arch/ive/ief (2000 - 2005)

Cette lettre a le mérite d'ouvrir un débat...
by Collectif Bellaciao Sunday, May. 04, 2003 at 3:08 AM
bellaciaoparis@yahoo.fr

Pourquoi je n'ai pas manifesté le 1er mai

15 heures, ce 1er mai, place de la République.


Je suis venue car Bellaciao a l'intention de participer à la manifestation, c'est une tradition populaire importante, les générations passées se sont battues pour le symbole qui est fêté aujourd'hui ... et puis je l'avoue, c'est une très belle journée de printemps et l'idée de pouvoir investir les avenues parisiennes à pied sous cet agréable rayon de soleil me met plutôt de bonne humeur.
Je reste un moment à essayer d'apercevoir quelqu'un du groupe à l'endroit prévu du rendez-vous.
Mais apparemment la cause du jour motive moins nos militants que la guerre en Irak, contre laquelle nos rangs était toujours assez fournis ces dernières semaines.
C'est bizarre, on dirait bien que c'est le phénomène inverse qui s'est produit au sein des autres formations présentes dans le cortège.
Répétition des slogans ça et là avant le départ : encore quelques allusions à Bush, Sharon et leurs semblables, mais dans les déclamations et sur les banderoles figurent surtout les sacro- saintes revendications sociales.
Je sais, on est là pour ça aujourd'hui, pour défendre les droits du travailleur, en particulier sa retraite qui est menacée par une réforme.
Moi, j'ai peu d'illusions à propos de ce qu'on me versera quand j'arrêterai de travailler..... dans 30 ans au moins, sauf si un subit nouveau baby boom avait lieu !
Et puis je ne me voile pas la face - d'autres diront que je suis pessimiste ou que je baisse les bras - comme je vivrai plus longtemps que mon grand père ou même mon père, il me semble normal de travailler un peu plus longtemps qu'eux si on me le permet.
Je sais bien que la réalité est souvent moins simple, et que le licenciement en fin de carrière prive de ce choix beaucoup de nos concitoyens.
Donc malgré mon réalisme un peu désespéré, j'étais prête à défiler.
Mais quelque chose me gêne. Beaucoup de monde, beaucoup de bruit ; pourtant je me suis plutôt habituée à l'atmosphère des manifestations ces derniers temps mais aujourd'hui cela m'agresse.
Je suis presque mal à l'aise, comme présente malgré moi, pas tout à fait en accord avec tous ces gens qui arborent les couleurs de leur groupe et tiennent leur petit brin de muguet.
Ce qui me dérange, je le comprend peu à peu, c'est d'avoir sous les yeux la preuve de l'individualisme, de l'égoïsme croissants chez nous.
L'impression de grande foule me sera confirmée un peu plus tard avec les chiffres du nombre de participants à la manifestation.
Mais où donc étaient tous ces militants lors des dernières manifs contre la guerre ?
Au fur et à mesure des rendez-vous contre l'intervention anglo- américaine en Irak, nous avions vu les rangs des grandes formations (celles dont les porte-paroles font de si belles phrases à la télé lorsqu'elle veut montrer ce qu'est « la gauche ») se clairsemer, voire disparaître.
Et aujourd'hui les voici remotivés.... peut-être pour la même raison que moi, à cause du beau soleil ?
Non, soyons réalistes, on est là avec du muguet à la main parce qu'on est pas d'accord de travailler plus longtemps que 37 ans et demi, en France.
Et c'est une meilleure raison de descendre dans la rue que la guerre en Irak (et là bas, si on leur donnait les mêmes avantages sociaux que ceux dont on profite ici, vous croyez qu'il râleraient autant que nous ?).
Ca veut dire aussi qu'ici, personne n'a encore compris que défendre des causes internationales, se préoccuper de ce qui se passe hors de nos frontières, même lorsque l'action de notre gouvernement nous donne bonne conscience, c'est aussi important que préserver nos droits au niveau local.
Tout simplement parce que ce qu'on appelle mondialisation a rendu l'ensemble des peuples interdépendants.
Alors en cette belle journée du 1er mai, moi, fille et petite fille d'ouvriers, qui écoutais il y a bien longtemps mon père militant syndicaliste m'expliquer que tous les patrons étaient des salauds, j'ai laissé les manifestants répéter leur slogans bien préparés et..... je suis allée travailler.

Valérie
02.05.2003
Collectif Bellaciao

Trop dure!
by Cécily Monday, May. 05, 2003 at 3:03 PM

Chère Valérie, je te trouve trop dure envers toi-même et les autres!

C'est vrai qu'en France, il y a eu peu de mobilisation contre la guerre en Irak, parce que Chirac avait décidé de s'opposer à la guerre et que ça brûlait les mains à la gauche d'applaudir la politique étrangère d'un président qui menait en interne une politique de droite dure.
Nous avons applaudi à votre place! En Belgique et ailleurs en Europe, il y a eu une mobilisation considérable.
Alors que j'étais dans la plus grande manif belge contre cette guerre, j'ai pensé juste le contraire de ce que tu dis. J'ai pensé:

"Mais comme nous sommes généreux, en Belgique! Il y a huit ans, quand les gens manifestaient par centaines de milliers contre les enlèvements et le trafic d'enfants à des fins pédosexuelles, j'entendais: nous, vous pouvez nous retirer des acquis, mais ne touchez pas à nos enfants! Maintenant, nous sommes de nouveau une foule contre la guerre en Irak, alors que depuis ces huit ans, la situation sociale a encore empiré sans provoquer aucune manif de cette envergure! Décidément, nous ne faisons que manifester pour les autres!"

A mon avis, si la société civile est trop généreuse et a honte de manifester pour défendre sa situation sociale, c'est l'effet d'un matraquage par les médias. Bien joué la guerre psychologique!

Soyons égoïstes et défendons notre qualité de vie. Ca nous empêchera de ramer.
Et s'il faut absolument être généreux, songeons que cela nous rendrait plus disponibles et plus détendus pour notre entourage et pour nos enfants de garder un bon niveau et une bonne qualité de vie.
Quelqu'un qui se sacrifie pour son travail ou que la société sacrifie, n'est pas un exemple pour son entourage. En effet, nous ne sommes pas tous des saints capables de sourire et de rester aimants à travers n'importe quelles épreuves telles que: harcèlement au travail, surexploitation, licenciement, perte du droit au chômage etc.
En mai 68, les jeunes reprochaient à leurs parents de se contenter d'une vie étriquée, dévorée par le travail industrialisé.
Parfois, les jeunes préfèrent la drogue à la vie, pas parce que leurs parents ne les ont pas assez aimés, au contraire, mais parce qu'ils ne veulent pas devenir comme leurs parents. Les parents peuvent être des saints: les enfants, eux, n'en sont pas!
Ce n'est jamais uniquement pour soi qu'on défend les conditions matérielles nécessaires à l'épanouisement.
Je n'ai pas dit que ces conditions matérielles sont "suffisantes", mais sans elles, sans le nécessaire, aucune morale ni aucune éducation ne tient.