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Lettres de Rachel Corrie écrasées le 16-3 à Gaza
by Anonymous Tuesday April 08, 2003 at 07:52 PM

Voici les dernières lettres de Rachel Corrie de International Solidarité Movement à sa mère, un mois avant qu'un bull-dozer israelien décidé à détruire la maison qu'il visait ne l'écrase sciemment (voir les photos sur le site ISM) . Il y a 15 ans la photo d'un jeune homme chinois barrant la route à une armada de tank chinois a fait le tour du monde :le tankiste s'est arrêté pour ne pas l'écraser. Aujourd'hui ce type d'hésitation est démodé et les medias se taisent

RACHEL CORRIE : QUELQUES UNES DE SES DERNIERES LETTRES
8 avril – Voici quelques unes des dernières lettres adressées par la jeune pacifiste américaine Rachel Corrie, écrasée par un bulldozer israélien le 16 mars dernier, alors qu'elle tentait de s'opposer à à la destruction d'une maison palestinienne, dans la bande de Gaza.

Février 2003

Maman,

Je t'aime. Tu me manques vraiment ;
J'ai de mauvais cauchemars, avec des tanks et des bulldozers autour de la maison et toi et moi à l'intérieur.

J'ai vraiment peur pour les gens d'ici. Hier je regardais un père conduire par la main ses deux petits enfants dehors, en plein dans le champ de vision des tanks, d'une tour de tireur, des bulldozers et des Jeeps, parce qu'il pensait que sa maison allait être dynamitée. Jenny et moi sommes restées à la maison avec plusieurs femmes et deux tout petits bébés.

C'est dans ce même secteur que dimanche environ 150 hommes ont été regroupés et maintenus hors du camp sous la menace des fusils au-dessus de leur tête et tout autour d'eux, tandis que les tanks et les bulldozers détruisaient 25 serres – le gagne-pain de 300 personnes. J'étais terrifiée à l'idée que cet homme croyait qu'il courait moins de risque à marcher dehors dans la visée des tanks avec ses enfants que s'il était resté chez lui. J'étais absolument effrayée à l'idée qu'ils pourraient être abattus et j'ai essayé me tenir entre eux et le tank.

Ca arrive tous les jours, mais ce père-là marchant dehors avec ses deux petits, et paraissant terriblement triste, a simplement attiré plus mon attention , à cet instant particulier.

J'ai beaucoup réfléchi à propos de ce que tu as dit sur la violence palestinienne qui n'aide pas la situation. Six mille travailleurs de Rafah travaillaient en Israël il y a deux ans. Maintenant il n'y en a plus que six cents. Sur ces six cents, beaucoup ont déménagé parce que les trois check points entre ici et Ashkelon (la ville la plus proche en Israël) font qu'au lieu de 40 minutes de trajet c'est devenu maintenant un voyage de douze heures ou alors impossible. De plus ce que Rafah considérait en 1999 comme ses sources de croissance économique est complètement détruit – l'aéroport international de Gaza (pistes détruites, totalement fermé) ; les frontières pour le commerce avec l'Egypte (maintenant il y a une tour israélienne de tireurs d'élite au beau milieu du passage) ; l'accès à la mer (complètement barré au cours des deux dernières années par un check point et la colonie Gush Katif). Beaucoup de maisons ont été détruites à Rafah depuis le début de l'intifada et un grand nombre de gens n'ont pas de lien avec la résistance mais il se trouve qu'ils vivent près de la frontière. Je crois qu'on peut dire officiellement maintenant que Rafah est l'endroit le plus pauvre du monde.

Nous recevons aussi des témoignages que dans le passé des cargaisons de fleurs gazaouites à destination de l'Europe ont été retardées pendant des semaines au passage d'Erez pour inspections de sécurité. Tu imagines sans mal la valeur de fleurs coupées vieilles de deux semaines pour le marché européen, si bien que ce marché s'est tari. Et alors les bulldozers arrivent et enlèvent aux gens les jardins et les vergers.
Qu'est-ce qui reste aux gens ? Dis-moi si tu as une réponse. Moi pas. Si chacun de nous voyait sa vie et son bien-être complètement entravés, vivait avec ses enfants dans un endroit réduit où nous saurions, de notre expérience antérieure, que les soldats, les tanks et les bulldozers peuvent arriver n'importe quand et détruire toutes les serres que nous avons cultivées depuis si longtemps, et faisait cela tandis que certains d'entre nous seraient battus et tenus en captivité avec 149 autres personnes pendant des heures – penses-tu que nous pourrions essayer d'utiliser des moyens quelque peu violents pour protéger le peu de miettes qui nous resteraient ? J'y pense surtout quand je vois les vergers, les serres et les arbres fruitiers détruits – juste des années de soins et de culture.
Je pense à vous et combien c'est long de faire pousser les choses et quel travail d'amour cela représente. Je crois vraiment que dans une situation similaire la plupart des gens se défendraient du mieux qu'ils le pourraient.

Quand cet engin a explosé hier il a détruit toutes les fenêtres de la maison familiale. On était en train de me servir du thé et j'allais jouer avec les deux petits bébés. J'ai eu des temps difficiles jusqu'à présent. J'ai très mal au ventre à force d'être tout le temps adorée, très gentiment, par des gens qui regardent la mort en face.

