arch/ive/ief (2000 - 2005)

Mohammed Hassan: «Les USA face à un problème quasi-insoluble en Irak»
by David Pestieau Sunday March 30, 2003 at 03:20 PM

Comment expliquer la résistance acharnée du peuple irakien? La guerre va-t-elle s'étendre vers l'Iran, la Syrie? Y a-t-il toujours un nationalisme arabe? Réponses de Mohammed Hassan, communiste spécialiste du monde arabe, fils d'un père éthiopien et d'une mère yéménite

> L'impérialisme US surpris par la résistance des Irakiens.
> Des divisions entre Irakiens chiites et sunnites?
> La question kurde
> Les États-Unis ont-ils mal calculé leur coup?
> L'Iran: rester neutre ou intervenir?
> La position de la Syrie
> Les régimes arabes pro-américains en mauvaise posture
> L'avenir des forces communistes et révolutionnaires

«Quelles sont les dernières nouvelles?» me demande Mohamed Hassan. En ces temps de guerre, il garde le sourire. Ancien diplomate éthiopien, aujourd'hui enseignant en Belgique, il est porteur d'un optimisme contagieux basé sur l'analyse des faits et de l'histoire. De sa maman originaire du Yémen, il a appris l'arabe. De son père, une dizaine de langues africaines. Aujourd'hui, en Belgique, c'est en anglais et néerlandais qu'il s'exprime le plus souvent. Mohammed Hassan se définit comme un communiste d'origine afro-arabe. Tout un programme...

L'impérialisme US semble surpris par la résistance inattendue des Irakiens. Comment expliquez-vous cette surprise?

Mohammed Hassan. Les impérialistes ont toujours la mémoire courte. En 1920, l'Irak a été bombardé au gaz par les Britanniques, avec à leur tête Churchill. Déjà à l'époque, la résistance irakienne a été très forte. Avec la Syrie et l'Égypte, l'Irak est le centre du nationalisme anticolonial et anti-impérialiste arabe. Toute son histoire récente en est le témoin. Et l'histoire nous apprend que les contradictions existantes dans la société irakienne deviennent secondaires dès qu'une guerre commence.

L'erreur des impérialistes vient de leur chauvinisme et leur manque de respect qu'ils ont pour les peuples du tiers-monde. Ils les voient comme des nombres et non comme des gens avec une dignité, une conscience élevée et un passé de résistance.

Prenez le Vietnam. Kissinger, ministre des Affaires étrangères des États-Unis sous Nixon (et aujourd'hui encore proche de Bush), écrivait dans les années 50 que le Vietnam serait vaincu par les Français car c'était un peuple de primitifs qui ne se déplaçaient qu'à vélo. Il était convaincu que l'Occident industriel, avec ses voitures, ses usines, ses tanks, aurait raison du petit Vietnam et de son peuple de cyclistes.

Robert McNamara, ministre de la Défense sous Kennedy, a dû écrire en 1992: «Nos informations étaient pauvres et déformées. Les diplomates et les services secrets prenaient leurs désirs pour des réalités.» Mais à la fin de son livre, malgré ce début d'autocritique, il ne s'explique toujours pas pourquoi le Vietnam a gagné. Croire à leurs propres fables, c'est l'erreur que les Américains font à nouveau aujourd'hui en Irak.

Ont-ils sous-estimé le nationalisme de la population?

Pakistan (Foto Belga)

Mohammed Hassan. Exactement. Depuis 1958 et la révolution du général Kassem qui a renversé la monarchie et installé une république, l'Irak a été bouleversé. Dans les années 60, 70, 80, il a été industrialisé et sa population s'est fortement urbanisée. Il y a eu énormément de mariages mixtes sunnite-chiite, sunnite-kurde... La société tribale et féodale a été en grande partie détruite par cette évolution. Le budget de l'éducation en Irak est supérieur au budget total de la Jordanie: la population est très qualifiée par rapport aux autres pays de la région.

L'Irak ne s'est pas non plus comporté de manière égoïste comme beaucoup d'autres pays arabes. Il a envoyé des troupes soutenir la Syrie et l'Égypte lors des guerres de 1967 et 1973 contre Israël. Il a financé des programmes d'éducation et d'aide aux pays arabes plus pauvres. Et il a apporté son soutien à la Palestine concrètement. Un seul exemple: en 1979, quand je me trouvais en Yougoslavie, 20.000 Palestiniens suivaient les cours à l'université. Leurs études étaient entièrement payées par l'Irak.

