arch/ive/ief (2000 - 2005)

Interview avec Vincent Decroly et Erik Rydberg
by MELODIE et HAN Friday May 02, 2003 at 05:33 PM

Interview avec Vincent Decroly et Erik Rydberg sur le livre "Principes élémentaires de la propagande arc-en-ciel "

A propos du titre du livre,  vient-il de vous ? Ca apparaît comme un livre accessible seulement au niveau universitaire, or, quand on le lit, ce n’est pas vrai.

R : Là, c’est  en partie un clin d’œil, puisque, est sorti il y a quatre à cinq ans un livre qui s’appelait « principes élémentaires de la propagande de guerre », de Anne Morelli, et qui s’est aussi, je crois, relativement bien vendu. Et je crois que personne ne l’avait vu à ce moment là comme un « magnum opus », mais comme une ironie,  et je crois que c’est un peu ce qu’on a voulu reprendre. C’est plus une ironie qu’une volonté de faire le tour exact des choses, c’est pas une œuvre scientifique, une analyse complète de la propagande. C’est plutôt donné quelques très grands chapitres du fonctionnement.  « Principes élémentaires », comme lorsqu’on était petits on utilisait la boite du parfait chimiste, mais c’était pas un parfait chimiste, c’était tout juste des éprouvettes ! Donc, c’est un titre clin d’œil.

Mais quand on parle de principes élémentaires, et c’est quelque chose qu’on reproche aussi à Chomsky, on voit l’idée du complot. Est-ce comme ça qu’on doit voir la chose ?

D : Nous, je pense qu’on s’est plutôt situés en temps qu’observateurs. Je ne sais pas s’il y a vraiment de l’autre côté du miroir, des acteurs qui, eux ont conçu les principes activement et les mettent en œuvre. Mais il me semble en tout cas que comme observateurs on peut se livrer à une analyse de leur comportement en déclinant ces comportements en quelques grandes catégories qu’on a fait correspondre à des principes. Notre travail n’est pas un travail de type académique ni de type universitaire, mais c’est un travail qui a une prétention d’analyse. Il est d’ailleurs extraordinairement documenté, il y a beaucoup de notes infra- paginales, nous avons beaucoup recherché d’extraits en télévision, radio, des extraits d’interviews dans la presse du nord et du sud du pays, pour essayer de cerner leur discours. Notre matière première à nous était leur discours, et à quoi il sert.

R : Moi, j’ajouterais une chose à propos de ça. Je crois qu’on ne peut pas faire une meilleure synthèse. Je crois que le mot « complot » est un mot extrêmement chargé, plus du côté francophone encore, que du côté néerlandophone. Quiconque adresse une critique contre quelque chose qui s’est passé, on lui demande « est-ce que vous soupçonnez un complot ? ». Aussi autour des enfants disparus et assassinés, ça a été utilisé. Maintenant, en même temps, s’il est vrai qu’on ne peut jamais parler d’un complot, et ça, on va y revenir quand on parlera un peu après du black out, il est vrai qu’il  y a un système un peu d’étouffoir, et ça passe à travers le livre aussi. C'est-à-dire que le jeu permet telles choses, mais pas d’autre choses. Et l’analyse du discours, c’est aussi montrer en quoi ce discours fonctionne dans ce jeu qui ne permet pas une critique au-delà des limites. Alors, ça, c’est pas un complot, mais c’est un accord entre les grands partis. « Voilà, nous nous disputons comme ceci, on ne va pas se disputer ailleurs et on ne va surtout pas laisser quelqu’un d’autre rentrer pour gêner notre jeu à nous, et puis, que le meilleur gagne, ou que le meilleur perde ». C’est un jeu fermé.

D : En fait, la notion de complot ne me convient pas parce que le complot résulte d’une série d’initiatives et d’actions individuelles. Or, ce que nous analysons, c’est le résultat d’une série d’actions individuelles, probablement, mais dont l’addition donne plus que la simple somme des parties. De ce point de vue là, il y a un espèce d’à- priori écologique, ou systémique dans notre approche. Donc, c’est pas vraiment un complot, c’est pas un jour monsieur Michel qui dit à monsieur Verhoofstadt, qui transmet à madame Durant, qui en parle à madame Milquet , qui dit « bon, à partir de maintenant, nous allons faire de la communication cacophonique sur cet enjeu, sur ce dossier, c’est la meilleure manière pour nous de justifier, de conserver notre pouvoir ». C’est pas comme ça que ça se passe, ces personne sont des éléments, avec beaucoup d’autres personnes, beaucoup d’autres élément, d’un système de communication qui émet des signaux vers l’opinion publique et  ce système, qui est plus que la somme des initiatives individuelles, donne des résultats que nous pensons pouvoir analyser en termes de propagande, et que nous pensons pouvoir disséquer comme autant de « principes » de propagande ? Donc, pas de complots, parce que ça, c’est encore un vision trop individualiste et atomisée des choses, mais plutôt un à- priori d’analyse systémique parce qu’il nous semble que c’est davantage un système avec beaucoup d’interactions, de rétroactions qui est à l’œuvre, que simplement une chaîne de commandement linéaire. C’est ça la nuance entre complot et autre chose.

Et pour ce qui s’est passé dernièrement autour des transports d’armement, ça m’étonne que les transports se fassent, même si on a l’impression que le gouvernement belge est contre la guerre. Et je crois que beaucoup de gens ont compris ça.

