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Volkert van der Graaf, l'assassin de Pim Fortuyn, sort du silence
by Cécily Friday April 04, 2003 at 12:04 PM

D'après le Knack, 2 avril 2003, mais pas avec les mêmes commentaires.


Le 6 mai 2002, Volkert van der Graaf se rendit au Médiapark dans sa Toyota Starlet rouge, de cacha dans des buissons, surgit au passage de Pim Fortuyn, le candidat populiste aux élections, et l'abattit de cinq balles.
Peu après, Volkert van der Graaf écrivit à ses avocats : « Mon motif est politique. Le ministre Zalm trouve que c'est un homme dangereux. C'est aussi mon avis. »
Ses avocats lui dirent de se taire et de ne faire aucun aveu. Il se plongea donc dans un mutisme qu'il respecta scrupuleusement. Maintenant que l'instruction a rassemblé contre lui des preuves indéniables et que se déroule son procès, Van der Graaf avoue et s'explique.
Il voyait en Fortuyn un danger grandissant pour les plus vulnérables de la société hollandaise. Fortuyn jonglait avec les stéréotypes sociaux, stigmatisait des groupes sociaux, polarisait ces concepts collectifs et il menaçait de prendre un pouvoir politique de plus en plus important. Van der Graaf ne voyait qu'une solution efficace pour empêcher la catastrophe dans la société néerlandaise : l'abattre.
Mais à présent, Volkert n'est pas fier de ce qu'il a fait. Ce qui surtout ne lui fait pas du bien, c'est d'avoir sous-évalué les conséquences de son acte sur son amie et sur leur enfant.

En apprenant l'assassinat, les amis de Volkert ont été éberlués. Tous le décrivent comme quelqu'un de très rationnel et de très droit, animé d'un grand besoin de justice. Il ne leur avait même pas fait part ce que Fortuyn l'indignait. Ou si peu, parmi d'autres choses. D'ailleurs, Volkert ne s'est jamais occupé de politique générale, mais seulement de l'éthique dans les rapports avec les animaux.
Pour ce qui est de la cause animale, Volkert était tout de même un militant au long cours.
Volkert a grandi en Zélande. La Zélande, c'est quelque chose ! On en reste marqué, mais généralement pas en mal. C'est un pays plat, pur et immense, une sorte de grande réserve naturelle, habitée par les humains, mais où les animaux tels que les oiseaux et les lapins ont un peu moins peur de l'être humain qu'ailleurs. C'est un endroit un peu paradisiaque, jusque dans le caractère irréel et sournoisement ennuyeux que le paradis peut revêtir aux yeux d'humains habitués au désordre de leurs propres excès. Les humains de là-bas sont priés de ne pas avoir d'excès, et ils en ont d'ailleurs fort peu.
Depuis toujours, Volkert est passionné par les animaux. Son père, professeur de biologie, lui apprend les secrets de la vie et de la nature. Adolescent, Volkert travaille comme bénévole dans une association de protection de la nature. Mais il la quitte, car il trouve absurde de s'acharner à prolonger les souffrances des oiseaux atteints par la marée noire, tout en posant des pièges à des rats et à des souris qui ne demandent qu'à vivre.
Pour être vraiment logique et juste, c'est toute la faune qu'il faut traiter avec le même respect que celui qui revient à l'humain. C'est pourquoi, après ses études secondaires, alors qu'il poursuit des études supérieures en sciences de l'environnement, Volkert se fait « véganiste ». En France on dirait « antispeciste ». Enfin bref il renonce à consommer ou à utiliser tout produit d'origine animale. Les végétariens peuvent manger des œufs, du fromage et boire du lait ; pas les végétaliens. Les végétaliens remplacent ces produits par les légumineuses, les noix, les huiles, le tofu et d'autres saveurs subtiles, douces mais non pas insipides, peu connues des omnivores et d'ailleurs à milles lieues de leurs excès. Les végétaliens ont malgré tout besoin de consommer un peu de vitamines en pilules, car l'être humain est très légèrement dépendant du régime carné.
Après ces études, Volkert fait de l'activisme son métier. Avec Sjoerd van de Wouw, il fonde une association, la VMO, à ne pas confondre avec le Vlaamse Militanten Orde, car ici c'est la Vereniging Milieu-Offensief.
Les membres de l'association étudient à fond les législations et règlementations auxquelles doivent obéir les entreprises bio-industrielles, c'est-à-dire les élevages d'animaux, des régions d'Utrecht et du Gelderland. Ils vérifient si ces entreprises ont bien reçu toutes les autorisations nécessaires pour exercer leur activité, et si elles n'outrepassent pas ce qui leur est autorisé. Dès qu'il apparaît qu'un de ces élevages industriels d'animaux n'est pas en règle, la VMO le traduit devant le tribunal compétent.
Le résultat de cette action est comparable à celui d'une bonne grève du zèle : Van De Graaf et ses collègues ont sévèrement contenu le développement de l'élevage industriel dans la région. Par exemple, la seule commune d'Ede a été assignée en justice une centaine de fois. A 240 reprises en tout, la justice a donné raison au VMO. Alors que la plupart des activistes de la protection de l'environnement s'enchaînent à des grilles, occupent des territoires, bref recourent à ce qu'on appelle « l'action directe », ceux du VMO se sont taillés des réputations de souris papivores, toujours plongés dans des codes et fourrés derrière des écrans d'ordinateurs.