L'Irak est le seul pays arabe où il n'est pas nécessaire d'avoir un visa pour entrer si l'on provient d'un pays arabe. Tout Arabe, du Maroc à la Syrie en passant par l'Arabie Saoudite, peut participer à la vie politique, travailler et avoir accès à l'enseignement dès qu'il touche le sol irakien. C'est la traduction dans la vie quotidienne de l'idéologie pan arabe du Parti Baath au pouvoir. Dans ce sens, pour l'ensemble du monde arabe, toucher à l'Irak, c'est toucher à beaucoup plus que simplement l'Irak.

Pourtant dans les médias, on insiste très fort sur la division entre les musulmans chiites du Sud, majoritaires et hostiles à Saddam, et les musulmans sunnites du Centre, plus favorables à Saddam...

Mohammed Hassan. Les habitants du Sud de l'Irak se considèrent d'abord comme des Irakiens. Leurs grands-parents ont les premiers combattus les Anglais en 1920 et n'ont jamais accepté le colonialisme. La différence entre l'islamisme chiite et sunnite est purement théologique. Mais un sunnite peut aller prier dans une mosquée chiite. Il n'y a pas eu de guerre religieuse entre ces deux courants depuis le 8e siècle. Il n'y a donc pas plus de différence entre des Irakiens chiites et sunnites qu'entre des Allemands protestants et catholiques.

Cette opposition a uniquement été créée par les colonisateurs. Au 19e siècle, la France a mis la main sur le Liban en s'appuyant sur les chrétiens maronites contre les Druzes musulmans. Elle a alors introduit dans la loi des divisions communautaires entre sunnites, chiites, druzes, chrétiens... C'est précisément contre ces divisions qu'est né le nationalisme arabe moderne. L'un de ses fondateurs, Michel El Afleque, un Syrien d'origine chrétienne, est d'ailleurs à la base de l'orientation idéologique du parti Baath irakien actuel.

Mais il existe tout de même une opposition chiite dans le sud de l'Irak, appuyée d'ailleurs par l'Iran?

Mohammed Hassan. Oui, c'est une opposition islamiste qui veut installer une république islamique en Irak. Mais cette opposition est aussi fondamentalement anti-américaine et dangereuse également pour l'hégémonie américaine. Car la majorité des musulmans des pays du Golfe sont chiites. En Arabie saoudite, ils composent l'immense majorité du Nord du pays. Jusqu'en 1991, ils n'étaient pas considérés comme des citoyens à part entière par le pouvoir saoudien sunnite. Au Koweït, la grande majorité est chiite et le roi sunnite. Même chose à Bahreïn et Oman. Si on parle de discriminations, c'est dans ces pays qu'il faut les chercher, pas en Irak.

Cette exclusion des chiites du pouvoir est le résultat du colonialisme britannique. Après la chute de l'empire ottoman (turc) en 1918, la France et la Grande-Bretagne ont redessiné la carte du Moyen-Orient, créant des Etats artificiels. Ils ont mis à leur tête des rois (ce qui n'avait jamais existé dans le monde arabe) de la minorité sunnite, pour mater la majorité chiite: diviser pour régner, créer des contradictions sur base religieuse et ethnique. La recette typique de l'impérialisme!

Par contre, le parti Baath irakien ­ qui a été créé au sud du pays ­ n'est pas dominé par les sunnites, comme le prétendent les pays occidentaux. Il est depuis le début un parti séculaire composé de chrétiens, musulmans chiites et sunnites.

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Vous parlez de l'Islam et de la nation arabe mais les Kurdes ne sont-ils pas aussi un élément de la société irakienne?

Mohammed Hassan. Bien sûr. L'Irak est le seul pays au monde qui a dans son premier article de la constitution: «L'Irak est un pays composé d'Arabes et de Kurdes». Il a reconnu une autonomie aux Kurdes avec l'enseignement en kurde.

