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Afrique-cinéma / L'efficacité de la lutte, même dans le cinéma
by Raf Custers Saturday March 08, 2003 at 07:39 PM
raf.custers@euronet.be

Qui estime donc que l'émigration soit un problème? Pas les Africains ordinaires. Pour eux, l'exil est une partie intégrale de la vie. Un pouvoir invisible en tient d'autres opinions. Ce pouvoir empêche les migrants de réaliser leurs rêves. Le film Hermakono (En Attendant le Bonheur) du cinéaste mauritanien Abderrahmane Cissako défend les frontières ouvertes. Hermakono vient de gagner le grand prix du 18me Festival du Cinéma Pan-Africain (FESPACO) à Ouagadougou. Le film sera prochainement distribué en Belgique. Un report de Burkina Faso.

Afrique-cinéma / L'efficacité de la lutte, même dans le cinéma

Ouagadougou –Qui estime donc que l'émigration soit un problème? Pas les Africains ordinaires. Pour eux, l'exil est une partie intégrale de la vie. Un pouvoir invisible en tient d'autres opinions. Ce pouvoir empêche les migrants de réaliser leurs rêves. Le film Hermakono (En Attendant le Bonheur) du cinéaste mauritanien Abderrahmane Cissako défend les frontières ouvertes. Hermakono vient de gagner le grand prix du 18me Festival du Cinéma Pan-Africain (FESPACO) à Ouagadougou.
Le film sera prochainement distribué en Belgique. Un report de Burkina Faso.
En fait, ‘Hermakono' est dominé par le bon sens. Des gens éprouvent l'impulsion à voyager, quelle qu'en soit la raison. Ils amassent une somme d'argent et prennent des risques afin de trouver ailleurs ce qui leur manque à la maison. C'est simple comme ça. La complexité n'entre le jeu que lorsque les pouvoirs anti-démocratiques établissent des frontières et rendent difficile la vie aux migrants. Ces pouvoirs ne savent se maintenir qu'à l'aide d'une violence structurelle.

Cissako brosse un tableau serein sur ce thème, avec une photographie épurée, toutefois sans dramatiser l'histoire, puisque l'émigration en soi n'est ni exceptionnelle ni dramatique. En Afrique, cela se fait tout le temps. Dans le film de Cissako, les gens se traîtent sur un pied d'égalité, qu'ils soient des passants ou des habitants locaux. Ils apprennent à chanter ou à parler l'un à l'autre, ils acceptent les choix des autres, ils laissent de l'espace au mystère et au symbolisme.

A l'horizon sont ancrés les bateaux qui peuvent emmener les émigrants. Toutefois, un pouvoir non nommé (Europe Forteresse?) a dicté que les gens doivent rester où ils sont. Ceux qui enfreignent ce commandement, le paient de leur vie.

‘Hermakono', un bijou minimaliste partant d'un point de vue évident, est en contradiction flagrante avec le cinéma commerciel courant. Tant mieux qu'il ait emporté l'Etalon de Yennenga, le grand prix de ce festival.

Rendez-Vous

16 longs métrages et 13 courts métrages ont participé à la compétition de cette 18me édition du Festival Panafricain de Cinéma de Ouagadougou (Burkina Faso). Plusieurs dizaines de films et de vidéos furent en plus montrés parallèlement, hors compétition.
Tourner un film en Afrique, c'est un véritable tour de force. Au niveau local, il n'y a quasiment pas d'argent, les cinéastes sont donc obligés de courir les circuits européens ou américains à la recherche de fonds pour la production. Une fois fini, le film mène une existence de nomade dans un circuit de festivals non-africains et de petites salles cinéphiles. Les films africains n'atteignent jamais les salles africaines - très exceptionnellement ils se font montrer à la télé.

Dans ce respect, le FESPACO est une vraie fête: toutes les deux ans, la capitale du Burkina Faso se transforme pendant une semaine en un endroit pétillant où tout est mis dans le signe du cinéma africain. Surtout dans les salles populaires en plein air, l'Oubri et le Riale, il faut lutter pour obtenir un siège. En plus, les cinéphiles y parviennent des quatre coins du monde, ainsi que des Africains de la diaspora, les producteurs, les reporters et les commerçants de la culture.

Et il faut bien l'admettre: les moyens deviennent de plus en plus légers! D'abord, le FESPACO se replit sur soi-même. Les séances ouvertes au public se limitent à quatre salles, à côté des séances encore plus exclusives dans le centre culturel français Mélies (destinées aux expatriés et aux festivaliers) et dans un bâtiment public (pour les écoliers). Plus aucune séance dans les petites salles de quartier, ce qui faisait autrefois du FESPACO une vraie manifestation populaire.
La radio et la télé prêtent encore assez d'attention au festival, toutefois ils diffusent maintenant de leurs studios et non plus en extérieur (ce qui avait toujours su provoquer des discussions animées).
La récolte de films elle aussi s'étiole. Beaucoup de travail d'amateur peu inspiré à ce 18me FESPACO, les aigles se comptent sur les doigts de la main.

L'efficacité de la lutte

Là où ‘Hermakono' fut le gagnant cinéphile du FESPACO, ‘Kabala' d'Assane Kouyate de Mali était sans aucun doute le meilleur film tous publics. Tandis que l'Europe Forteresse continue à s'enterrer et que la contradiction externe d'Hermakono ne fait que s'aggraver, le pivot de ‘Kabala' – le conflit entre l'ancien et le moderne dans un village au Sahel – se résout bel et bien. Cela se fait par une lutte acharnée, dont la communauté villageoise profite nettement.