R : Il y a une chose qui m’a frappé, c’est qu’en Belgique, on a toujours été, mais on est encore plus bas dans la confiance que les gens ont dans la presse et envers les hommes politiques aussi. Mais je crois réellement que beaucoup de gens ne sont pas dupes effectivement  de ça. Et ce qu’il y a de parfaitement étonnant dans la situation, c’est qu’ils disent des choses que tout le monde peut plus ou moins voir que ça ne tient pas debout. Le jeu qu’ils veulent jouer plus ou moins, c’est qu’une partie de l’arc-en-ciel est très anti-américaine, et qu’une autre est respectueuse des accords, etc., real politic ou parce qu’ils aiment les américains. Et on a cette belle diversité cacophonique, et ceux qui votent pour l’un ou pour l’autre, ça sera l’ensemble. Mais ce que je trouve étonnant, et c’est là que je trouve que la presse ne joue pas son rôle, c’est que un type comme Verhoofstadt qui défend ça, s’il donnait les vraies raisons, parce qu’il y a d’autres raisons, et qui seraient peut-être respectables à la limite. Je veux dire, il y a un accord, il y a les enjeux : on va perdre l’otan, enfin, Ever, on va perdre des choses pareilles. S’il le disait comme ça, à ce moment là, il se déshabille. Il ne le dit plus pour des raisons de grande politique, mais pour des raisons de real politic. « Notre position, petite Belgique.. », je crois que s’il le disait comme ça, les gens se diraient « bon, ok, on est un plus petit pays, il vaut mieux pas trop gueuler ». Mais ça, ils ne vont pas tenir un langage de franchise. Mais je ne crois pas que les gens sont dupes.

Pensez vous qu’au niveau de l’armement, les gens auraient accepté ce langage « vrai » ?

R : Je ne vais pas répondre tout seul, mais il me semble que on peut tenir tout un argument atlantiste mais ils ne le font pas dans toutes les déclinaisons de la chose. Il y a beaucoup de gens qui seraient près à l’accepter.

D : Je pense que dans une certaine mesure, ça passerait peut-être mieux que l’espèce de…

R : Mais ils n’ont pas la pédagogie de la vérité, c’est ça qu’il y a.

D : Par exemple, sur des questions comme les nuisances sonores graves que certains types de transports aériens de nuit entraînent par exemple autour de l’aéroport de Bierzée ou de Gosselies à Charleroi, on a quand même de la part des responsables politiques un discours clair et froid sur le thème de l’emploi créé, etc. Discours qu’on peut de nouveau démonter en demandant quel emploi, quelle stabilité d’emploi, quel statut pour ces travailleurs, etc. En tout cas, on dit froidement « c’est pas nécessairement très intéressant du point de vue gouvernemental, mais il y a l’emploi. » Sur la question des ventes d’armes, on est un peu entre les deux. Je crois qu’il y a encore dix ans, on disait « l’emploi à Liège, l’emploi dans le bassin liégeois pour la f.n., ou ailleurs pour d’autres entreprises. Aujourd’hui, de nouveau, ils ont basculé sur des arguments plutôt idéologiques qui sonnent très mal. C’est « le Népal, jeune démocratie ». Je ne sais pas comment les gens reçoivent ça. Nous ce qu’on a choisi à divers moments de notre travail pour essayer de décoder ce qu’est la propagande, c’est un décodeur assez simple et objectif, incontestable, qui est constitué par les votes émis au parlement . Parce qu’au parlement, à différent moment, que ce soit sur des projets de loi ou sur des recommandations parlementaires au gouvernement, des parlementaires – 150 à la chambre- peuvent choisir entre « oui », « non », ou s’abstenir ? Eventuellement, ils ne participent pas aux votes, c’est la quatrième option. Et là, on a quand même en condensé, et de façon tout à fait objectivable, la réalité d’une position. Et par exemple, sur cette question des transports militaires, le décodeur qui nous a permis de dire « attention, là, on est de nouveau dans une forme de propagande », c’est le fait que, à quatre reprises, en novembre, janvier, mars et avril – la dernière fois, c’était le quatre avril-, des députés qui disaient être hostiles à la guerre, des députés qui disaient être soucieux de l’égalité internationale vis-à-vis de la problématique irakienne, ont épousé la thèse gouvernementale, la thèse de monsieur Verhoofstadt sur la question de l’accord bilatéral avec les Etats-Unis en vertu duquel nous serions « obligés » de garantir ces transits. Ceci en dépit du droit international qui évidement ne permet à aucun pays d’en aider un autre à préparer une agression qui est une infraction. Donc, on a essayé, pour ce thème-là comme pour beaucoup d’autres d’isoler la propagande à partir de l’écart entre un discours et des votes au parlement, ou éventuellement des décisions gouvernementales, mais objectivables parce qu’il y a eu un communiqué de presse à l’issue du conseil des ministres, ou ce genre de choses. Ce qui, à mon avis, permet toujours de critiquer le livre en disant « oui, vous avez vus certaines choses, vous n’en avez pas vues d’autres ; pourquoi vous ne parlez pas de ça, pourquoi vous consacrez vingt pages à ça, et trois à ça, … » . Ca, effectivement, ce sont des choix, mais en tout cas, ce qu’on raconte, Erik et moi, c’est, de façon pratiquement systématique ancré sur cette question. Et pou nous, le signe qu’il u a de la propagande dans l’air, parce que la propagande est une espèce de gaz qu’on ne voit pas, mais le signe, c’est quand il y a un écart entre un vote au parlement, ou au gouvernement éventuellement, et le discours du dimanche lors du débat à la télévision, ou le discours à la tête d’une manifestation, que ce soit une manifestation contre la réforme du minimex, ou une manifestation contre le snelrecht ou un communiqué de presse contre la guerre. Chaque fois, on  a pris le discours, et les moments parlementaires où les choses pouvaient s’objectiver sous forme de vote.