Il y a plusieurs tendances dans la population kurde. Celles qui défendent un modèle féodal. Une bourgeoisie kurde qui veut être plus indépendante et est prête à s'appuyer sur l'impérialisme US pour y arriver. Mais aussi une grande partie qui veut continuer à vivre en Irak. Encore une fois, l'impérialisme a intérêt à ces divisions. Il les met en évidence en Irak, mais n'en parle pas (encore) en Iran où la population kurde est bien plus importante.

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Revenons à la guerre même. Pensez-vous que les États-Unis aient mal calculé leur coup?

Mohammed Hassan. Oui. Leur calcul était que l'armée et la population allaient se révolter en masse contre Saddam Hussein. Les États-Unis voulaient ainsi utiliser une partie de l'armée irakienne devenue «anti-Saddam» pour pacifier le pays. Maintenant, ils se trouvent devant une résistance quasi généralisée, devant des villes où ils seront confrontés à la guérilla urbaine. Ils n'ont pas récupéré le noyau de l'armée irakienne, qui va au contraire se battre contre eux.

Ils vont donc devoir occuper le pays avec l'appui de quelques traîtres, plus faibles que l'alliance du Nord en Afghanistan, dans un pays plus grand et plus urbanisé. En Afghanistan, ils ne contrôlent déjà que Kaboul. En Irak, ils auront besoin d'au moins un million de militaires pour sécuriser le pays. Ils sont face à un problème quasi insoluble.

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Les voisins de l'Irak sont aussi, à terme, menacés par les États-Unis. En premier lieu, l'Iran, que Bush place aussi dans l'axe du mal. Des missiles US y sont tombés «par erreur» et le pays a connu sa première grande manifestation anti-US ce 28 mars. Que va faire l'Iran: rester neutre ou intervenir?

Mohammed Hassan. L'Iran comme l'Irak a nationalisé le pétrole déjà dans les années 1950. Depuis 1979 et la chute du Shah d'Iran pro-américain, ce pétrole échappe complètement aux États-Unis. L'armée iranienne est quasiment inconnue des services US. Et un million de miliciens en armes complètent la défense du pays. C'est un pays immense composé de près de 70 millions d'habitants. C'est encore un plus gros morceau pour les Américains. Depuis quatre ans, l'Iran a renoué des relations profondes avec l'Irak.

La venue d'un pouvoir pro-US à Bagdad l'inquiètera très fort car l'Iran serait alors encerclé: l'Irak à l'Ouest, l'Afghanistan à l'Est. De plus, au Nord, il n'est pas à l'abri d'une sécession de la minorité azérie, sous l'influence de l'Azerbaïdjan turcophone, lui-même sous domination américaine. Dans ce sens, pour défendre ses intérêts, il devra intervenir d'une manière ou d'une autre dans la guerre en Irak.

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Et la Syrie? Elle aussi a été menacée par les États-Unis. Et le ressentiment est encore plus grand depuis la mort de cinq ouvriers syriens tués par une bombe US alors qu'ils revenaient en bus d'Irak.

Mohammed Hassan. Depuis cinq ans, elle a fortement augmenté ses relations avec l'Irak. Elle a ouvert les frontières et développé le commerce. Quelque 120.000 barils de pétrole irakien transitent par la Syrie. Elle a démontré une attitude ferme au Conseil de sécurité de l'Onu. Elle sent aussi qu'elle sera une prochaine cible.

La Syrie dispose d'une armée bien organisée et, par son soutien au Hezbollah libanais, elle a indirectement battu Israël au Sud Liban. Elle sait qu'un nouveau régime à Bagdad reconnaîtrait Israël comme l'ont déjà fait la Jordanie et l'Égypte: la pression sur elle augmenterait encore. La mobilisation de millions de Syriens est une forme d'avertissement aux États-Unis: «Si vous allez trop loin, nous ouvrons les frontières pour aider l'Irak».

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Et puis, il y a bien sûr les régimes pro-américains de Jordanie, d'Égypte et du Golfe. Pensez-vous qu'ils vont être renversés ou vont-ils s'en sortir, comme après la première guerre du Golfe?

Mohammed Hassan. La situation est tout autre. À l'époque, l'Égypte, l'Arabie saoudite mais aussi la Syrie étaient partie prenante dans la coalition contre l'Irak. Le Koweït avait été envahi et le monde arabe était divisé. Aujourd'hui, après douze ans d'embargo qui ont causé un génocide de plus d'un million et demi d'Irakiens, l'agression est inacceptable par toute la population. Ce qui fait qu'aucun régime, même le plus pro-américain comme le Koweït, ne peut soutenir officiellement la guerre d'agression.

