la Belgique parfois de plusieurs dizaines d’années.

Qu’importe, ils ont voté. Qui en faisant appel à la famille ou aux connaissances restées en Belgique pour pouvoir aiguiller son choix. Qui en cherchant sur Internet. Qui, en s’informant d’une manière ou d’une autre, ou peut-être aussi en ne s’informant tout bonnement pas ! Ils sont 102.198 personnes à avoir fait ce pas, contre 18 à peine en 1999, et cela a suffit il y a quelques jours au Ministre de l’Intérieur et au Ministre des Affaires étrangères pour s’exclamer : « victoire de la démocratie, victoire de la démocratie, victoire de la démocratie » !

Bien que je n’ai absolument rien d’un MRiste, je veux bien leur concéder ça, aux poids lourds du libéralisme belge : une (petite) lacune démocratique a été comblée. Il n’empêche qu’à la seconde qui suit, c’est Ferré qui résonne dans ma tête et chante « Ils ont voté, et puis après ? ».

Et puis après, et bien les électeurs belges à l’étranger vont retourner à leur vie – grande ou petite, joyeuse ou triste - faite de préoccupations si lointaines que le microcosme belge va flamboyer comme une météorite dans le ciel, rouge feu durant quelques secondes, puis disparaître… Qu’importe le résultat des urnes, qu’importe la coalition à venir, ils n’auront pas à s’en réjouir ou à en souffrir au quotidien puisque la politique déployée en Belgique ne les touchera pas - ou si peu.

Tout ça pour quoi ? Tout ça pour une petite réflexion qui ne vaut pas cher, mais que j’avais envie de faire quand même : dans ma rue, dans ma ville ou dans le patelin à côté, il y a des gens que la politique belge interpelle au premier chef. Des personnes pour qui le résultat des élections sera important, des Monsieur et des Madame qui en verront le résultat concret au fil des décisions parlementaires, des coups de barre donnés vers la gauche ou vers la droite, des coupes sombres dans tel ou tel budget, des oraisons médiatiques aussi en faveur du droit à vivre pour les uns, du devoir de subir pour les autres. Justement, le droit de subir, ils connaissent plutôt bien tous ces voisins de palier de mon cœur que sont les étrangers résidant en Belgique.

Ils n’ont pas voté puisqu’ils n’en avaient pas le droit, une énorme lacune démocratique reste à combler, et puis après… qui donc s’en souciera ?


Bruno Poncelet