arch/ive/ief (2000 - 2005)

L'humanitaire dans l'«Orha» de la guerre
by Patrick Gillard Monday April 07, 2003 at 11:37 AM
patrickgillard@skynet.be

La participation aux palabres relatifs aux questions humanitaires des principaux acteurs étatiques, coupables de l'avortement des négociations diplomatiques à propos de l'Irak, n'est pas vraiment une surprise puisque ces excellents tacticiens ont tous, à des degrés divers mais dans une parfaite unanimité - même s'ils s'en défendent -, gardé en permanence deux fers au feu.

L'évacuation momentanée de la question irakienne de la scène diplomatique internationale, par le déclenchement de la guerre d'agression illégale américano-britannique, sans l'aval des Nations Unies, a fait rebondir celle-ci au centre des discussions humanitaires à propos desquelles se disputent, depuis le début du conflit, non seulement des représentants de nombreux pays responsables de l'échec des pourparlers politiques, mais aussi bien entendu ceux d'un certain nombre de grandes instances onusiennes et d'organisations non gouvernementales (ONG). La participation aux palabres relatifs aux questions humanitaires des principaux acteurs étatiques, coupables de l'avortement des négociations diplomatiques à propos de l'Irak, n'est pas vraiment une surprise puisque ces excellents tacticiens ont tous, à des degrés divers mais dans une parfaite unanimité - même s'ils s'en défendent -, gardé en permanence deux fers au feu.

Alors que la situation humanitaire en Irak se dégrade et que le nombre de personnes déplacées augmente tous les jours, certains observateurs craignent avec raison que les belligérants intègrent l'arme humanitaire dans leur stratégie militaire. Quitte à prendre certaines populations démunies, bloquées ou déplacées, en otage, les forces armées, tant irakiennes qu'américano-britanniques, pourraient en effet être tentées d'empêcher les acteurs de l'octroi de l'aide d'urgence, d'accéder à temps aux zones de combats, c'est-à-dire là où les interventions humanitaires s'avèrent pourtant les plus nécessaires.

Pourquoi, en dépit des multiples effets d'annonce, l'aide humanitaire n'arrive-t-elle pas en quantité suffisante aux populations qui en ont besoin ? Qu'attendent les organisations relevant de l'ONU et les ONG pour intervenir concrètement et massivement sur le terrain ? Si tous les acteurs, tant militaires qu'humanitaires, se trouvent actuellement dans une situation d'attente comparable en ce qui concerne la question de la distribution de l'aide aux populations, les raisons qui les poussent à patienter sont néanmoins chaque fois différentes.

L'armée américaine intègre stratégiquement l'aide humanitaire

En dépit du démenti apporté par les bombardements quotidiens, les partisans du renversement du régime de Saddam Hussein par la force ont toujours clamé haut et fort, que la guerre préventive, qu'ils disent mener "avec répugnance" en Irak, n'est pas dirigée contre les populations irakiennes dont ils veulent, au contraire, la "libération". Les prétendues bonnes intentions étasuniennes, à l'égard des populations irakiennes, pourraient-elles se vérifier dans la signature que le président Bush a apposé, « dès le 20 janvier 2003 [, à] une directive créant[,] au sein même du département de la Défense[,] un Office de la Reconstruction et des Affaires humanitaires (Orha) » ? (1) Non, cette création constitue surtout la preuve que l'administration Bush, qui est parvenue à imposer sa logique de guerre préventive au monde entier, poursuit des objectifs à moyen et à long terme en envahissant l'Irak et que, pour les atteindre, elle a intelligemment pris au milieu des discussions onusiennes des mesures unilatérales lui accordant, dès le début du conflit, une position dominatrice tant sur le terrain de l'aide humanitaire que sur celui, encore beaucoup plus important, de la reconstruction du pays. Au grand dam des ONG préoccupées d'indépendance, la création de cet équivoque Orha va également contribuer à amalgamer encore davantage, « sous l'expression d' «aide humanitaire», l'aide militairement désintéressée que s'efforcent d'apporter la Croix-Rouge et un certain nombre d'ONG [ - c'est-à-dire l'aide humanitaire proprement dite - ] et le ravitaillement convoyé par les troupes américaines et britanniques [ - autrement dit, le ravitaillement militaire - ] à des fins politico-militaires parfaitement identifiables : tenter de séduire les «populations» (...) dont ils ont provoqué ou précipité la détresse et le dénuement ». (2)

Par le contrôle qu'elles exercent sur l'acheminement d'une aide alimentaire et sanitaire aux civils irakiens, les armées occupantes peuvent en réalité faire usage de l'arme humanitaire de deux manières différentes : soit fournir de l'aide aux personnes dont elles espèrent le soutien, soit bloquer l'aide afin de faire pression sur une population hostile, civile ou militaire.