Tous les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe viennent de signer une déclaration contre l'agression. Au grand désappointement des Américains. Bien sûr, ces régimes pro-US continuent à soutenir secrètement les États-Unis et à mentir à leur population. Mais celle-ci n'est pas dupe. Les contradictions s'accumulent.

En Égypte, l'armée, pilier du pouvoir, est composée d'officiers déprimés. Le journal militaire a ainsi publié en avril 2002, au moment de l'attaque israélienne sur Jénine, les accords secrets de 1977 de Camp David, qui sont extrêmement humiliants. Un coup d'État militaire qui déposerait Moubarak n'est pas à exclure.

Ces régimes sont à l'agonie. Toute la question est de savoir par quoi ils seront remplacés: par un régime issu du mouvement populaire ou par une nouvelle marionnette des Américains. Car en occupant l'Irak, les États-Unis veulent aussi installer un régime exemplaire qui leur permettrait de changer les têtes des autres régimes des pays arabes. Ils veulent installer des régimes avec une façade démocratique, toujours à leur solde, comme au Qatar.

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Selon vous, quel est l'avenir des forces communistes et révolutionnaires dans le monde arabe? Défendre le nationalisme arabe là-bas est-il encore progressiste aujourd'hui?

Mohammed Hassan. La guerre contre l'Irak a apporté beaucoup de questions dans les masses arabes. Par la guerre, la nécessité de l'unité du monde arabe s'impose de plus en plus. Depuis la balkanisation du monde arabe, surtout après la première guerre mondiale, le monde arabe a été gravement affaibli: Israël l'a divisé en deux et les régimes féodaux d'Arabie saoudite et du Golfe ont vendu ses richesses à l'impérialisme.

Le monde arabe est, après la Chine, la plus grande nation au monde, où l'on parle la même langue et pratique la même culture. Elle a une population plus nombreuse que les États-Unis et un sous-sol beaucoup plus riche. Le nationalisme arabe va reprendre de plus en plus de vigueur, soit sous sa forme islamiste, soit sous forme séculaire et révolutionnaire, c'est inévitable.

Les communistes vont soutenir le front le plus large possible pour que la nation arabe réalise sa révolution nationale démocratique. C'est-à-dire chasser toutes les forces impérialistes de la région et les tenants du pouvoir féodal pro-occidental. Comme Lénine le disait déjà, la guerre développe des idées révolutionnaires dans les masses infiniment plus vite qu'en temps de paix.

Les Américains l'ont bien compris. Ils ont lancé deux radios dans le monde arabe en direction de la jeunesse, avec de la musique locale et occidentale. Mais elles ont lamentablement échoué.

Avec une population profondément anti-impérialiste dont la majorité a moins de 25 ans (65% en Syrie), les communistes sont devant une nouvelle génération et doivent ouvrir le débat avec elle, l'organiser et la mobiliser pour défaire l'armée US.

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Merci de me faire mieux connaître
by Torehia Sunday March 30, 2003 at 03:50 PM

Merci de me faire mieux connaître et comprendre ce peuple tant décrié

Malgré la désinformation galopante que nous subissons actuellement de la part des média américains et européens, il faut bien le reconnaître.

Je suis heureux et soulager de constater que le peuple irakien reste uni encore plus fort pour resister à ces envahisseurs et à leurs inavouables projets.

L'Union, la Solidarité, la Charité, l'Amour et le Pardon, c'est ce qui reste à nous, peuples opprimés et colonisés pour résister à ce déferlement de Haine. Aucune arme ne peut le détruire.

Que DIEU Le Miséricordieux vous garde, vous et votre famille dans son Amour.

Puisse Le Seigneur continuer à protéger l'Irak, le peuple Irakien et la Nation Arabe.

Ia Orana

Avion au dessus de la Belgique
by antoine Sunday March 30, 2003 at 04:31 PM

Soignies (près de la base de Chièvres), dans le nuit du 29 au 30 mars, mes parents sont formels, ils ont entendus des bruits d'avion, beaucoup plus graves que d'habitude, à haute altitude.

Est-ce que d'autres personnes ont également entendu cela ?