Un des premiers ouvrages que Volkert van der Graaf emprunte à la bibliothèque de l'établissement pénitentiaire est le code pénitentiaire, où se trouvent les règles de la vie en prison. Il se met à l'éplucher, avec le même soin qu'il a épluché la règlementation de l'environnement. Bientôt, il connaît à fond les droits et les devoirs des détenus comme des gardiens.
Etant donné qu'il n'est pas révolté par un emprisonnement qu'il considère comme la suite logique de son choix, il se comporte à bien des égards en détenu modèle. Il est parfaitement poli, et s'en tient strictement aux règles. Mais il exige aussi que ces règles soient respectées par tout le monde et pas seulement par lui.
C'est ainsi qu'il réclame, code pénitentiaire à l'appui, de recevoir le régime végétalien et les vitamines B12. Ce qu'il obtient. Puis, code pénitentiaire à l'appui, il demande à ne plus être surveillé par caméra en permanence dans sa cellule. C'est plus difficile à obtenir. Comme son établissement pénitentiaire fait la sourde oreille, il recourt devant le Tribunal de l'application des peines, qui lui donne gain de cause. C'est alors que le ministre de la Justice Benk Kothans en personne intervient pour court-circuiter cette jurisprudence qui risque de faire tache d'huile. Le ministre supprime la disposition retrictive sur la surveillance par caméra dans les prisons, et légalise la surveillance continue en cellule. Volkert a fait tout ça pour rien et il a de nouveau la caméra.
Volkert ne digère pas fort ce qui ressemble quand même à un abus de pouvoir. Pour la première fois, sa pensée s'emballe, se cogne aux limites de sa cellule et s'affolle comme un papillon dans un bocal. Pénétré d'un sentiment d'intrusion, il veut vérifier si, en plus de la caméra, il n'y a pas des micros dans sa cellule. Après avoir tout inspecté à sa hauteur, il monte sur sa chaise pour inspecter le haut des murs et les plafonds. Aussitôt déboulent trois gardiens qui le menacent de l'envoyer en isolement. Il leur répond que rien dans le règlement ne lui interdit de se tenir debout sur sa chaise. Les gardiens l'empoignent et le traînent au cachot où il restera jusqu'au lendemain à midi.
C'est le baptème de Volkert. La prison a enfin réussi à lui écorcher son vernis de civilisé et à lui délivrer le vrai message que tous les détenus reçoivent.