Les opérations humanitaires de séduction du commandement militaire américano-britannique ont aussi pour but de réduire l'impact négatif, que créent, auprès des opinions publiques irakienne, arabe et internationale, les trop nombreux tués et blessés civils des bombardements de plus en plus aveugles et meurtriers dont sont victimes les populations des principales villes du pays, Bagdad en tête. Si elles veulent atteindre cet objectif, les opérations séductrices doivent donc être communiquées au grand public. Aussi avons-nous appris, par exemple, que « sept camions chargés de vivres et d'eau potable[,] envoyés par le Koweït[, étaient] arrivés mercredi [26 mars] à Oum Kasr, le port en eau profonde de l'extrême-sud de l'Irak dont la population [était] à court de provisions après plusieurs jours de combats. Le convoi (...) était escorté par la police militaire américaine et [devait remettre] ses marchandises aux unités de Marines américains stationnées à Oum Kasr ». (3) De même, on a pu lire qu' « un navire britannique transportant 231 tonnes de vivres, de médicaments, de couvertures et d'eau potable [était] également attendu dans les prochaines 48 heures ». (3)

La publication de ce type d'informations pourrait donner raison aux défenseurs de la thèse qui prétend que les forces occidentales sont armées des meilleures intentions humanitaires en entrant par la force en Irak. Or, il n'en est rien : d'autres dépêches signalent au contraire que « les troupes américano-britanniques n'ont pu jusqu'ici apporter aucune aide aux civils dépenaillés qu'ils ont croisés sur les routes du sud de l'Irak ». (4) Témoignage exemplaire de l'autre utilisation possible de l'arme humanitaire, Jean Zielgler stigmatise l'attitude des armées américano-britanniques en signalant que « des stocks considérables de médicaments, de nourriture, de secours se trouvent au Koweït, mais [que] les forces d'occupation ne les laissent pas entrer en Irak ». (5) Les militaires américains et britanniques « ne peuvent pas se substituer aux organisations humanitaires (...) [parce qu'] ils ne respectent (...) pas les principes de neutralité et d'impartialité ». (5) La recommandation raisonnable du célèbre rapporteur de l'ONU sur le droit à l'alimentation sera-t-elle entendue ? Rien n'est moins sûr.

La générosité intéressée de l'Union Européenne

Influencée par des intérêts économiques (e.a. pétroliers) passés, présents ou à venir en Irak, l'action des tenants du désarmement pacifique du régime de Saddam Hussein - France et Allemagne en tête - n'a donc pas toujours été guidée par le généreux souci de veiller au bien-être des populations irakiennes, même si cette prétendue préoccupation humanitaire était omniprésente dans la plupart des déclarations tonitruantes et médiatisées des ténors politiques. (6)

S'ils voulaient vraiment aider les populations irakiennes, pourquoi les gouvernements européens - et surtout ceux appartenant au camp de la paix - ont-ils attendu les premiers bombardements de Bagdad pour tenter d'occuper un espace sur le terrain humanitaire ? Craignaient-ils jusque-là d'être taxés de complaisance envers Saddam Hussein ? Peut-être. En dépit d'un embargo dont la sévérité était quand même un peu adoucie par les effets du célèbre programme «Pétrole contre Nourriture» - planification qui permettait, avant son interruption au milieu du mois de mars, à 60% de la population irakienne de survivre tant bien que mal -, l'inéluctabilité de la guerre rendait pourtant nécessaire n'importe quelle action d'aide préventive massive en faveur de la population irakienne et ce, depuis plusieurs mois. Mais, rivés jusqu'au terme des spectaculaires négociations onusiennes au prétexte étasunien du désarmement de l'Irak, les dirigeants de la super-ONG européenne ont attendu naïvement le vacarme des premiers raids aériens occidentaux, pour essayer de faire entendre leur voix - forcément inaudible - sur la scène humanitaire internationale, investie depuis deux mois par l'Orha américain.

