arch/ive/ief (2000 - 2005)

Droits des travailleurs, sujet d'étude pour archéologues?
by brunocampana Saturday May 17, 2003 at 01:17 PM
brunocampana@free.fr

extrait "...Quand la stabilité dans le monde du travail et les autres droits des travailleurs, seront-ils d'ici peu un sujet d 'étude pour les archéologues ? de vagues souvenirs d'une espèce disparue?..." Par {{Eduardo Galeano}} Coorditrad traducteurs bénévoles (*)

Plus de quatre-vingt dix millions de clients se rendent, chaque semaine, aux magasins Wal-Mart. {{Les employés, au nombre de neuf cent mille, y ont l'interdiction absolue de se syndiquer.}} Si l'un d'entre eux en avait l'idée, il ne serait guère qu'un chômeur de plus. La prospère entreprise refuse ouvertement l'un des droits humains proclamés par l'Organisation des Nations Unies : la liberté d'association. Le fondateur de Wal-Mart, Sam Walton, avait reçu en 1992 la médaille de la liberté, une des plus importantes décorations remises par les Etats-Unis.

Un adulte américain sur quatre et neuf enfants sur dix dévorent au MacDonald's une nourriture plastique qui les fait grossir. Les travailleurs de MacDonald's sont aussi jetables que les repas qu'ils servent : c'est le même sort qui les attend. Eux non plus n'on pas le droit de se syndiquer.

En Malaisie, où les syndicats ouvriers continuent d'exister et d'agir, les entreprises Intel, Motorola, Texas Instrument et Hewlett Packard ont réussi à contourner cet obstacle. Le gouvernement malais a déclaré {{«union free »}}, c'est-à-dire exempté de syndicat, le secteur électronique. Les cent-quatre vingt-dix ouvrières qui, en 1993, en Thaïlande, trouvèrent la mort, brûlées dans le hangar fermé de l'extérieur où elles fabriquaient les figurines de Sesame Street, de Bart Simpson ainsi que les Muppets, elles non plus n'avaient pas eu la possibilité de se syndiquer.

Bush et Gore, pendant la dernière campagne électorale l'an passé, partageaient le même point de vue sur la nécessité de continuer à imposer à travers le monde le modèle américain en matière de conditions de travail.{{ « Notre style de travail »}}, comme tous deux l'appelaient, est celui qui marque le pas de la globalisation, qui avance avec des bottes de sept lieues et pénètre dans les coins les plus reculés de la planète.

La technologie, en abolissant les distances, permet désormais qu'un
ouvrier de Nike en Indonésie doive travailler cent mille ans pour gagner ce que touche en un an un cadre de la même entreprise, et qu'un ouvrier d'IBM aux Philippines fabrique des ordinateurs qu'il ne pourra pas acheter.

C'est le prolongement de l'époque coloniale, à une échelle jamais
atteinte. Les pauvres du monde continuent à remplir leur fonction
traditionnelle : en offrant des bras et des produits bon marché ; même si désormais, ils fabriquent des figurines, des chaussures de sport, des ordinateurs ou des appareils de haute technologie, en plus de produire, comme autrefois, du caoutchouc, du riz, du café, du sucre et quantité de broutilles pour le marché mondial.

Depuis 1919, 183 conventions internationales légiférant les conditions de travail dans le monde ont été signées. D'après l'Organisation
Internationale du Travail, de ces 183 accords, la France en a ratifié 115, la Norvège 106, l'Allemagne 76 et les Etats-Unis, 14. Le pays qui est à la tête du processus de globalisation obéit uniquement à ses propres ordres. De cette manière, il garantit suffisamment d'impunité à ses grandes corporations, lancées à la recherche de main-d'oeuvre bon marché et à la conquête de territoires que les industries sales peuvent polluer à tout va.

Paradoxalement, c'est ce même pays qui, ne reconnaissant d'autre loi que celle du travail hors de la loi, décrète aujourd'hui qu'il n'y aura pas d'autre moyen que d'inclure des «clauses sociales » et de « protection de l'environnement » dans les accords de libre échange.
Qu'en serait-il alors de la liberté sans la publicité qui la camoufle ?