Ce qui m’étonne, par exemple, à propos des transports, c’est que c’était dans les médias, et on a peu parlé de ça. On a utilisé l’argument que vous avancez à propos des transports, et j’ai été  traité par 2 journalistes de menteur, qui m’ont dit »ils n’ont jamais voté ce truc »...

D : C’st pourtant dans le anales parlementaires

Il y a une propagande, mais les médias doivent aussi jouer le jeu, sinon, ça ne marche pas...

R : Moi,je pense vraiment qu’il y a une mollesse de la presse...

Mais il ne faut pas oublier que vous étiez peut-être au courant de choses que les journalistes ne savaient pas, de par votre présence au parlement...

R : C’est à dire que c’est un combiné, puisque Vincent est à l’intérieur du parlement, moi à l’extérieur, on a donc un regard croisé de l’observateur de couloir et de celui des sièges. On s’est complétés sur les points de vues. Depuis le mois de juillet, on n’arrêtait pas d’échanger nos manuscrits, et en rajoutant des choses à la main. Mais par rapport à la presse, la première fois que j’ai entendu parler de ça, c’était dans « de morgen », je crois que c’était le premier à le sortir. Dans tous les autre pays, on se serait attendu à ce que tous les autres journaux s’emparent du truc, mais non, ça a fait son petit chemin, puis, il y a un professeur qui a réagi, et je n’ai toujours pas vu l’article qui pose la question  ouvertement et un peu durement « Messieurs les ministres, il y a encore combien d’accords secrets ? ». .. Bien, on a sorti celui-là, mais il y en a encore combien ? Parce qu’on avait sorti à l’époque, c’est dans les premiers articles du « morgen », sur le problème de passer des accords internationaux sans qu’ils soient ratifiés par le sénat. Et si on a des accords que le gouvernement prend en toute discussion, est-ce que c’est logique ? Il y a, je trouve, et plus en Belgique qu’ailleurs, une mollesse contre ce genre de choses...Heureusement qu’il y a indymedia pour ce genre de choses !! (Rires)

Mais si ce n’est pas légal, y a t’il des mesures qu’on peut prendre contre les parlementaires ?

D : Des mesures de quel ordre ?

De l’ordre de la destitution ou du jugement...

D : Mais ça, c’est le 18 mai !

et avant ?

D : Il y a une critique que les observateurs peuvent faire... peut-être que sur le point de vue judiciaire, on pourrait imaginer quelque chose, ça vaudrait la peine d’être creusé... une action contre l’Etat belge pour avoir assisté un Etat qui se préparait manifestement à agresser un autre état en infraction avec la chartre des nations unies, et ça ne serait pas tout à fait fou d’imaginer par exemple un collectif de civils irakiens, bombardés au premier jour par des armes dont on pourrait objectiver qu’elles sont passée par Anvers ou par ostende...

Il y a eu une action, mais le gouvernement a répondu

Ils ont dit que les intérêts de quelques personnes ne valent rien à côté des intérêts de l’Etat belge, à peu de choses près…

D : C’est grave, ça, c’est extraordinaire !!! C’est très intéressant, ça, parce que c’est une réponse vraiment totalitaire !!!

R : Mais il y a un glissement,, je ne vais pas dire totalitaire, mais l’interdiction au manifestants de la voie de chemins de fer de parler à la presse, c’est passé aussi sans qu’il y ait de grandes réactions dans la presse. Le « bulletin » c’était quand même indigné des tractations et de l’accord Union Européenne/Etats-Unis sur l’extradition qui sont entourés d’un secret total, et c’est quand même nos ministres, -des Duquenne, j’imagine- qui sont concernés par ça, et on n’en sait rien et on l’accepte. Donc, là, c’est un accord secret qui se prépare, dont l’information remonte à trois semaines. Je ne sais pas où ils en sont, ça freine un peu. Mais ce qui était déjà clair à l’époque, et là on est de nouveau dans ce « mini- totalitarisme », on accepte que des choses qui sont aussi fondamentales que le droit d’extradition , et toute la question d’extrader des gens vers les Etats-Unis qui ne garantissent pas les droits fondamentaux. Et là-dessus, il y a un black out total sur ce sur quoi on discute. Personne ne dit quels sont les textes, …on ne connaît même pas le mandat de l’Union Européenne, quel mandat elle a eu pour négocier avec les américains. C’est comme avec la GCS … Curieux monde de ce point de vue-là…

Qu’est- ce qui vous a amené à travailler ensemble ?

R : On s’est rencontré en rue ! (Rires) Non, on se connaissait un peu d’avant. En fait, comme j’était chroniqueur parlementaire, je connaissais pas tous les parlementaires, mais une série, et j’ai suivi la commission d’enquête Dutroux-Nihoul et consort, et c’est là, je crois qu’on s’est parlé plus souvent. Vincent avait eu l’idée, et il m’a demandé ce que j’en pensais, et on a commencé à discuter, et puis, c’est venu comme ça, on a construit ensemble. Mais le plan original est de Vincent.

