arch/ive/ief (2000 - 2005)

ONU et OTAN au Kosovo: bilan
by Cécily Monday April 14, 2003 at 02:58 PM

A l'heure où on veut envoyer l'ONU gouverner l'Irak, il est utile de se rappeler que l'ONU et l'OTAN sont au Kosovo depuis 1999, et tentent en vain d'y construire une socité multiculturelle et économiquement dynamique.

Les élections municipales

Le 26 octobre 2002, les élections municipales du Kosovo se sont passées dans la morosité. Malgré les appels à la participation lancés par la MINUK qui est la force des Nations-Unies au Kosovo, ainsi que par les autorités serbes de Belgrade et les dirigeants modérés de la communauté albano-kosovare, le taux de participation des Albanais et des Serbes du Kosovo a été faible.

Les Serbes non encore chassés du pays, haïs par les Albanais et vivant dans des lotissements retranchés derrière des cordons de sécurité de la KFOR, se sont livrés à un quasi-boycott : très peu d'entre eux sont allés voter. Un de leurs porte-parle a dit : « Si nous avions voté, tout le monde aurait pu dire que tous les problèmes étaient résolus, tandis qu'en nous abstenant, nous manifestons notre mécontentement et nous obligerons la communauté internationale à revoir sa copie et à s'engager enfin à garantir des conditions de vie acceptables aux Serbes du Kosovo. »

Il n'y a que dans les quelques grandes communes serbes du nord du Kosovo, que les Serbes ont voté massivement. Balayant les modérés de la Coalition pour le Retour, qui avaient connu un assez bon succès aux élections parlementaires de 2001, ils ont élu des nationalistes radicaux et des anciens du parti de Milosevic.

Quant aux Albanais, qui représentent maintenant 95% de la population du Kosovo après que la guerre de 1999 ait radicalisé les esprits et chassé les minorités ethniques, ils ont été à peine plus de 50% à aller voter. Pour ce qui est du résultat, la LDK, le parti du président nationaliste pacifique Rugova, a continué sa lente érosion au profit des partis issus de la guérilla : PDK et AAK.

Ce qui distingue de la LDK les deux partis plus radicaux, ce n'est pas seulement l'usage des armes pour obtenir l'indépendance du Kosovo et son détachement de la Serbie. C'est aussi que les deux derniers partis ont pour but la réunion du Kosovo à l'Albanie et la construction de la grande Albanie qui comprend des parties de la Serbie, de la Macédoine, de la Grèce.

La LDK reste de loin le premier parti des Albanais du Kosovo, à 45% des suffrages. Mais alors que Rugova fait office de beau parleur impuissant, des Albanais basculent dans le camp des extrémistes.

En tout cas, il n'y a pas de parti albano-kosovar non-nationaliste. Les Albanais du Kosovo ont le choix entre le nationalisme modéré et le nationalisme guerrier. Dans l'état actuel de l'esprit et des médias locaux, un parti non nationaliste n'aurait aucune chance.

Ce ne sont pas seulement les Albanais et les Serbes qui rivalisent par des moyens peu électoraux, mais aussi les Albanais entre eux. Au lendemain de ces élections, le maire sortant de la ville de Suva Reka, un membre de la LDK, a été assassiné par des sympathisants du PDK alors qu'il fêtait sa réélection. « Le meurtre de Suva Reka fait craindre une nouvelle montée de violence politique inter-albanaise »…

En 2003, c'est reparti comme en 98

A côté de la « violence politique inter-albanaise », il y a les crimes perpétrés contre de simples citoyens albanais dont le seul tort est de vivre aux environs des endroits où les Serbes du Kosovo sont retranchés et ruminent leur propre ressentiment ethnique. Une radio-télévision allemande, qui émet en Albanais, tient le compte rigoureux de tous ces assassinats dans leurs détails les plus crus et suggère vaguement que les auteurs sont des extrémistes serbes issus de ces enclaves. Mais en définitive, on ne retrouve jamais les coupables. « Que font les autorités internationales pour les retrouver ? » se plaignent les Albanais, et ils accusent la KFOR et la MINUK de complaisance envers les Serbes.

