arch/ive/ief (2000 - 2005)

Guerre en Irak : les activistes européens investissent dans les actions en justice
by Frédéric Delorca Friday May 16, 2003 at 11:35 PM
fdelorca@yahoo.fr

Le développement des actions en justice dans les divers pays européens contre la guerre en Irak permet de mobiliser l'opinion publique, accroître la pression sur les gouvernants, infléchir l'état du droit. Etat des lieux des initiatives et mise en perspective.


Un des modes actions non-violentes les plus importants que les militants anti-guerre ont choisi cette année pour combattre la guerre en Irak fut sans doute le recours massif à des plaintes en justice contre les responsables directs des crimes de guerre (MM. Bush et Blair) mais aussi à l’encontre des gouvernements qui ont apporté plus ou moins ouvertement aux forces d’agression américaines et britanniques (y compris les gouvernements
français et belge). Ces initiatives étaient pour la plupart
vouées d’avance à l’échec du fait de l’existence d’arsenaux juridiques protecteurs autour des questions stratégiques et militaires, et de l’habileté des services gouvernementaux à les utiliser à leur profit, mais elles se sont révélées utiles à la mobilisation et à l’information des opinions publiques. Elles ont permis de démasquer de
nombreuses hypocrisies officielles entourant cette
guerre. Il convient d’esquisser ici un rapide tour d’horizon des initiatives lancées en Europe continentale avant d’en examiner les perspectives pour l’avenir.


Panorama des principales initiatives répertoriées à ce jour
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Au cours de la guerre d’Irak, si toute l’opinion publique occidentale fut massivement hostile à l’agression, les gouvernements se sont divisés entre les partisans d’un soutien aux Etats-Unis et ceux qui condamnaient officiellement leur attaque illégale.

Parmi les pro-américains, les gouvernements espagnol et italien ont joué un rôle de premier plan – bien que le second se soit avéré finalement plus modéré dans ses actions qu’il ne l’avait initialement annoncé.

Il était donc en un sens naturel que les opinions publiques de ces pays se mobilisent énergiquement contre la position de leur gouvernement qui n’était pas la leur, et que cette mobilisation se traduise par des actions en justice tant contre MM. Bush et Blair que contre leur propres gouvernants.

La démarche la plus intéressante, ou en tout cas la plus médiatisée, en Italie fut sans doute la plainte portée par Foro legale « Avvocatti per pace » (Forum légal Avocats pour la paix - http://www.puntorosso.it), un groupe de juristes romains progressistes liés, au niveau européen à la Commission Droits fondamentaux et Globalisation
- (http://www.globaldr.org/eng/index.php), qui est
basée à Genève.

Ces juristes ont déposé en mars devant le procureur général d’un tribunal romain une plainte contre le ministre de la défense auxquels ils reprochaient d’avoir mis à la disposition des forces belligérantes bases
militaire set soutien logistique sans consultation préalable
du Parlement en violation de la Constitution.

Les actions judiciaires en Espagne ont suivi le schéma. A la différence de M. Berlusconi, la participation de M. Aznar à l’effort de guerre ne s’est pas bornée à tolérer la présence de bombardiers états-uniens sur le territoire espagnol. Des troupes ont également été envoyées dans le golfe arabo-persique. Deux types de
démarches ont été conduite. L’une, très axée sur le
fonctionnement de la démocratie espagnole, était menée devant le Tribunal suprême à Madrid par la coalition Izquierda Unida (United Left) pour dénoncer, comme en Italie, l’absence de vote du Parlement espagnol avant les opérations militaires (http://www.izquierda-unida.es/iualdia/2003/abril/23/primera.htm) ;
l’autre, sous l’égide de plusieurs organisations non
gouvernementales comme Asociación Libre de Abogados (Association libre des avocats) et la plataforma Cultura contra la Guerra (Plateforme Culture contre la Guerre), auxquelles se sont joints de nombreuses personnes physiques ont porté plainte devant le tribunal suprême en insistant sur les crimes de guerre
(http://www.nodo50.org/csca/agenda2003/querella_15-04-03.html). Le nombre total de plainte a atteint le chiffre record de 1800 (!) début mai et a fait l’objet d’une couverture médiatique même dans les grands organes de presse.

Mais les alliés de M. Bush furent loin d’être les seuls à être le théâtre d’actions en justice vigoureuses.

En mars en Allemagne, le Parti du socialisme démocratique (PDS) a défrayé la chronique en traduisant devant la cour
Constitutionnelle de Karlsruhe M. Schroeder accusé de double-langage du fait qu’il maintenait de soldats allemands en Turquie sur les bases d’avions espions américains Awaks. Ce type de requête visant à dénoncer l’hypocrisie des gouvernements officiellement engagés contre la guerre américaine a inspiré fortement
l’introduction d’une requête en France-même : le Comité
contre la guerre en Irak, la Coordination pour une paix juste au Proche Orient ainsi que le principal syndicat de contrôleurs aériens français (USAC-CGT) ont saisi, le 10 avril 2003, le Conseil d’Etat français d’une demande d’annulation et de suspension de la décision autorisant les B52 américains à survoler le territoire de la France pour dans le cadre de leurs missions en Irak
(http://www.paixjusteauproche-orient.asso.fr/article.php?code=657&FormName=main.php&FormArticles_Page=1&PHPSESSID=4d94e6ccf9e2593f64360ffddf793ff9).