D : Ce qui est intéressant, c’est que, aussi, j’ai travaillé pendant vingt ans au cœur d’un parti politique qui a construit un appareil et une stratégie de communication de plus en plus élaborés, et j’ai aussi travaillé pendant huit ans au sein d’une des principales institutions parlementaires du pays, et donc, je me trouvais fondamentalement à la source d’une partie de la propagande ambiante dans notre pays, et Erik, comme journaliste professionnel, il se trouvait juste en toute première ligne de ceux qui font l’interface entre l’opinion publique et le monde politique. On était tous les deux avec des expériences et des regards et des vies différentes, mais on était tous les deux quand même à des endroits très proches et à bien des regards complémentaires sur ce qu’est la  propagande et comment affiner ce concept de propagande pour essayer de ne pas tomber dans le piège qu’on qualifie de propagande tout ce qu’on n’aime pas, et de vérité politique tout ce qu’on apprécie. Et je pense que c’est un travail de regards croisés sur une série d’éléments qui nous a aidés intellectuellement à élaborer cette notion de propagande de façon un peu plus objective, même s’il y a probablement encore  beaucoup de choses à faire pour vraiment l’approcher plus objectivement et plus complètement encore. Mais je crois qu’avec ce croisement entre regards-là, on a commencé à réussir ça.

R : Je vois aussi une petite chose qui pourrait compléter ce que Vincent a dit. Il nous est apparu qu’il était assez intéressant, puisque la propagande est de tous temps…Mais ici, on se trouvait avec une combinaison gouvernementale qui était tout à fait nouvelle, et donc avec une propagande qui pouvait être  tout à fait nouvelle, un autre discours. Et ça, on était assez vite d’accord que utiliser d’une part un discours « nous sommes tout à fait différents » en essayant tout le temps de se positionner « nous sommes différents », on va essayer de voir en quoi ils sont différents, et souvent, ils ne le sont pas. Et puis, par ailleurs, ce qui est assez

 comique, d’un gouvernement qui se dit « on fait tout différemment », ils ont répliqué une série de propagandes typiques. Donc, je crois qu’on a essayé de temps à autre de dire « ici, il n’y a aucun changement en réalité. Mais on trouvait intéressant, puisque le système Dehaene a été analysé à n’en plus finir par des gens, ici, le système Verhoofstadt, l’arc-en-ciel, ça méritait d’être creusé ? C’était un de nos stimulis.

Est-ce que c’est typiquement belge, et est-ce que c’est nouveau ? Un gouvernement qui fait de la propagande comme ça ?

R : Ce qui est nouveau, c’est les nouvelles propagandes, ce n’est pas la propagande en soit.

Mais il y a quand même eu ce genre de choses en Hollande, en Allemagne…

R : Vincent me contredira ou me complètera, mais, et ça on le voit dans différents chapitres, où on met presque dans le même sac le PSC et le CVP. Et pour certains chapitres, c’est  en partie une critique de la propagande du temps actuel. Et je crois que cette espèce de notion que c’est toujours l’efficacité qui doit primer, peu importe quels sont les principes en jeu – et c’est comme ça qu’on privatise les entreprises publiques-, c’est le citoyen qui devient consommateur. Une fois qu’il n’y a plus de citoyens mais des consommateurs, il faut toujours savoir « ah, si vous payez 1,5 euros, c’est mieux que 2 euros, et puis après vous fermez votre gueule ». Ca, ce n’est pas belge, c’est vraiment toute l’évolution actuelle. Ca se trouve aussi dans la critique de la propagande qui dépasse Verhoofstadt, où Verhoofstadt n’est que la marionnette de son époque ; Autant que Milquet, qui dit la même chose.

Vous montrez dans le livre une déclaration de Verhoofstadt qui dit que la Belgique doit prendre exemple sur ses Etats voisins, puis, une autre déclaration où il dit que les Etats voisins doivent prendre exemple sur la Belgique…

