arch/ive/ief (2000 - 2005)

La vérité réside dans le coeur de tout homme (Gandhi)
by Patrick Gillard Tuesday April 15, 2003 at 06:42 PM
patrickgillard@skynet.be

Chantre des thèses néolibérales, capable de descendre dans la rue pour réclamer davantage de capitalisme, Corentin de SALLE légitime la guerre d'agression en Irak, avec l'argument inattaquable des droits de l'homme.

La Libre Belgique éclairera le débat relatif à la question irakienne, si la rédaction de cette dernière publie aussi les commentaires, que la publication de l'avis de l'assistant à l'Université Libre de Bruxelles ne manquera pas de susciter auprès de son lectorat.

Tentative de réplique en répondant aux interrogations de Corentin de SALLE. (1)

Cette guerre est-elle morale ?

L'amoralité de la guerre n'exclut cependant pas la responsabilité morale du choix de guerroyer ou non. A fortiori, lorsque la "croisade" est présentée à l'opinion publique, comme une guerre entre le Bien et le Mal. Si une intervention militaire de la communauté internationale était, par exemple, moralement obligatoire, lors du génocide rwandais de 1994, aucun devoir moral ne justifie la présente guerre d'agression anglo-américaine en Irak. C'est au contraire l'immoralité de ce conflit, qui a poussé tant de millions de personnes à manifester exceptionnellement leur désaccord dans la rue.

Cette guerre est-elle légale ?

Malgré ses imperfections, l'Organisation des Nations Unies (ONU) représente pour le moment l'instance de référence en droit international. La composition de la coalition américano-britannique n'est pas parfaite non plus : celle-ci compte aussi en son sein quelques dictatures qui sont loin de défendre les droits de l'homme, que cette coalition serait censée promouvoir en Irak. Aujourd'hui, la charte des Nations Unies constitue donc la loi mondiale. Et c'est en vertu de l'article 51 de cette réglementation - qui reconnaît uniquement le droit naturel à la légitime défense -, que l'invasion militaire américano-britannique de mars 2003 peut-être qualifiée d'illégale.

Cette guerre est-elle juste ?

En l'absence d'institutions judiciaires mondiales ad hoc, les questions juridiques soulevées par le conflit irakien relèvent donc aussi de l'ONU. Stéphane CHAUVIER ouvre cependant d'intéressantes perspectives sémantiques, qui dépassent largement l'aspect juridique de la question militaire. Pour ce chercheur à l'Université de Caen, une guerre juste ou « une guerre qui serait un pur acte de justice, serait une action militaire que des États pourraient entreprendre même s'ils n'avaient aucun intérêt à le faire » (2) ; ce qui n'est évidemment pas le cas de l'administration Bush en Irak.

Cette guerre est-elle légitime ?

Le droit international - on l'a vu - autorise l'usage de la force armée uniquement en cas de légitime défense. Mais seule l'utilisation de cette force militaire décidée par le Conseil de Sécurité de l'ONU est légitime. Par la création et l'application du concept de «guerre préventive» sans l'aval des Nations Unies, les gouvernants des États-Unis ont donc transgressé les règles du droit international. Les rocambolesques justifications étasuniennes successives (armes de destruction massive, terrorisme international, démocratie, remodelage du Moyen Orient), destinées à tenter de justifier, auprès des opinions publiques américaine et internationale, une intervention militaire en Irak dictée unilatéralement par un agenda caché depuis le 12 septembre 2001, n'ont finalement réussi à convaincre qu'une quarantaine de dirigeants du monde.

Cette guerre est-elle nécessaire ?

Avant cette guerre, l'Irak était sans doute le pays au monde le plus contrôlé. Amputé de deux grandes parties de son territoire, bombardé quasi quotidiennement par l'aviation américano-britannique, l'Irak était en outre frappé par un sévère embargo économique, à peine adouci par le programme "Pétrole contre Nourriture" - un blocus dont souffrait surtout la population. Depuis la fin de l'année 2002, les dirigeants du régime de Bagdad ont également accepté le retour des inspecteurs en désarmement de l'ONU. Ce contrôle permanent et multiforme écartait non seulement toute éventuelle menace, mais rendait aussi tout à fait inutile n'importe quelle intervention militaire en Irak.

Cette guerre est-elle pertinente ?

Le caractère conventionnel des armes avec lesquelles l'armée irakienne a tenté de résister, pendant quelques semaines, aux impressionnantes forces américano-britanniques prouve que les différentes campagnes de désarmement, que l'Irak a connu depuis la guerre du Golfe, avaient déjà atteint leurs objectifs avant le mois de mars 2003, rendant par conséquent la récente attaque d'autant moins pertinente. Quand on évalue le poids réel de la menace que pouvait représenter le régime de Saddam Hussein pour ses voisins, pour les États-Unis et pour le monde entier, la présente guerre constitue une réponse tout à fait disproportionnée dont le bilan en termes de vies humaines, civiles et militaires, sera d'autant plus lourd que cette guerre était tout compte fait inutile.

Que les Européens du camp de la paix - gouvernants et populations - se soient complètement fourvoyés dans leur gestion de la question irakienne - comme l'écrit Corentin de SALLE - n'empêchera pas les pacifistes convaincus de supporter le poids d'une erreur présumée, puisqu'ils partent du principe qu'« une erreur ne devient pas vérité parce que tout le monde y croit, pas plus qu'une vérité ne peut devenir erreur lorsque personne n'y adhère » (3).

Patrick Gillard, historien
Bruxelles, le 15 avril 2003

Notes

(1) Corentin de SALLE, Une erreur dont nous porterons le poids, dans La Libre Belgique, jeudi 10 avril 2003, p. 11 (cf. aussi : http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=111649).

(2) Stéphane CHAUVIER, Y-a-t-il de justes guerres ?, dans Penser la guerre, penser la paix, Colloque organisé par la Société Angevine de Philosophie le 18 mars 2000, Éditions Pleins Feux, 2001, p. 120.

(3) GANDHI, Tous les hommes sont frères, Gallimard, Folio essais n°130, p. 140.