Pierre Carette: communiste révolutionnaire ou provocateur? by Peter Franssen Wednesday, Mar. 05, 2003 at 10:18 AM |
Pierre Carette, le leader des Cellules Communistes Combattantes (CCC), a été libéré après 17 ans de prison. Carette se proclame révolutionnaire et communiste, mais quiconque envoie des bombes sur des objectifs américains est-il par définition un communiste révolutionnaire?
La première bombe des CCC explose le 2 octobre 1984 dans une entreprise américaine, Litton, à Evere. La nuit suivante, des bombes incendiaires explosent chez MAN, à Grand-Bigard. Quatre nuits plus tard, c'est au tour d'Honeywell à Evere. Ce n'est que le 16 décembre 1985 que la police judiciaire et la Sûreté d'Etat arrêtent enfin quatre membres des CCC. Parmi ceux-ci, Pierre Carette.
La campagne d'attentats aura donc duré quatorze mois avant que les quatre membres des CCC soient arrêtés. C'est incroyablement long! Surtout quand on sait que le groupe qui a donné naissance aux CCC est pisté depuis des années. Ce groupe a pris forme en tant que comité de solidarité avec le groupe terroriste RAF, en Allemagne. Le 12 avril 1978, six ans avant l'apparition des CCC, le ministre de l'Intérieur, Rik Boel, déclarait: «En Belgique aussi, il existe un noyau de terroristes de la RAF. Tous ses membres sont connus. Les services belges de sécurité les tiennent à l'il.»1
Entre 1979 et 1982, Carette entretient une correspondance nourrie avec Frédéric Oriach, chef de l'organisation terroriste NAPAP, à l'époque emprisonné en France. Les services de police français et belgesépluchent ce courrier et savent donc qu'Oriach et Carette en sont venus à la conclusion qu'une campagne violente est nécessaire. Après la libération d'Oriach, en 1982, Carette et le premier cité sortent deux numéros de la nouvelle revue Subversion, laquelle annonce le début de la nouvelle lutte armée.
En juin 1984, Carette se réfugie dans la clandestinité. Les services de police savent parfaitement qui il est, quels sont ses contacts et les personnes sur qui il peut compter pour des adresses clandestines et autres formes de soutien logistique. Dans ces conditions, quinze mois pour le retrouver, c'est effectivement un peu longuet...
Manipulations
Il y a plus encore. Lors de la plupart des attentats des CCC, c'est de la dynamite qui est utilisée. Et c'est également de la dynamite qui a été dérobée, en juin 1984, dans une carrière près d'Ecaussinnes.
La dynamite se trouvait dans un bunker doté d'une muraille de béton de trois mètres de haut et surmonté de barbelés. Au milieu du bunker se trouvait le dépôt d'explosifs, protégé par du béton et un blindage en acier de 8 mm d'épaisseur. Pour arriver au dépôt, les voleurs ont dû franchir successivement trois portes, deux portes grillagées ainsi qu'une porte blindée en acier. Ils ont utilisé des foreuses, des lampes à souder et des scies électriques. Ensuite, ils ont emporté 32 caisses de 25 kg de dynamite.
La police dit qu'il s'agit là d'un commando professionnel de 3 à 5 personnes, faisant preuve de beaucoup de jugeote et de sang-froid. Aucun des membres des CCC arrêtés par la suite n'avait eu, dans sa vie professionnelle, la moindre expérience qui lui aurait permis de commettre un tel vol. Question: les a-t-on aidés?
La même question se pose pour les attentats du 12 décembre 1984. Ce jour-là, en 45 minutes, les CCC commettent cinq attentats: à Ittre, Glons, Estival, Gastuche et Gages. Les attentats visent des pipelines de l'Otan. Les CCC utilisent six bombes. Tout le monde reste bouche bée face à tant d'efficacité et de professionnalisme. Beaucoup se posent désormais la question: se pourrait-il que les CCC soient manipulés en vue d'atteindre un certain but politique?