D : Peut-être fais-tu référence, je n’en suis pas sûr, mais ça m’a marqué quelque part dans le livre, la déclaration d’entrée de Guy Verhoofstadt  le 9 octobre 2001, à son entrée parlementaire, qui est une déclaration assez importante, où il donne, non pas comme chaque année, les priorités de l’année parlementaire à venir, mais il dit « nous sommes à la moitié de la législature, et voilà ce que nous allons faire de la deuxième moitié. Et on est à quelques jours du 11 septembre, et on est à 3-4 jours de l’offensive contre l’Afghanistan, et il a cette phrase historique qui consiste à dire en substance, « nous n’avons pas assez travaillé pour stimuler l’adhésion d’autres pays et d’autres sociétés du monde à participer à notre modèle de développement de société tolérante, libre et démocratique. Nous n’avons pas fait de prosélytisme », en quelque sorte. Il n’utilise pas ce mot là, mais il y a une espèce d’extraordinaire fierté occidento-centriste du modèle soi- disant supérieur qu’on aurait voulu « mettre en place » chez nous, et que d’autres n’auraient pas l’intelligence d’installer spontanément. Donc, il y a là quelque chose d’assez frappant. Mais pour en revenir à la question qui était posée tout à l’heure, moi je crois vraiment que la propagande, c’est quelque chose qui est de tout temps et de tout lieu. E t quand Erik dit « la propagande Verhoofstadt est bien le résultat de notre temps », que la propagande est le produit d’une époque, je crois que c’est vrai, probablement dans la manière que la communication politique prend de plus en plus d’importance, et prend le pas sur le vrai travail politique, sur l’action politique réelle. Y a finalement le reflet d’une société où on doit vendre des produits et où la publicité commerciale occupe une place de plus en plus importante, et je pense que le travail politique est en train de se faire contaminer de plus en plus par différentes valeurs des entreprises privées, en général. Et parmi ces valeurs, je crois que la valeur « faire connaître son produit » par la publicité commerciale est en train d’être complètement intégrée par le monde politique qui dit, « nous aussi, nous devons vendre nos décisions, faire adhérer à nos réformes, inspire du désir par rapport aux personnes que nous sommes ». Et je pense qu’il y a vraiment récupération de concepts importés du monde de la publicité commerciale pure et simple, avec ce que nous savons que ça comporte de mensonges, de faux-semblants, de monde un peu irréel. Quand Di Rupo, Deleuze, et d’autres sont à Porto Allegre avec Anne-Marie Lizin en tête de manifestation alter mondialiste devant des dizaines de milliers de personnes venues du monde entier, et notamment d’Amérique Latine et d’Asie ; qui sont des personnes issues du monde du travail ou du monde des paysans, et qu’on les voit défiler sous une mer de drapeaux rouges, et puis, qu’ils montrent ça dans des clips vidéos ou des sites Internet, on se dit, mais là, ils sont en plein dans la publicité ! C’est une espèce de parti socialiste rêvé, celui dont le leader est propulsé par les masses laborieuses du monde entier en révolte contre les excès du capitalisme à Porto Allegre. Ce qui permet de dire que c’est un monde rêvé, c’est que, lorsqu’on voit une série de votes concrets sur les enjeux de type mondialisation, par exemple, les recommandations en matière d’accord général en matière de services, les membres du PS et les verts votent contre les recommandations d’exclure les services publics du champ d’application du futur AGCS. Ils ont voté en 4 ans plus d’accord bilatéraux sur l’investissement qu’au cours des 30 dernières années. Je crois qu’il y a vraiment une importation, dans la pratique politique quotidienne, des techniques de pub, y compris dans ce qu »elles ont de plus critiquable. La propagande, comme la pub, il en faut, pour que le consommateur sache quel produit il achète. Il faut que le citoyen sache quelle politique on mène en son nom. Depuis la marche blanche, il y a une forte demande de responsabilité envers les politiques, et je crois qu’il y a beaucoup de politiques qui ont été surpris de ça. Ils ont tout d’un coup découvert qu’on leur demandait des comptes sur les résultats de ce qu’ils faisaient ? Et qu’ils n’étaient pas le pouvoir pour le pouvoir, mais qu’ils étaient une délégation de pouvoirs ! Il y avait deux manières de répondre à cela, c’était, soit la confrontation autour d’une nouvelle manière de communiquer dans un sens de plus grande responsabilité, de discours plus vrai, ou alors en remettre une couche du point de vue publicité. Moi, j’ai eu l’impression, souvent, au cours des 4 dernières années, qu’on avait plus souvent choisi l’option publicitaire que l’option responsabilité politique.

Le 4e pouvoir n’est-il pas donné aux journalistes, de voir la différence entre la propagande et la réalité ? Mais, aussi, d’un côté, je pense qu’on ne doit pas leur reprocher de mettre une couche de vernis…

R : On essaie de gratter le vernis, c’est tout !

Mais ce qui est étonnant, c’est que ça passe dans les médias. Et c’est encore plus fort maintenant qu’on est en période électorale. On présente les choses de façon plus personnelle

R : Pour ce qui me concerne, on peut revenir sur la molesse, je crois. La presse est un peu le reflet de la société un peu fermée qu’est la Belgique. Fermée dans le sens où c’est très consensualiste, comme les compromis « à la belge ». Le mot dit bien ce que ça veut dire. Et j’avais été très étonné – et c’est un exemple plus parlant que les transports militaires- pendant la guerre, essayant de suivre les choses, je n’allais pas lire un journal belge ! Je lisais assez régulièrement l’ »independent ». Et ils ont récement fait, au sujet de toutes les soit-disant « preuves » d’armes de destruction massive , une une disant « where are they, mister Blair ? ». Comme ça, sur toutesles colonnes au dessus. Et ici, je ne voit aucun journal qui dirait « Où est l’accord secret ? », ou « Combien y en a-t’il ? ». Je trouve qu’au point de vue des « watchstore », la presse est très consensualiste. Là où il y a un conflit, elle essaie de dire  « c’est pas tellement grave ». Ce qu’elle fait beaucoup  aussi,, et ça, j’en ai fait l’expérience, c’est plutôt jouer les jeux. Allez, il voient un jeu se passer, et ils essaient de le décoder en temps que jeu, mais ils ne font pas le pas supplémentaire qui consiste à dire pourqoi ce jeu est là. C’est assez typique. C’est très gratifiant, quand on est un journaliste politique, de savoir qu’on a bien compris le jeu. Outre le fait que la Belgique est un petit pays, et ce n’est pas péjoratif, c’est parce que c’est un petit pays, tout bêtement. Autant ça s’est vu dans mille choses, dans l’affaire Dutroux, par exemple : beaucoup de blocages naissent du fait que tout le monde connaît tout le monde. Donc, à l’université, on verra rarement un universitaire s’opposer à un autre universitaire, parce que c’est un pêtit pays, et demain, ils vont peut-être être à la& même table sous le même contract, donc, on ne va passe taper dessus. Alors qu’en France, le type d’Alsace n’en a rien à faire du type de Marseille. Eux, ils risquent peu d’avoir des contacts. Ca m’a frappé, que les gens ne savent jamais avec qui ils vont gouverner demain. Et pour la presse, la priorité, c’est d’avoir l’information, et se brouiller avec les gens, c’est se couper l’information. C’est une ambiance presque familiale. Je caricature, mais c’est presque le journaliste qui téléphonne à l’homme politque en lui disant « tu va voir, demain, je te rentre dedans, mais c’est pas grave, tu me connais, hein ? »