C'est néanmoins dans leur rôle habituel de "financier" de l'aide humanitaire que les Quinze sont parvenus à retrouver un peu de l'unité de vues qu'ils avaient perdue jusque-là dans leur gestion désastreuse de la question irakienne. A partir de ce moment-là, les communiqués de presse d'une Union Européenne de plus en plus généreuse se sont succédés à un rythme tellement soutenu, qu'ils traduisent peut-être un certain mouvement de panique à bord du paquebot européen ; affolement également perceptible par les récentes prises de position d'un certain nombre de ses dirigeants, réclamant en vain la reprise des négociations diplomatiques irakiennes sous l'égide des Nations Unies, tant pour les questions humanitaires que pour celles - à hautes retombées économiques - de la reconstruction du pays. Mais si le montant de l'aide européenne promise aux populations irakiennes a rapidement grimpé de 21 à 327 millions d'euros, on n'a pas assez insisté sur le fait que « le problème, c'est que la prise de décision pour débloquer l'argent, qui est de 83 jours en moyenne [!], est [beaucoup] trop longue ». (7) D'autant plus que les dirigeants des États-Unis ont pris des mesures concrètes et unilatérales, dès le 20 janvier dernier, non seulement sur le plan humanitaire, mais aussi et surtout au niveau du dossier connexe de la reconstruction irakienne.

Le calcul des effets bénéfiques des actions des ONG

Si elles n'ont pas encore eu l'occasion de porter secours aux nombreuses victimes de la guerre, les ONG présentes en Irak ou dans les pays limitrophes devraient pouvoir intervenir assez rapidement grâce à leur souplesse, même si de nombreux obstacles de différentes natures se dressent encore sur le chemin qui les sépare des populations irakiennes en détresse.

Soucieuses de la sécurité de leur personnel local et expatrié, la plupart des organisations spécialisées dans la distribution de l'aide d'urgence attendent pour le moment à la frontière irakienne, que les conditions d'accès aux populations confinées en zone de guerre s'améliorent. Cette attente aux portes de l'Irak est motivée en grande partie par le désir des ONG à vouloir reprendre leurs activités humanitaires dans ce pays. Au risque de briser peut-être un solide tabou, il faut savoir qu'une certaine concurrence existe aussi entre les différentes organisations non gouvernementales. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, un spécialiste du terrain, reconnaît en effet que « si nous partons (...) et que d'autres ONG nous remplacent, nous aurons moins de chances d'obtenir des financements, c'est la triste vérité... Une ONG doit rester sur le terrain, en l'occurrence le terrain qui intéresse les donateurs ». (8) Et tout compte fait, il n'y a aucune raison de croire, à l'heure du néolibéralisme triomphant et de la mondialisation supposée heureuse, que les conclusions dérangeantes de cette analyse ne s'appliquent pas également au cas irakien. S'ajoutant aux formalités douanières demandées par les administrations des pays où les organisations non gouvernementales séjournent provisoirement, les démarches administratives exceptionnelles éventuellement exigées par les autorités irakiennes et/ou par les forces occupantes expliquent également les raisons du blocage actuel des équipes et du matériel de certaines ONG aux postes de frontière irakiens.

Une fois à l'intérieur du pays, le personnel des ONG - même celui de celles qui fonctionnaient déjà en Irak avant la guerre - devra prioritairement essayer de regagner la confiance d'une population non seulement blessée, mais surtout abandonnée par le monde entier. Dans quels endroits les secouristes humanitaires pourront-ils opérer ? Pourront-ils intervenir là où l'urgence se fait le plus sentir ? Ou devront-ils suivre les directives des forces armées des deux camps ? Toutes ces questions soulèvent implicitement celle, beaucoup plus importante à long terme, de la réduction progressive des espaces de liberté et d'indépendance dont jouissent les ONG actives en temps de guerre et, en l'occurrence, dans un futur Irak administré provisoirement par l'armée étasunienne.