Tu sais que j'ai tout un tas de bien gentils Palestiniens qui s'occupent de moi. J'ai une petite grippe et on m'a donné des très bons jus de citron pour me soigner. La femme qui garde la clé du puits où nous dormons me demande toujours, continuellement de tes nouvelles. Elle ne parle pas un mot d''anglais mais elle demande bien souvent des nouvelles de ma maman et elle veut être sûre que je t'appelle.
Bises à toi, à papa, à Sarah, à Chris et à tous.
Rachel

Février 2003
Merci, Maman, pour ta réponse a mon dernier email. Ca m'aide réellement d'avoir des nouvelles de vous et des autres gens qui se soucient de moi. Après t'avoir écrit, j'ai été séparée de mon groupe pendant dix heures, que j'ai passées sur le front à Hi Salam avec une famille, qui m'a offert à diner. Les deux pièces de l'entrée sont inutilisables à cause des tirs d'obus qui ont transpercé les murs, si bien que toute la famille - trois enfants et deux parents – dort dans la chambre des parents . J'ai dormi sur le sol, près de la plus jeune fille, Iman, et nous avons partagé les couvertures.

Vendredi c'est le jour férié, et quand je me suis réveillée, ils regardaient Gummy Bears, doublé en arabe. J'ai donc déjeuné avec eux et suis restée assise un moment, heureuse sur ce gros tas de couvertures en train de regarder ce qui me rappelait les dessins animés du samedi. Puis j'ai marché vers B'razil, où vivent Nidal, Mansur, Grand-mère et Rafat et toute la grande famille qui m'a adoptée de tout son cœur. (L'autre jour, Grand-mère m'a donné à lire une bande dessinée en arabe à propos des fumeurs, en désignant son châle noir du doigt. J'ai demandé à Nidal de lui dire que ma mère serait heureuse de savoir que quelqu'un m'a donné à lire comment la fumée encrasse mes poumons). J'ai rencontré leur belle-sœur, en visite du camp de Nusserat, et j'ai joué avec son bébé. L'anglais de Nidal devient meilleur chaque jour. Il est le seul à m'appeler « ma sœur ».

Quand je suis avec des amis palestiniens, j'ai tendance à être quelque peu moins horrifiée que lorsque j'essaie d'agir dans le rôle d'observateur des droits humains, de reporter ou de résistant. Ils sont un bon exemple de comment se comporter sur la longue route. Je sais que cette situation leur arrive à différents niveaux (et qu'elle peut finalement les écraser), mais je suis cependant stupéfaite de leur force à préserver autant de leur humanité – rire, générosité, temps familial – dans les conditions horribles de leurs vies, avec la présence continue de la mort. Je me sens beaucoup mieux après cette matinée. J'ai passé beaucoup de temps à écrire ma déception de découvrir, parfois pour la première fois, le mal dont nous sommes toujours capables.

Je veux juste écrire que je suis le témoin de ce génocide chronique, et insidieux et que je suis vraiment effrayée, et que je n'arrête pas de m'interroger sur ma croyance fondamentale dans la bonté de la nature humaine. Cela doit cesser. Je pense que c'est une bonne idée pour nous tous de tout lâcher et de consacrer nos vies à faire stopper tout ça. Je ne pense pas que ce soit extrémiste non plus. Je veux toujours danser autour de Pat Benatar et avoir des petits amis et faire le clown pour mes collègues. Mais je veux aussi que tout cela cesse. Incrédulité et horreur, c'est ce que je ressens. Déception. Je suis déçue que ce soit l'ignoble réalité de notre monde et que nous, en fait, y participions. Ce n'est pas du tout ce que je voulais quand je suis venue au monde. Ce n'est pas du tout ce que les gens d'ici demandaient quand ils sont venus au monde. Ce n'est pas le monde dans lequel toi et Papa vouliez me voir venir quand vous avez décidé de m'avoir. Ce n'est pas ce que je voulais dire quand je regardais Capital Lake et que je disais « Voilà le vaste monde et j'y arrive ».

Quand je rentrerai de Palestine, j'aurai probablement des cauchemars et je me sentirai constamment coupable de n'être pas là, mais je peux canaliser ça dans plus de travail. Être venue ici est l'une des meilleurs choses que j'ai jamais faites.

Je devrais au moins mentionner que je découvre aussi la force et la capacité de l'homme à rester humain dans les circonstances les plus désespérées – que je n'avais jamais affrontées auparavant. Je crois que le mot est dignité. Je voudrais que vous rencontriez ces personnes. Peut-être, avec un peu de chance, vous le ferez un jour.
Rachel

simplement merci...
by RaF Wednesday April 09, 2003 at 08:37 PM
raf.pirlot@swing.be

simplement merci ... de nous avoir traduit ces quelques mots de Rachel, si humaine, si sure qu'elle rentrerait, si sure qu'elle en tant qu'occidentale pouvait empécher un tank d'atteindre un papa et ses gosses ou un buldozzer de raser une maison. Elle était sûre qu'en rentrant elle ferait des cauchemards, j'espère qu'aujourd'hui ce sont les sbirres de l'Empire qui en font !

Entre tristesse, espoir et colère,
RaF, liège, Belgique, Planète Terre