Et vous, vous êtes- vous déjà fait couper l’information à cause de choses que vous auriez dites ou faites ?

R : Non, dans mon expérience, je ne me suis jamais fait couper l’information, mais il faut dire que j’étais dans des médias relativement entiers, et qui sont peut-être morts en partie à cause de ça… il est certain que «  le matin »… et c’est un jeu infernal, je dirais…il était relativement proche du PS, parce qu’il fallait bien être proche de quelqu’un pour avoirdes fonds publics, ce qui nous a fait perdre les PSCet les écolos. Mais comme on ne donnait pas assez au PS, on a eu finalement tout le monde contre nous. Et donc,quand il a fallu sauver le journal, il n’y avait plus personne… Je crois que vraiment une parole indépendante dans la presse belge…

Mais dans ce contexte là, êtes vous étonné qu’il y ait autour du livre une espèce de « black out » ?

R : On devrait ne pas être étonné, tu veux dire ? C’est une bonne question… on aurait dû le prévoir… on croit toujours que la prochaine sera la bonne ! Cela dit, s’il n’y a pas d’écho presse, je ne crois pas que cela soit tellement grave… il y a quand même le tam-tam. Mais je ne pensais quand même pas qu’ils allaient agir comme ça. Je pensais qu’ils allaient le mentionner en omettant des choses… Mais ils vont peut-être le faire le 19 !!

Mais en période d’élection, pourtant, on veut ouvrir le débat, non ? C’est l’évaluation aussi d’un gouvernement qui pourrait être matière à débat. Les journalistes pourraient le citer sans le mentionner pour susciter le débat…

R : C’est hors des grandes formations… je ne crois pas qu’on veuille un débat hors des grandes formations. J’ai entendu une petite information sur « vivant » aujourd’hui, ça m’a étonné, d’ailleurs.

D : Est-ce qu’il y a vraiment un black- out ? Les 2 ou 3 autres de Louis Michel, d’Elio Di Rupo, on en parle ?

R : Oui oui.

Dans les émissions néerlandophones, on en parle. Le livre sur Résist, il est passé sur les médias.

R : Je crois qu’il y a beaucoup moins une culture de débat véritable du côté néerlandophone que du côté francophone

D’ailleurs, dans le livre, vous mentionnez souvent le « morgen », et pas tellement les journaux francophones…

R : Oui, je ne suis pas toujours d’accoord avec ce qu’ils disent ou ce qu’ils pensent, mais je trouve qu’ils ont un feeling pour ce qu’il se passe… Est-ce que ça a un lien avec la culture protestante et catholique ? Je ne sais pas… Moi qui suis un étranger ici, j’ai été frappé par le fait qu’il y a toujours plus une tradition et une culture du débat du côté néerlandophone…

Mais bon, ça dépend peut- être des situations

Mais du côté néerlandophone, quand il y a un débat, c’est tout de suite avec les couteaux. On n’a pas la culture de discuter et de voir ce qui en sort…

R : Je ne sais pas, je ne vais pas souvent à ces débats. Moi, je parlais plus de ce que je vois dans la presse, y compris aux pays- bas… Je vois qu’ils soulèvent des questions qu’on ne soulèverait jamais ici. Ici, on bloque une série de questions, on ne va pas en parler.


Le fait que tout le monde se connaît, est-ce quelque chose qui se joue aussi dans le parlement ?

D : Oui, probablement, encore que moi, au parlement, j’ai eu souvent l’impression d’une institution en perte de vitesse globalement avec des membres qui se perçoivent eux même comme jouant un rôle annexe. Je dis souvent que le parlement a glissé d’un travail de représentation au sens démocratique du terme, vers une fonction de représentation au sens plus théâtral du terme ; De nouveau, on est dans la communication, et donc, j’ai un peu l’impression de confrontation très convenue, et dans la plupart des cas très feinte. C’est à dire qu’elles aboutissent à des réconciliations dans les couloirs. Pour moi, c’était vraiment frappant de voir le CDH sur le débat à propos des ventes d’armes à la rentrée parlementaire 2002, développer une critique sur un ton très dur de l’action du gouvernement. Et sur le contenu de la critique, il n’y avait rien. A aucun moment ils n’ont dit « si nous avions été au gouvernement, nous n’aurions pas livré, et vous n’auriez pas du livrer ». A aucun moment ils n’ont dit cela. Ils ont péroré pendant une heure sur le thème « vous n’êtes pas foutus d’être d’accord entre vous, qu’est-ce que c’est que ça pour un gouvernement ? ». Ce qui était une critique recevable, mais c’était intéressant de savoir que sur un point, tout en affichant un ton très dur, ils ont réussi à ne jamais se positionner sur le fond du dossier. Et dans le cercle même de l’assemblée, on voyait qu’il y avait des formes de connivence entre celui qui parlait, et des gens comme Verhoofstadt, ou Reynders. Et effectivement, ça ressemble à « tu me rentre dedans, mais bon, tu me connais, tu peux toujours compter sur moi ».