Par ce message, la prison prétend remplir une fonction adaptative. Elle prétend implicitement à être une leçon de vie sociale. Voici laquelle.
Celui qui utilise l'Etat de droit pour contraindre son environnement à la justice, en prison on l'appelle un manipulateur.
Ce n'est expliqué nulle part, mais il faut le comprendre et la plupart des gens le comprennent: essentiellement, l'Etat de droit ne sert à contraindre que soi-même. Si les codes existent, c'est seulement pour que, lorsque leurs règles ne sont pas respectées à l'égard de soi, on se croit tombé dans une exception. Comme par définition les exceptions sont rares, on a, inconsciemment, l'impression de l'avoir mérité quelque part. Et on a tendance à écraser, voire même à se surpasser et à redoubler de zèle en échange de l'injustice dont on est victime.
Pas plus dans la vie que dans la prison, il ne faut croire qu'on peut traverser d'un pas franc un monde prévisible habité par nos égaux en droit. Que c'est présomptueux ! Pour qui on se prend ? Au contraire, dans la vie comme en prison, on est sous la menace de se faire déplumer. Un signal, un stimulus-signal, et la pensée sait qu'elle doit démissionner.
Tel est le message de réintégration sociale que la prison adresse spécialement aux classes défavorisées qui sont sa fidèle clientèle, et aux quelques déclassés de la bourgeoisie qui y échouent.
C'est tout simplement la leçon de soumission. A cette leçon, Volkert réagit comme la plupart des détenus la première fois qu'ils la reçoivent : il fait la grève de la faim. Mais comme il n'a pas l'habitude de faire les choses à moitié, il soutient cette grève de la faim, dit le Knack, pendant 70 jours.

A présent, le Knack se demande : quelle sera la peine de Volkert ?
En Hollande, ce n'est pas un jury qui connaît de ce genre d'affaires mais un tribunal professionnel. Dommage !
Normalement rappelle le Knack, quelqu'un dont le casier judiciaire est vierge se voit reconnaître des circonstances atténuantes, ce qui pourrait lui faire une peine de douze à quinze ans de prison, moins l'année de détention préventive qu'il a déjà passée.
Mais, dit le Knack, il s'agit du premier meurtre politique de l'histoire récente de la Hollande. Un politicien a été délibérément abattu en pleine campagne électorale. Le crime a sérieusement ébranlé l'Etat de droit hollandais, disent les médias et pensent les juges. Ca, ce sont de sévères circonstances aggravantes.
En plus, il y a un détail qui cloche chez Volkert. C'est qu'outre l'arme du crime, qu'il avait achetée quelques années plus tôt après avoir reçu des menaces de la part de certains éleveurs, on a trouvé chez lui un échantillon d'un mélange explosif de produits chimiques, soigneusement stocké dans 35 condoms. Il avait, quelque part, d'encore vagues projets de bombe artisanale.
D'un autre côté, on ne peut s'empêcher de constater que, d'un seul geste, Volkert van de Graaf a proprement décapité le mouvement populiste hollandais et nous a, au moins provisoirement, débarrassés de la peste brune, ce dont nous bénéficions.
Alors que les kamikazes s'en prennent à des cibles innocentes sous prétexte que ce sont les seules qu'ils peuvent atteindre, et n'ont aucun souci de la haine qu'ils répandent, Volkert ne s'est pas trompé de cible, prend toute la responsabilité sur lui, ne revendique pas d'avoir réussi quelque chose et ne s'attend pas à une dispense de peine. Pour un assassinat politique aux conséquences favorables, on pourrait en citer dix aux conséquences désastreuses; mais Volkert est l'auteur de celui aux conséquences favorables. Impossible savoir si c'est par hasard ou par génie, car pour cela, la seule vérification possible aurait été... de le laisser se servir de sa bombe !

Nous sommes actuellement gouvernés par des fauteurs de guerres ethniques et religieuses. Nous subissons quotidiennement l'influence de manipulateurs de médias. Ils nous présentent ici et là avec complaisance comme un "mouvement de libération" de tel groupe ethnique, un truc dictatorial qu'ils peuvent contrôler. Ils jouent ainsi à exacerber les appartenances religieuses, nationalistes, régionalistes et claniques les plus serviles, si cela peut empêcher les gens de s'unir sur des objectifs humanistes et sociaux. Ceux d'en haut veulent que les masses aient des mentalités bêtes et mauvaises. Volkert van der Graaf, de toute la force d'une colère froide, ne le voulait pas.