A l'époque, Manu Ruys est rédacteur en chef du Standaard. On pourrait difficilement lui reprocher d'être le défenseur d'une théorie du complot. N'empêche que, le 13 décembre 1984, il écrit: «Les actions des CCC ont lieu à un moment où la Belgique ne se comporte pas comme le plus soumis des alliés de l'Otan (à l'époque, il y a des manifestations massives contre l'installation des missiles nucléaires américains, ndlr). Le terrorisme des CCC affaiblit la pensée pacifiste et renforce l'influence des faucons de la guerre. La question centrale est donc de savoir qui trouve son intérêt dans ces attentats.»
Comme dans le bouquin
Les CCC démarrent leur campagne au moment où les Tueurs du Brabant poussent à son paroxysme la guerre psychologique contre la population. Les Tueurs sont occupés à mener une campagne de terreur qui fait penser aux assassinats aveugles des partis d'extrême droite en Italie et en Amérique Centrale et du Sud. Presque en même temps que l'arrestation des membres des CCC et la fin de leur campagne «communiste» d'attentats, on assiste à la fin de la terreur des Tueurs du Brabant.
La chronologie s'adapte parfaitement à la méthode de travail utilisée dans la stratégie de la tension. L'objectif de cette stratégie est de créer la tension et l'inquiétude parmi la population pour préparer un climat propice à une législation plus répressive et un appareil de répression plus important avec des compétences élargies.
La description de cette stratégie se trouve dans une note du général américain Westmoreland. Celui-ci écrit en 1970 déjà que les campagnes de terreur ont leur utilité pour pousser la population à prendre une certaine direction politique. Ce général remarque alors finement qu'il vaut mieux alterner une campagne de terreur de «gauche» avec une campagne de «droite». 2 On atteint ainsi la plus grande efficacité possible, écrit-il.
Efficace, le binôme Tueur du Brabant ú CCC l'a été à n'en pas douter: après leurs actions, l'arsenal des lois répressives s'est considérablement étoffé et les services de police ont reçu plus d'effectifs et de moyens.
Pour des formes de lutte adaptées
Les CCC prétendaient servir la révolution, être communistes et mener l'action au nom de la classe ouvrière et du peuple. Mais ce n'est pas parce qu'on est anti-américain, qu'on tient un discours de «gauche» et qu'on lance des bombes qu'on est révolutionnaire. C'est une absurdité, que de vouloir déclarer la révolution.
L'abc du marxisme nous enseigne que la révolution, c'est le peuple qui la fait. Seul le peuple est en mesure de renverser le capitalisme et de créer une autre société. Aucune forme de lutte n'est à rejeter. Mais les communistes généralisent et organisent la lutte que les travailleurs développent spontanément. Ils amènent aussi cette lutte à un niveau plus élevé. Toute forme de lutte est légitime si elle est menée en accord avec les circonstances concrètes.
Dans les années 80 et de nos jours, la lutte légale et syndicale constitue la forme la plus importante de lutte. Demain, si les Américains envahissent l'Irak, la guerre de résistance, là-bas, sera la forme de lutte qui convient. Dans les années 80 comme aujourd'hui, mener une action «révolutionnaire» sans le peuple et contre la volonté du peuple est contre-révolutionnaire, puisqu'elle détourne le peuple des véritables révolutionnaires qui, patiemment et systématiquement, organisent la classe ouvrière et le peuple. Mais il n'est pas interdit de penser que c'était précisément le but que poursuivaient ceux qui ont manipulé les CCC
1. Cité dans Jos Vander Velpen, Les CCC, l'Etat et le terrorisme, EPO, Berchem, 1987, p.12 · 2. W.C.Westmoreland, Stability operations intelligence field, 18 mars 1970.
D'accord by Huysmans F. Saturday, Sep. 13, 2003 at 10:58 PM |
Je suis entièrement d'accord avec votre propos. On le comprenais pas trés bien à l'époque, mais maintenant il est clair que Pierre Carette est l'Osama bin Laden des 80's.
Et ce n'est pas un hasard que celui-ci resurgit au moment où les mêmes politiciens Américains sont au pouvoir qu'à l'époque de la CCC et la Bande de Nivelles. L'histoire se répète.
Et ils nous prennent toujours pour des cons.