Pour un groupe d'ONG qui ont décidé de coordonner leur action, il n'est pourtant pas question de « limiter [leur] intervention aux zones «pacifiées» dans le sillage des troupes, [ce serait] dénaturer l'aide humanitaire en lui imposant un choix entre les victimes » (9). Or « les organisations humanitaires ne sont pas préservées, par la seule grâce des principes d'indépendance et d'impartialité dont elles se réclament, des tensions et des rapports de force qui traversent les pays en crise » (10) et, a fortiori, les pays en guerre où - qu'on le veuille ou non - l'aide humanitaire « peut se révéler un facteur structurant des conflits, les belligérants rackettant les ONG et encadrant politiquement les réfugiés dans les camps ». (11) Pour Pérouse de Montclos, « quand l'aide n'est qu'un soin paillatif sans résolution des causes politiques du problème, il faut savoir partir et travailler en amont des crises, par exemple en muselant les marchands de canons. Le véritable défi à venir pour les ONG serait donc de connaître le seuil où les effets pervers l'emportent sur les effets bénéfiques, le sauvetage d'une vie aujourd'hui se traduisant par le sacrifice de dix demain ». (11) Gare donc à la récupération : une ONG prévenue en vaut deux !

Victime d'une lecture unilatérale du monde,
l'ONU disparaîtra-t-elle ?

L'instrumentalisation des Nations Unies est beaucoup plus fréquente. Les représentations de "cirque diplomatique", données en public depuis l'adoption de la fameuse résolution 1441, en constituent une des plus décevantes illustrations. Trompés pendant six mois par les partisans de l'emploi de la force à tout prix, les responsables de l'Organisation des Nations Unies font preuve actuellement d'une extrême prudence. En réalité, ils veillent surtout à ne pas faire apparaître trop rapidement leur organisation dans une position justificatrice d'une guerre, qui a été déclarée et qui est menée sans leur accord.

A ce niveau-là, la position hyper-prudente de l'ONU rejoint en de nombreux points celle défendue par les gouvernants des pays européens du camp de la paix, dont des ténors politiques feignent aussi d'hésiter à regagner le plateau de la scène internationale, alors qu'ils n'ont pas le choix, voire qu'ils meurent d'envie d'y revenir. L'Europe - en tous cas, l'Europe de la paix ou la vieille Europe - et l'ONU partagent également les mêmes vues vaines en ce qui concerne non seulement la coordination de l'aide humanitaire internationale mais aussi la supervision de la reconstruction de l'Irak, qu'elles espèrent encore toutes les deux pouvoir placer directement sous l'autorité onusienne ; vision que ne partage évidemment pas Washington.

En d'autres circonstances moins tragiques, les citoyens pourraient accepter l'extrême lenteur avec laquelle les acteurs onusiens se meuvent sur la scène internationale. Mais étant donné l'urgence de la situation qui prévaut en Irak, où une partie de la population risque de mourir faute de soins, il n'y a plus guère de temps à perdre. Si l'ONU et l'Europe pacifique n'ont pas été capables d'empêcher le déclenchement de cette guerre agressive et injuste, qu'elles soient au moins en mesure de réparer les dégâts humains et autres que celle-ci ne cesse de causer quotidiennement.

La situation actuelle est en effet tout à fait surréaliste : de nombreux acteurs sont prêts à intervenir en Irak, des tonnes de produits alimentaires et de matériel humanitaire attendent d'être livrées aux plus démunis, mais rien ne bouge. Tout le monde a une bonne raison pour attendre. A l'instar de l'Unicef dont le représentant en Irak, de passage à Bruxelles, a récemment déclaré : « nous retournerons en Irak dès que l'ONU, qui possède son système de sécurité, nous donnera le feu vert » (12), les responsables des agences onusiennes, comme le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) ou le Programme Alimentaire Mondial (PAM), guettent aussi le signal de Kofi Annan qui, lui de son côté, attendrait une hypothétique accalmie sur le champ de bataille irakien - en fait, une autorisation américaine - pour intervenir.