Objectivement, cette insécurité n'est pas intense, mais chaque acte de violence est monté en épingle comme le fut en Belgique l'assassinat du professeur de religion islamique par un « raciste belge » en automne 2002. Ce genre de couverture médiatique nauséeuse est de nature à faire que, malgré un faible niveau de violence, chaque ethnie se sent menacée par l'autre ethnie, d'où la généralisation d'une pensée nationaliste et le risque permanent de pogroms et de violences interethniques.

Dernièrement, les autorités de Belgrade avaient envoyé leur meilleur représentant, Zoran Djindjic, négocier le statut final du Kosovo. Djindjic avait obtenu de faire asseoir des Albanais du Kosovo à la table de négociations avec les Serbes, ce qui était un exploit. Il y avait donc quelques chances de voir évoluer les mentalités et les sentiments dans le pays. Mais voilà, Djindjic a été assassiné.

D'après un début d'enquête, il aurait été assassiné par des extrémistes serbes des mêmes milices que celles qui commettaient des atrocités au Kosovo depuis 1998, avant que l'aviation de l'OTAN ne vienne, euh… y mettre de l'ordre.

En 98 et 99, dans le berceau de l'UCK qu'est la Drenica, les milices et les militaires serbes ne se sont pas livrés à un « génocide ». Ils étaient provoqués par l'UCK, et ils réprimaient. Mais il faut voir comment les choses se sont passées sur le terrain pour les habitants albanais. Quand on brûle un village entier et qu'on en chasse les quelques centaines d'habitants en en tuant quelques dizaines de manière atroce, ce n'est pas un génocide. Quand cela se répète ici et là dans une région, ce n'est peut-être même pas un nettoyage ethnique : il faut voir si c'est l'effet d'une politique concertée de l'oppresseur visant à modifier durablement la carte ethnique. Mais ceux qui vivent la situation n'ont que faire de ces arguties. On ne peut pas vous faire un dessin parce que ce ne serait pas très joli, mais des membres de leur famille ont été, par exemple, brûlés vifs sous leurs yeux. Depuis, ils ne savent plus dormir ; ils sursautent au moindre bruit de voiture s'approchant de leur maison.

Désormais, si des années après, les médias envoient certains signaux bien précis à la population albanaise, cela réveillera des réactions extrêmes de panique et de haine.

Et voilà les mêmes milices serbes qui resurgissent dans les médias en tant qu'assassins de Zoran Djindjic. Du coup, les Albanais sont convaincus que c'est reparti comme en 98.

Autant dire que le bilan kosovar n'est pas des plus encourageants au moment où on s'apprête à soumettre l'Irak au même type de gouvernement que le Kosovo. Quand on se souvient que la MINUK et l'OTAN sont venues là en 1999 pour mettre fin au conflit ethnique et réconcilier les communautés, on trouve cette entreprise aussi surréaliste que les motifs officiels d'aller envahir l'Irak.

La colère du général Mini

Début avril, le commandant de la KFOR de l'OTAN au Kosovo, qui s'appelle le général Mini, a tapé sur la table, exprimant une bonne fois sans langue de bois son dégoût envers toute la situation au Kosovo.

« Qui contrôle ce damné pays ? » se demande-t-il.

Le pays est bourré de forces de police : la police de la MINUK (ONU), celle de la Kfor (OTAN), le service se police du Kosovo (KPS), la police du TMK… mais aucune de ces polices ne veut s'affronter au fait que la société est en train de passer sous la coupe de la mafia, du crime organisé et de la corruption.

Il est aussi bourré d'armées dont deux officielles et deux clandestines. Les deux officielles sont la KFOR et le TMK qui a pour but de devenir l'armée du Kosovo. Les deux clandestines sont les sinistres SRG qui sont les ex-unités spéciales de la police serbe dans le nord du Kosovo, et une toute nouvelle armée qui vient de surgir de l'échec des négociations sur le statut final du Kosovo. Cette nouvelle armée s'appelle l'ANA ou AKSH, « Armée nationale Albanaise ».

Pendant que les SRG préparent une riposte militaire à tout progrès du Kosovo vers l'indépendance, l'AKSH leur répond comme le berger à la bergère, en appelant les Albanais du Kosovo à la guerre de libération. Déjà, des Albanais creusent des tranchées sur les consignes de l'AKSH, et sous le nez de la KFOR.