Mais pour le Népal, par exemple, il n’y a pas vraiment eu de journalistes pour se poser la question. Il y en a qelques uns qui sont allés voir ce qu’était cette jeune démocratie, mais c’était aussi marginal. Tard le soir, on pouvait voir un reportage sur la démocratie jeune au Népal. Est-ce quelque chose qui joue…

R : Je ne sais pas si je répond exactement, mais il y a 2 choses qui me semblent approcher et continuer ce que disait Vincent, c’est que d’une part, pour ce qui est de cette attitude du parlement, je pense que par cette coalition arc-en-ciel qui est une sorte de méga coalition où elle joue même l’opposition – mais c’est  une opposition factice, parce qu’on sait d’avance que l’opinion dominante va passer-. Mais en face, on n’a que du côté francophone le CDH qui ne pèse quand même pas. Il faut voir au parlement, ils sont au bord du précipice. Et puis, du côté flamand, il y a l’extrême droite dont on ne parle pas. Et je trouve qu’il y a une énorme différence : à partir du moment où tu a une opposition où tu as le PS, ou les libéraux ou écolo, on a de manière garantie un vrai débat. Ici, il y a quelque chose qui est faussé par la législature même. Deuxième chose que je veux dire, et là, ça répond peut-être plus à ce que tu me dit, c’est sur la marginalisation. Vincent a connu la sienne, mais qui était en partie due à lui, et/ou choisie. Mais je trouve qu’il est assez révélateur de voir, et si on prend la législature précédente avec la commission Dutroux qui a quand même été un exemple rare de parlementaires décidant de jouer leur propre job et de ne pas tenir compte des disciplines et tout ça. Il y a quand même, quand on voit le nombre de punis pour avoir fait cela après, comme Verwilgen qui n’arrête pas d’être flingué dans son propre parti et par les autres aussi, Moureau, que le PS a plus ou moins enlevé des listes pour qu’il ne puisse pas être réélu,… Il y a une série comme ça. Je crois que celui qui vote en âme et conscience, c’est quasi se mettre dehors. Mais il est vrai qu’il faut une discipline de parti, sinon, ça devient le bordel.

Mais c’est aussi un argument qu’on utilise maintenant dans les débats, c’est que donner la parole aux petits… il y en a déjà 4, c’est déjà assez compliqué comme ça !!L’argument de la discipline de parti, c’est un peu le même…

R : Non, je veux dire que si pour chaque vote, il n’y avait aucune concertation intra parti, ça risque de devenir bordélique, je le crois. Il faut une structure.

D : La discipline n’est pas une valeur en soi. On peut en groupe réaliser des choses extraordinaires, mais on peut aussi faire des choses épouvantables ; Je veux dire que le groupe a aussi l’alibi d’une certaine lâcheté. Se conformer à l’opinion de groupe est parfois honorable. Pour moi, la référence de la discipline, c’est le programme sur lequel on a été élu, pour un parlementaire. C’est notamment pour cela que l’extrême droite continue à monter. C’est parce que les programmes sur lesquels on a été élu, après les élections, tendent à devenir des indicateurs, un repère parmi d’autres. Et ça, je pense que c’est un peu léger.  C’est pour ça que la notion d’électron libre, c’est une notion que je réfute en ce qui me concerne. J’ai toujours dit que j’étais un parlementaire terriblement dépendant. Je suis dépendant du programme sur lequel j’ai été élu avec d’autres. Je pense que parfois, personnellement, dans certains cas, la non coopération avec un pouvoir qu’on conteste reste la dernière possibilité d’expression et d’émission d’un message cohérant. Quand on est le seul, parfois, ben on doit être le seul ! Politiquement, ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus efficace, mais moi, à un moment donné, j’ai vraiment eu l’impression que les groupes qu’on formait, on entérinait finalement à 4 contre 2, ou à 3 contre 2. Et alors, il fallait dans le travail quotidien dépenser une somme d’énergie vraiment important : chercher de la documentation, des vieilles résolutions du parti, montrer que parfois, même l’accord de coalition n’était pas respecté. Et puis, réaliser un document, le soumettre, et pendant ce temps-là, les types en face n’ont rien à faire. Ils disent  « oui, tu as raison sur le fond, mais stratégiquement, c’est pas ce qu’on doit faire. ». On peut contester sur la stratégie, il n’y a pas de vérité immanente sur un parti au pouvoir. Et j’ai eu l’impression au bout d’un certain temps que c’était tellement répétitif sur tellement de sujets que je devenais une espèce d’alibi sur pattes, finalement !!!Parce qu’il y avait une série de domaines, ceux sur lesquels j’avais beaucoup travaillé notamment, ceux sur lesquels j’étais identifié en temps que marketing écolo -mais je ne crois pas que ça soit seulement écolo, tous les partis fonctionnent de la même manière, que cela soit bien clair ! - , mais j’étais un peu identifié comme le monsieur drogue, droit d’asile,…Alors, j’étais de plus en plus sommé de porter la parole du gouvernement face à des décisions qui, à répétition, devenaient profondément antagoniques par rapport à ce sur quoi on avait tous été élus. Alors, les types qui travaillaient dans d’autres domaines, ça ne les dérangeait pas ! Et j’avais l’impression de plus en plus d’être un agent de propagande, mais dans le mauvais sens du terme. Il faut des compromis, il y a la notion à un moment donné de convergence, mais il y a des compromis qui tirent vers le haut la société vers le programme sur lequel on a été élu, et il y en a qui éloignent objectivement la société de ce programme. Moi je pense que une fois ou deux sur 4 ans, on peut accepter un compromis qui éloigne, mais on ne peut pas le faire une fois tous les deux mois, hors, on en était quasi à ce rythme là. En communauté et régions, ce n’était peut-être pas la même chose, les équilibres n’étaient peut-être pas les  mêmes. Mais au fédéral, tous les deux mois, il y avait un truc énorme. Les institutions ont le pouvoir que le peuple leur délègue, et elles ont aussi le pouvoir que le peuple leur consent. Il y a une espèce de pacte, là, et pour moi, le pacte qu’écolo avait passé avec arc-en-ciel était en train de devenir un pacte de servitude volontaire, une espèce d’automatisation de l’autocensure. Mais peut-être que dans 10 ans, je me dirai que je n’aurais pas du faire cela…