Cette situation est d'autant plus intenable que la coordination de la distribution des secours - opération indispensable pour éviter les doublons voire les aides inutiles - devrait obligatoirement être supervisée par des fonctionnaires de l'ONU, surtout si l'observation de la situation sur le terrain s'effectue d'un point de vue multilatéral. Même au niveau purement matériel, un minimum de coordination dans l'acheminement de l'aide est également souhaitable ; en son absence, les populations risquent en effet de recevoir des choses qui ne répondent pas à leurs besoins urgents. Au fait, que leur donnons-nous exactement ? Ce dont les populations en souffrance ont vitalement besoin, ou plutôt ce dont nous n'avons plus besoin nous-mêmes ? Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici que « dans certains cas, l'humanitaire n'est que le nouvel habillage de politiques sécuritaires. Sans compter qu'il vient providentiellement rapatrier le bien dans les pays occidentaux en leur permettant de se mirer dans le reflet de leur générosité tout en tenant à distance la misère du monde, sur le mode "aidons-les chez eux pour qu'ils ne viennent pas chez nous", dernier argument en faveur de l'aide publique aux pays du Sud ». (10)

Malgré la publicité qui a entouré ces initiatives, les résultats concrets de la première réunion du groupe de travail humanitaire sur l'Irak, qui s'est tenue au tout début du mois d'avril à Genève, et ceux de la réactivation sur papier du programme "Pétrole contre Nourriture", via l'adoption de la résolution onusienne 1472, sont ridiculement minuscules en comparaison de ceux réalisés par la machine de guerre infernale américano-britannique qui écrase tout sur son chemin en Irak, même les civils. Sauf à faire bonne figure sur la scène de la solidarité internationale, à quoi peut bien servir une réunion organisée à Genève, alors que tout le monde sait pertinemment bien que la clé du problème de l'accès aux populations irakiennes sinistrées se trouve à Washington, voire à Londres ? De même qu'espère-t-on, à court terme, de la remise en route théorique du programme "Pétrole contre Nourriture", à partir du moment où la production pétrolière irakienne est encore à l'arrêt pour un bon moment ? Pourtant la communauté internationale n'a pas le choix : il faut venir en aide aux victimes de la guerre en Irak. Immédiatement !

Les autorités irakiennes ne sont pas mesure
d'utiliser l'arme humanitaire

Les autorités irakiennes pourraient évidemment, elles aussi, tirer profit de l'aide humanitaire et s'en servir comme une arme contre une partie de sa population. Encore faudrait-il que les responsables du régime de Bagdad puissent mettre la main sur d'importants convois ou stocks d'aide alimentaire ; ce qui n'est pas le cas pour le moment, parce que la plus grande partie de l'aide humanitaire est bloquée aux frontières de l'Irak pour diverses raisons.

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L'enjeu du conflit humanitaire irakien est considérable : au-delà de l'aide à fournir aux populations qui souffrent des malheurs de la guerre, c'est bien entendu de la reconstruction complète du pays qu'il s'agit.

Maître d'une grande partie de l'information et forte des dispositions intelligentes concrétisées, dès janvier 2003, dans la création de l'Orha, l'administration Bush dispose de nombreux atouts pour administrer de façon unilatérale non seulement l'acheminement de l'aide humanitaire en Irak, mais aussi la reconstruction de ce pays. Poussés davantage par la crainte de perdre les faramineux marchés promis par cette reconstruction, que par le bien-être actuel de la pauvre population irakienne, les dirigeants de l'Union Européenne multiplient fébrilement les offres d'aide humanitaire et relancent le débat perdu d'avance sur le rôle prépondérant que les Nations Unies devraient tenir dans la supervision de la reconstruction irakienne, avec l'espoir que les résultats de leurs initiatives politiques leur permettront de regagner du terrain dans la guerre humanitaire et économique qui les oppose aux faucons étasuniens. Malgré leur souci d'indépendance, cette guerre humanitaire ne devrait pas laisser les ONG indemnes. Qu'elles le veuillent ou non, certaines ONG constituent en effet des représentations locales permanentes de leurs pays respectifs. Ces antennes diplomatiques et humanitaires devraient également permettre aux acteurs économiques des pays concernés de pouvoir se manifester en Irak au moment de l'attribution des marchés de la reconstruction. Business is business.

Au moment où les appels à la générosité citoyenne pour venir en aide à la population irakienne fleurissent, sous forme de publicités, dans vos journaux préférés, n'oubliez quand même pas que plus une ONG est dotée de fonds privés diversifiés, plus elle acquiert la part d'indépendance nécessaire pour qu'elle puisse intervenir librement auprès de ceux - quels qu'ils soient - qui en ont le plus grand besoin !