ENCORE LE P.T.B. ? ! by b Monday, Apr. 11, 2005 at 1:49 PM |
Nous publions ici les réflexions du camarade Pierre Carette, ancien militant des Cellules Communistes Combattantes et actuel membre du Bloc Marxiste-Léniniste de Belgique, suite à un article diffamatoire publié lors de sa libération (après 17 ans d'emprisonnement) par le journal Solidaire, hebdomadaire du Parti du Travail de Belgique.
Il fallait s’y attendre. Totalement absent de la solidarité face à une répression que tout le monde (sauf lui) s’accordait à reconnaître politique et exceptionnelle, le P.T.B. n’a pu se retenir d’un petit caca nerveux lors de ma libération.
Je retrouve le monde un peu tel que je l’ai quitté à la moitié des années 80. L’aviation américaine bombarde des métropoles étrangères, les capitalistes jettent sur le pavé des milliers de sidérurgistes sous l’œil sidéré de la social-démocratie wallonne, et le P.T.B. préfère toujours la théorie du complot à l’analyse politique et la diffamation à l’argumentation.
À lire le Solidaire du 5 mars, qui me traite de provocateur de la C.I.A., et Le Vif du 21 février, qui me traite d’agent du K.G.B., j’ai rajeuni de vingt ans…
Le P.T.B. embouche une nouvelle fois sa vieille trompette « C.C.C. = C.I.A. ».
Pour rappel, selon ses brillants analystes, la C.I.A. aurait créé de toutes pièces les Cellules Communistes Combattantes (ou aurait aidé en sous-main leur apparition, ou aurait laissé faire, etc...) parce que la Belgique ne se serait pas comportée comme le plus soumis des alliés de l’O.T.A.N.
C’était en pleine crise des missiles. Des manifestants affirmaient par centaines de milliers leur refus de les voir implantés en Belgique. Les Cellules auraient « affaibli la pensée pacifiste » et « renforcé l’influence des faucons de la guerre ».
Voilà l’analyse que Solidaire partage fraternellement avec De Standaard.
Un simple coup d’œil en direction de pays voisins infirme cette « analyse ». Le mouvement anti-guerre était bien plus massif en R.F.A. et aux Pays-Bas qu’en Belgique. Aux Pays-Bas, son influence était telle que le gouvernement hollandais refusa l’implantation des missiles américains sur son territoire.
À l’inverse, les parlement et gouvernement belges furent d’un bout à l’autre de la crise d’un atlantisme servile, — et ils acceptèrent les missiles à Florennes.
Et ce serait en Belgique, plutôt qu’aux Pays-Bas, que la C.I.A. aurait mené une provocation ?
Le propre de la théorie du complot est de se nourrir de n’importe quoi et de son contraire.
Avant les arrestations, Solidaire tentait de la justifier en affirmant que personne ne connaissait les militants des Cellules. Suivez la logique : la gauche en Belgique est réduite et rien d’elle n’échappe au P.T.B. ; si personne ne connaît les militants des Cellules, c’est qu’ils viennent d’ailleurs, de Fort Braggs ou de Langsley par exemple.
Les arrestations de 1985 démentirent cette thèse. Le passé politique et les antécédents judiciaires de mes camarades étaient limpides. Par exemple, Didier avait été condamné en 1980 pour un bombage anti-fasciste, et Bertrand avait été arrêté administrativement deux fois en 1979 lors de manifestations pacifistes.
Rectification de l’axe de tir dans Solidaire. C’est maintenant parce que nous étions connus que la théorie du complot deviendrait indiscutable ! La police nous connaissait et bien sûr elle aurait laissé faire, etc.
* * *
La théorie du complot est la providence des imbéciles : elle offre des réponses simples aux problèmes complexes.
La vision de l’histoire du P.T.B. est à l’opposé du matérialisme historique. Tout (sauf le P.T.B.) ne serait qu’un vaste complot fomenté par une poignée de gros impérialistes omniscients, s’appuyant sur une armée de subordonnés infaillibles.