Ces clause sont de simples impôts que le vice paie à la vertu avec soin à la rubrique relations publiques, mais le simple fait de mentionner les droits des ouvriers fait se dresser les cheveux sur la tête des plus fervents défenseurs du salaire de la faim, de la flexibilité des horaires et de la liberté de licenciement. Depuis que Ernesto Zedillo a quitté son poste de Président du Mexique, il fait partie des commissions de direction de l'Union Pacific Corporation et du consortium Procter & Gamble qui opère dans 140 pays. Il est en plus à la tête d'une commission aux Nations Unies et fait part de ses opinions dans la revue Forbes.

En langage « technocrate », il s'indigne contre {{« l'imposition de modèles de travail homogènes dans le nouveaux accords commerciaux »}}.
Traduit, cela signifie : jetons une bonne fois pour toutes à la poubelle toute la législation internationale qui protège encore les travailleurs. Le président à la retraite est payé pour prêcher l'esclavage. Mais le directeur principal en fonction chez General Electric l'annonce plus clairement : {{« Pour être compétitif, il faut presser les citrons. »}} Les faits sont là.

Face aux dénonciations et protestations, les entreprises se lavent les mains : ce n'est pas moi. Dans l'industrie post-moderne, l'activité n'est plus concentrée. Il en est ainsi partout, et plus seulement dans le secteur privé. Les trois-quarts d'une voiture Toyota sont fabriquées par des entreprises sous-traitantes. Seul un ouvrier de Wolkswagen sur cinq au Brésil est employé par l'entreprise. Parmi les
quatre-vingt un ouvriers de Petrobrás morts dans des accidents de travail durant ces trois dernières années, soixante-seize travaillaient pour des entreprises sous-traitantes qui ne remplissaient pas les normes de sécurité. Grâce à ses trois cents entreprises sous-traitantes, la Chine produit la moitié de toutes les
poupées Barbie pour les petites filles du monde entier. Il y a bien en
Chine des syndicats mais qui obéissent à un Etat qui au nom du socialisme s'occupe de la discipline de la main-d'ouvre : {{« Nous combattons l'agitation ouvrière et l'instabilité sociale pour assurer un climat favorable aux investisseurs »}}, a expliqué récemment Bo Xilai, secrétaire général du Parti Communiste dans un des plus grands ports du pays.

Le pouvoir économique est plus monopolisé que jamais, mais les pays et les personnes jouent toutes les cartes de la concurrence : voir qui est le plus offrant, qui pourrait travailler le double de temps pour la moitié de ce qu'il gagne. En marge de cela, il reste les vestiges des conquêtes obtenues par deux siècles de luttes ouvrières dans le monde. Les maquiladoras (usines d'assemblage de produits destinés à l' exportation) du Mexique, d'Amérique Centrale et des Caraïbes que l'on appelle non sans raison les {{« sweat shops », c'est-à-dire les ateliers de la sueur}}, augmentent à un rythme beaucoup plus avancé que l'industrie dans son ensemble. Huit sur dix des nouveaux emplois en Argentine sont « au noir », sans aucune protection légale. Neuf sur dix des nouveaux emplois dans toute l'Amérique latine relèvent du « secteur informel », un euphémisme pour dire que les travailleurs sont livrés à la grâce de Dieu. Quand la stabilité dans le monde du travail et les autres droits des travailleurs, seront-ils d'ici peu un sujet d 'étude pour les archéologues ? de vagues souvenirs d'une espèce disparue ?

Dans le monde, au contraire, la liberté opprime : celle de l'argent exige des travailleurs soumis à la prison de la peur, qui est la pire de toutes les prisons. Le dieu du marché menace et punit ; et n' importe quel travailleur, où qu'il soit, le sait bien. La peur du chômage, qui sert aux employeurs à réduire les coûts de leur main-d' oeuvre et à multiplier la productivité, est aujourd'hui la source d' angoisse la plus répandue dans le monde.

Qui est à l'abri de la panique à l'idée de rejoindre les longues files
de ceux qui cherchent un emploi ? Qui ne craint pas d'être transformé en « obstacle interne », pour reprendre les propres mots du président de Coca-Cola qui, il y a un an et demi, a justifié le licenciement de
milliers de travailleurs en disant qu' {{« on avait éliminé les obstacles internes »}}

Et parmi cette multitude de questions, une dernière : face à la globalisation de l'argent qui divise le monde en
vainqueurs et vaincus, l'internationalisation de la lutte pour la dignité du travail sera-t-elle possible ? Vous parlez d'un défi !

Grano de Arena. [->informativo@attac.org]