Patrick Gillard, historien
Bruxelles, le 7 avril 2003

Notes

(1) Jean-Gabriel FREDET, Les accrocs d'une guerre éclair. Comment l'Amérique voit l'après-conflit, dans Le Nouvel Observateur, semaine du jeudi 27 mars 2003, n° 2003 (http://www.nouvelobs.com/dossiers/p2003/a190187.html).

(2) H.M., Guerre contre l'Irak. Les mots de la guerre (4) : «Aide humanitaire», lundi 31 mars 2003 (http://acrimed.samizdat.net/article.php3?id_article=1014).

(3) Acheminement de l'aide, (Dépêche Reuters), dans La Libre Belgique, jeudi 27 mars 2003, p. 5.

(4) Véronique KIESEL, L'humanitaire au coeur de la stratégie, dans Le Soir, mercredi 26 mars 2003, p. 3.

(5) Catastrophe humanitaire en cours en Irak, selon Jean Ziegler, (Dépêche ATS), jeudi 3 avril 2003 (http://www.edicom.ch/news/international/030403133331.th.shtml). Les propos de Ziegler rejoignent ceux de Carel de Rooy, le représentant de Unicef en Irak, qui déclarait lors d'un récent passage à Bruxelles qu' « au Koweït [,] 55 réservoirs souples de 5 000 litres chacun sont prêts à être acheminés, et 40 camions-citernes, mais nous n'avons pas encore reçu le feu vert » (cf. Geneviève DELAUNOY, Urgence humanitaire à Bassorah (entretien avec Carel de Rooy) , dans La Libre Belgique, vendredi 28 mars 2003, p. 5).

(6) Le double jeu des gouvernements européens du camp de la paix est bien connu. Rappelons brièvement que le président Chirac brandissait d'une main son droit de veto, mais autorisait de l'autre le passage de bombardiers étasuniens dans son espace aérien. Que malgré le pacifisme radical proclamé par ses dirigeants, « le gouvernement allemand a livré des missiles Patriot à la Turquie via les Pays-Bas, ... » (cf. Christophe Lamfalussy, La drôle de guerre de la coalition belge, dans La Libre Belgique, jeudi 3 avril 2003, p. 6). Que favoriser les transferts de convois militaires à Anvers au point d'arrêter préventivement des manifestants venus simplement pour les freiner, que protéger les escales techniques d'avions transporteurs à Ostende et que permettre le survol du territoire national par les bombardiers B 52 américains représentent trois faits majeurs qui contredisent complètement la position soi-disant pacifique du gouvernement arc-en-ciel belge.

(7) Geneviève DELAUNOY et Sabine VERHEST, L'Union confirme son rôle humanitaire (entretien avec le Danois Poul Nielson, commissaire européen au Développement et à l'Aide humanitaire), dans La Libre Belgique, samedi 22 et dimanche 23 mars 2003, p. 7.

(8) Gilles COURTEMANCHE, Regarder la misère droit dans les yeux (http://www.librairiepantoute.com/magazine/chroniques/courtemanche/regardermisere.asp).

(9) Face aux menaces qui pèsent sur les populations civiles en Irak et dans la zone, les ONG signataires : Action contre la Faim, Enfants du Monde/Droits de l'Homme, Handicap International, Médecins du Monde, Première Urgence, Solidarités ont décidé de coordonner leur action selon des principes communs, communiqué de presse, lundi 3 mars 2003 (http://www.premiere-urgence.org/actu/communiques.htm).

(10) François JEAN, Le triomphe ambigu de l'aide humanitaire, dans Revue Tiers Monde, t. XXXVIII, n° 151, juillet-septembre 1997 (http://www.paris.msf.org/msf/Content/informer.nsf/34f9d7347577a4a941256655005157bb/5013492ba8c05b3fc12567340000ddd5?OpenDocument).

(11) Cédric GOUVERNEUR, L'Aide humanitaire, aide à la guerre ? Marc-Antoine Pérouse de Montclos, dans Le Monde diplomatique, juillet 2002, p. 26 (http://www.monde-diplomatique.fr/2002/07/GOUVERNEUR/16729).

(12) Véronique KIESEL, L'Unicef au secours des enfants d'Irak (entretien avec Carel de Rooy), dans Le Soir, vendredi 28 mars 2003, p. 3.