C'est aussi sous le nez de la KFOR que, depuis 1999, des milieux albanais pas trop identifiés ont continué à inviter des moudjahidin et des terroristes de la mouvance wahhabite à venir dans des camps au pays.

Bref, plus le pays pullule de forces de maintien de la paix, et plus il émerge des groupes armés qui préparent la guerre. Les autorités internationales sont d'une inefficacité rare. Pendant que les groupes clandestins fourbissent les armes dans les camps des campagnes, les autorités officielles de Pristina jouent les fantoches en se gargarisant d'anglicismes savants : « standards de gouvernance », « transferts de compétences », « la sécurité satisfaisante » et même, dans un pays où le chômage dépasse la moitié de la population active, on arrive à trouver des « domaines florissants » de l'économie informelle. Tout va très bien madame la marquise !

Pour la petite histoire, ces discours déconnectés de la réalité sont gobés tout crus et tout entiers par les autorités belges qui refusent sur cette base les demandeurs d'asile kosovars : « Meuhnon, de quoi vous plaignez-vous, ce que vous racontez n'est pas crédible : d'après nos informations, tout est sous contrôle international vigilant dans le pays d'où vous venez et d'ailleurs, il y a eu des élections libres ! »

Le syndrome Bunel

Alors que la création d'une armée parallèle est la première des choses interdites dans n'importe quel Etat, la MINUK et la KFOR font comme si les gens du Kosovo ne savaient rien faire d'autre que de créer de nouvelles armées, et baissent les bras devant cette dangereuse spécialité locale. C'est peut-être du respect envers l'identité culturelle, qui sait.

Autre particularité culturelle : contrairement à la vieille Europe, mais aussi à la Macédoine et à une partie de l'est, les autorités albanaises se sont rangées aux côtés des USA dans la guerre contre l'Irak. Comme si les forces occidentales occupantes, malgré leur mollesse à l'égard des armées parallèles, ou à cause d'elle, poursuivaient un projet mondial où les Albanais sont promis à une grande place.

Ce n'est d'ailleurs pas parce qu'une armée n'a pas d'existence officielle que la MINUK et la KFOR ne dialoguent pas avec elle. Ainsi, dernièrement l'AKSH aurait « reçu des signaux politiques de la part de la MINUK et de la KFOR pour suspendre provisoirement ses activités. » Cela suppose qu'en d'autres temps, l'armée clandestine peut recevoir de la KFOR et de la MINUK des signaux pour les continuer.

La réaction du général Mini rappelle fort celle de Pierre-Henri Bunel et de quelques hauts responsables de l'OTAN en Bosnie au milieu des années 90. Ils constataient que, sous couvert de l'OTAN, des Américains de la CIA armaient les camps d'extrémistes islamiques internationaux présents en Bosnie. Ceci, contre la mission manifeste de l'OTAN : le désarmement de toutes les parties (voir les sources).

Au Kosovo, tout se passe à nouveau comme si la MINUK et la KFOR étaient truffées de gens qui ne travaillent pas dans le but avoué, tandis que d'autres hauts membres sont de bonne foi et piquent de temps en temps une colère impuissante, comme le général Mini.

On peut bien se demander avec lui : « Si toutes ces institutions enfouissent leur tête dans le sable, et en laissant le champ libre aux polices et aux milices privées, qui contrôle politiquement et militairement le Kosovo ? »


Sources :
« le Kosovo entre lassitude et radicalisation », Jean-Arnault Dérens, le Courrier des Balkans, 27 octobre 2002
« Qui contrôle le Kosovo ? », Halil Matoshi, article paru dans le journal Zëri le 5 avril 2003 et traduit pour le Courrier des Balkans.
Pour le précédent bosniaque, voir :
Peter Franssen et pol De Vos, « 11 septembre : pourquoi ils ont laissé faire les pirates de l'air », EPO 2002 p. 79-80 ;
Pierre-Henri Bunel, « Crimes de guerre à l'OTAN », Carnot 2001.


Une intéressante analyse amis un peu lacunaire
by chiffornouge.org Monday April 14, 2003 at 04:30 PM
root@chiffonrouge.org

Oui très informatif mais çà manque de mise à jour sur la situation elle meme en Serbie depuis le coup d'Etat du 12 mars dernier instaurant l'Etat d'exception jusqu'en 2004 au moins d'après des news récentes...