Par ailleurs, en Belgique, un groupe d’Irakien soutenu par le comité a déféré le gouvernement belge – pourtant adversaires des Etats-Unis – pour sa coopération militaire avec l’administration Bush.

Parallèlement les actions se multipliaient contre MM. Blair et Bush, même dans des pays neutres comme la Suisse (une plainte d’une association de victimes de guerre, comme en Belgique, soutenues par l’Alliance de la Gauche genevoise). En matière de poursuite de la coalition pour crime de guerre, l’enjeu le plus décisif se jouait incontestablement en Belgique ou une loi dite de “compétence universelle” autorisait les juges belges à condamner n’importe quel haut responsable étranger pour violation des conventions de Genève : ce qui signifiait que n’importe quel haut
fonctionnaire ou militaire de l’administration Bush inculpé
devant un tribunal civil en Belgique était susceptible d’être arrêté par la police belge à son arrivée à Bruxelles (où se trouve le siège de l’OTAN). Stop USA prévoyait début mai d’introduire une poursuite contre le général Tommy Franks, chef d’état major américain en Irak (http://www.entrefilets.com).

Les perspectives d’avenir
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Dans l’ensemble les chances de succès de ces requêtes juridictionnelles ne sont guère favorables. Tous les dispositifs nationaux protègent les “intérêts supérieurs” des Etats. En Suisse par exemple, seuls les tribunaux militaires peuvent juger le crimes de
guerre. En France, le Conseil d’Etat a déjà rejeté une des requêtes dont il était saisi en vertu d’une théorie des “actes de gouvernement” qui institue une sorte d’immunité au profit des décisions liées à la politique étrangère de la France. Il arrive que
les juges recourent à de très médiocres alibis. En Espagne, la plupart des plaintes ont été classées sans suite par le Parquet du fait que l’Espagne n’est pas officiellement en guerre. En Belgique la
première plainte de “Stop USA” a été rejetée parce qu’elle
comprenait vingt lignes en langue anglaise, en violation avec la loi fédérale sur les langues en usage dans ce pays !
(http://archive.indymedia.be/news/2003/05/60526.php).

Cela n’ôte nullement à ces actions leur intérêt premier qui estd’informer l’opinion publique. Les accusations de crimes de guerre à l’encontre des Etats-Unis étaient argumentées devant les Cours à l’aide de vidéos et de documents écrits volumineux. En France, la requête contre les B52 a été l’occasion de souligner les nombreux problèmes du contrôle technique de ces avions qui menacent aussi les populations qu’ils survolent en France, en Italie, dans les Balkans et en Turquie.

En second lieu, ces actions obligent les gouvernements à se justifier et dévoilent l’hypocrisie de leur politique. En Belgique, le gouvernement soumis aux pressions états-uniennes en a été réduit, le 7 mai, à changer de façon opportuniste la loi de compétence universelle de façon à écarter toute chance d’inculpation et d’arrestation du général Tommy Franks. Ce genre de manipulation grossière nuit à l’image des dirigeants et révèlent la
faiblesse de leur souveraineté.

En outre, le système juridique européen s’avérant de plus en plus complexe, on ne peut plus jamais dire qu’une bataille juridique est définitivement perdue. Ainsi, par exemple, même si les plaintes des associations françaises finissent par être rejetées, celles-ci garderont une chance de faire condamner devant la cour européenne des droits de l’homme la doctrine des immunités que le Conseil d’Etat cultive depuis un siècle en matière de politique
étrangère et, de la sorte, obtenir de nouveaux outils
juridiques pour des combats à venir.

Remarquons aussi que la création de la Cour pénale internationale de La Haye ouvre de nouveaux champs d’action. Même si les Etats-Unis sont à l’abri de son action du fait qu’ils n’en ont pas ratifié le protocole, d’autres responsables de la guerre en Irak peuvent y être déférés à commencer par Tony Blair – selon un
journal grec (Eleutherotypia 11.5.03) un groupe d’avocats
athéniens prépare déjà une plainte devant cette cour contre le premier-ministre britannique.

Ainsi les plaintes juridictionnelles prennent peu en peu place dans l’arsenal des moyens non-violents de contrôle et d’incitation que les citoyens, les associations progressistes, peuvent déployer contre les actions belliqueuses de leurs gouvernants; Ces actions constituent un moyen alternatif pour contourner l’inefficacité
ou la modération des parlements, et des partis politiques. Ils deviennent, à part entière, un instrument de la résistance mondiale à l’impérialisme global.