Le village de Kabala est atteint par le choléra. Pour le combattre, le "puits des ancètres" devrait être assaini. Mais les anciens du village défendent à tous de toucher au puits. Surtout le forgeron, doté de pouvoirs magiques mais au même temps archiconservateur, bloque toute approche rationnelle.
Hamalla, travaillant dans une mine loin de chez lui, entend parler de cette épidémie et retourne à la maison. Il constate qu'il faut évider le puits afin d'atteindre de l'eau fraîche. Rien ne l'intimide, il défie la sorcellerie du forgeron, se montre bien rusé et finit par gagner le coup.

Dans ‘Kabala', Assane Kouyate fait la leçon aux conservateurs qui règnent à l'aide de dogmes dépassés et de terreur occulte. Kouyate prend parti pour ceux qui sont rejetés pour oser de réfléchir indépendamment et de faire la critique du régime des anciens.
‘Kabala', tout comme ‘Hermakono', prend le parti de l'intérêt public, même que Kouyate présente son histoire d'une façon très vive, en y ajoutant une forte dose d'humour (parfois même brûlé). A plus forte raison l'enthousiasme irrésistible du public africain vivement intéressé.

L'histoire de l'Afrique

Où, pour l'amour de dieu, est-ce que nous pourrons jamais aller regarder ‘100 days' de l'Anglais Keith Hughes? Hughes propose une reconstitution de la terreur hallucinée pendant la génocide rwandaise en 1994, qui d'après les estimations a massacré 800.000 êtres humains en trois mois.
Hughes en désigne sans pitié les responsables: l'ONU dont les Casques bleus belges et français ont évacué les blancs pour ensuite laisser le champs libre aux meurtriers de masse, l'église catholique qui a piégé les victimes, le colonialisme qui a introduit le racisme.
‘100 days', construit autour d'une intrigue romantique qui lui sert de pivot et utilisant d'un éclairage vivement contrasté, a l'air poli à l'américaine. Mais le récit sec et dépourvu de nuances ou de concessions que débite Hughes sur la génocide, fera de sorte que son film se heurtera sans doute partout à la censure sous-entendue. Seul point de critique: toutes les victimes figurant dans ce film sont des Tutsi. En réalité, les fascistes Hutu rwandais ont également massacré des Hutu progressistes ou démocratiques.

Le documentaire ‘Rabelados' d'Anna Rocha Fernandes et de Torsten Truscheit lui aussi touche à une partie de l'histoire africaine. Les Rabelados résistent d'abord au prosélytisme des missionnaires portugais et ensuite au fascisme portugais tout court, lorsque celui-ci essaya de mener à la baguette la population des îles du Cap-Vert. Aujourd'hui, les Rabelados vivent séparés du monde, comme une secte, tout en persistant à un mélange maison composé d'une religion populaire et d'une éthique sévère. Le rôle qu'y jouent les idées du dirigeant révolutionnaire Amilcar Cabral, n'est pas éclairé par les cinéastes. Tout compte fait, les Rabelados sont un anachronisme vivant et ce film, une curiosité nostalgique.

Femmes fermes

Par contre, ‘Nous sommes nombreuses' de Moussa Touré est d'une pertinence assez plus grande. Le Sénégalais Touré a interviewé au Congo-Brazzaville des femmes violées. Leurs témoignages serrent à la gorge. La plupart d'elles sont tombées victimes aux soldats en uniforme pendant la guerre civile de 1998. Mais après cette guerre, la terreur n'a pas cessé. Puisqu'évidemment, il s'agit de plus que les seuls appétits bestiaux ; évidemment les militaires ont vraiment tenté d'écraser l'esprit de la population. Chez les femmes, le viol en est le moyen le plus efficace: le viol détruit entièrement l'identité en massacrant la partie la plus intime de l'intérieur de la victime. Afin d'éviter de dépasser ses témoins, Moussa Touré les a filmées lui-même, ce qui fait qu'il y a assez de prises de vues ratées. Mais cela n'est qu'un détail.

La Sud-Africaine Portia Rankoane donne en ‘A red ribbon around my house' la parole à la quinquagénaire sidaïque Kinkie. Cette femme est au plus mal de la mort, mais tant qu'elle vivra, elle témoignera sur sa maladie et sur les manières de prévenir l'infection, tout en poursuivant sa vie entre ses amis. La fille de Kinkie n'est pas trop heureuse de la franchise de sa mère, mais Kinkie profite de toute occasion pour parler de la sécurité sexuelle, même à l'église. ‘A red ribbon around my house' est une image fidèle de l'esprit combative que montre Kinkie au sein de sa famille et de son milieu. Un portrait divertissant d'une grande dame.

Plus de politique

Les films politiques n'atteignent presque plus le FESPACO. Le documentaire ‘Frantz Fanon' de l'Algérien Cheik Djemai y fait exception. Fanon, originaire de la bourgeoisie martiniquaise, a pris le maquis, au début des années 40, contre l'occupation allemande, d'abord chez lui, ensuite dans la "métropole" coloniale, la France. Là, après la guerre, il fait l'éxpérience entière du racisme. Il devient médecin et psychiatre et, dans ses premiers livres, il dévoile les mécanismes de la soumission coloniale. Il est médecin en Algérie lorsque la guerre d'indépendance s'éclate dans ce pays. Il devient l'un des sommités de la guérilla algérienne et finit par représenter le pays à la conférence historique pan-africaine de 1958, qu'a organisée le président ghanéen Kwame Nkrumah. Fanon succombe à la leucémie avant même d'atteindre son quarantième anniversaire.