Mais ne pensez vous pas que dans un gouvernement, on doit forcément faire des compromis ? J’ai l’impression que dans le livre, vous méprisez un peu les demis- mesures, mais les demis –mesures ne permettent –elles pas de satisfaire la majorité ?

D : Ca dépend, demi- mesure, il faut savoir si tu vas dans plus un demi ou moins un demi. Si c’est en dessous de zéro, moi, je ne peux pas voter pour plus d’une fois ou deux sur quatre ans. Si c’est au dessus de zéro, même de un demi centimètre alors qu’il faudrait faire trois km, il faut le soutenir.

Mais à partir du moment où c’est un travail qu’on doit faire ensemble, forcément, tout le monde ne sera pas toujours content. Vous récriminez le fait que les partis oublient un peu leur programme de départ, mais je pense qu’à partir du moment où ils sont ensemble pour gouverner, ils doivent le faire ensemble, et pas en se tapant dessus…

D : Oui, il y a une synthèse qui doit se faire. Mais mon point de vue – et c’est un éclairage personnel – c’est que le compromis s’est souvent fait d’après le programme libéral. J’ai l’impression que les libéraux ont une légitimité démocratique, ils ont aussi été délégués, comme moi, il n’y a rien à dire là –dessus, et ils ont le droit de pousser pour faire progresser leur programme. Mais je ne leur reconnais pas le droit de nous obliger nous qui avons été élus sur un programme différent dans certains cas, à renier le nôtre. Or, je leur reconnaît le droit de dire « vous allez trop vite, vous n’aurez qu’une demi mesure, un quart, ou un dixième de mesure ». Ils ont le droit, et si le compromis se fait sur un dixième de mesure, moi, j’aurais plutôt tendance à dire, et je l’ai fait souvent, je l’ai fait pendant 8 ans, que cela soit dans l’opposition, ou dans la majorité, ou de nouveau dans l’opposition, j’ai toujours essayé d’appliquer ce principe-là. Dix centimètres, même si c’est 5 Km, si c’est 5 cm plus ou moins dans la bonne direction, j’ai toujours voté pour. Mais le problème commence à se poser quand on va vraiment à l’encontre. On est élu avec un programme qui est respectueux de la légalité internationale, et on vote 4 fois, à 4-5 mois de distance en faveur d’une thèse gouvernementale sur le fait qu’on ne peut pas se distancier des Etats – Unis en matière de soutien logistique, ou de coopération indirecte avec les préparatifs guerriers. Il y a un 10aine de points que je pourrais aligner les uns à la suite des autres où, manifestement, par exemple, pour l’abrogation de la loi de 74 sur le minimex. Pour évaluer, critiquer, et faire une bonne intervention sur le sujet, je suis allé voir ce que nous disions tous ensemble sur le sujet il y a 4 ans. Seulement 4 ans. Il y avait déjà eu un début de tentative d’érosion de la loi de 74 sur le minimex dans les aspects d’inconditionnalité, ou de faible conditionnalité associé à l’octroi du minimex. C’est – à – dire qu’à ce moment là, on disait « les gens doivent avoir un revenu pour s’intégrer, et le revenu est la condition de l’intégration ». Maintenant, c’est totalement l’inverse, l’intégration est la condition du revenu, et tu n’auras pas de revenu minimum si tu n’es pas intégré. Et en plus, intégré, ça veut dire être disponible pour le travail, et quel travail ? Pas forcément celui que la législation sociale prévoit pour protéger les gens de l’obligation de travailler dans des conditions auxquelles ils ne sont pas préparés, ou à des niveaux de qualifications qu’ils n’ont pas. Non, pratiquement n’importe quel type de travail, tout ça a été poussé sous cette législature ci. Et il m’a suffit d’aller voir des critiques qui  ont été