La réalité est autrement plus complexe. La bourgeoisie impérialiste ne se présente pas à nous sous la forme d’un super état-major (et c’est heureux !), mais sous forme d’un panier de crabes. Ainsi, certaines fractions de la bourgeoisie impérialiste ont intérêt à la guerre en Irak (e.a. les multinationales pétrolières U.S.), d’autres y perdraient beaucoup (e.a. les constructeurs U.S. de centrales nucléaires).
L’activité chaotique des bourses et l’effondrement de nombreux indices dans les premières semaines de mars, suite aux ultimatums belliqueux de Washington, illustrent parfaitement les contradictions qui opposent différents secteurs économiques capitalistes.
Existait-il, au début des années 1980, dans la gendarmerie belge, une poignée de colonels fascistes candidats au putsch, et deux ou trois politiciens susceptibles de miser sur ce pauvre cheval ? En vérité, je n’en sais rien — et le P.T.B. non plus.
Il est seulement clair que l’écrasante majorité de la bourgeoisie impérialiste de ce pays avait, et a toujours, tout intérêt à préserver la démocratie parlementaire. C’est ici la forme de pouvoir la plus avantageuse pour la bourgeoisie, en ce sens que le peuple y entretient ses propres chaînes.
Au cours du demi-siècle qui nous sépare de la Libération, les mécanismes d’absorption et de désamorçage des contradictions sociales ont été élargis et affinés au travers d’un entrelac d’impasses politiciennes, associatives, syndicales, parlementaires et socio-culturelles.
La forme hégémonique du pouvoir bourgeois dans les pays impérialistes est celle de la démocratie bourgeoise, et la social-démocratie (ou le libéralisme social — pour la différence que cela fait) en est la plus parfaite expression. C’est ce pouvoir qu’il faut attaquer.
Cela fera peut-être le bonheur d’une hypothétique fraction putschiste, mais le problème n’est pas là. Le problème est de mener la lutte des classes, prolétariat contre bourgeoisie, en suivant une ligne de classe, une perspective révolutionnaire.
Le jour où la bourgeoisie choisira la forme de pouvoir dictatoriale, nous la combattrons comme telle. La forme dictatoriale du pouvoir de la bourgeoisie ne peut pas servir d’épouvantail. La bourgeoisie la choisit quand la démocratie parlementaire se révèle incapable de neutraliser les contradictions de classe.
Les communistes n’ont plus à défendre la démocratie bourgeoise. Ils doivent avant tout développer les forces politiques, idéologiques, organisationnelles, culturelles et militaires du prolétariat, — et c’est exactement ce à quoi les Cellules se sont attelées.
La bourgeoisie est un tel réseau d’intérêts contradictoires que quels que soient les choix des révolutionnaires, ils réjouissent toujours, (et jusqu’à la veille de la Révolution !), une fraction de la bourgeoisie. L’appareil répressif, par exemple, se réjouit dans un premier temps du développement de la lutte révolutionnaire parce que cela lui amène plus de budget, plus de moyens, plus de prestige, plus de promotions, etc.
Les adeptes de la théorie du complot, par incapacité à penser dialectiquement, transforment toute relation en rapport causal direct. Si l’action de X profite à Y, c’est que Y « est derrière » X. Dans cette logique simplette, les gendarmes « étaient derrière » les Cellules Communistes Combattantes comme les Carabinieri « étaient derrière » le « Black block » à Gênes.
À ce compte-là, la nouvelle police fédérale devait être derrière les dockers qui ont (légitimement) dévasté la rue de la Loi il y a quelques jours et les fabricants américains de centrales nucléaires devaient manipuler les septante mille manifestants du 15 février contre la guerre en Irak…
C’est à peine une plaisanterie : les industriels de l’atome pourraient aujourd’hui faire leur lobbying en finançant en sous-main des mobilisations anti-guerre. Mais quand cela serait, expliquer la mobilisation anti-guerre autrement que par le refus populaire de la guerre serait une pure absurdité.
* * *
Même quand des « faits » semblent venir au secours de la théorie du complot, celle-ci ne reste pas moins fondamentalement anti-marxiste et anti-historique. Et avec P.T.B. nous sommes encore plus loin du compte, puisqu’en guise de « faits » (pardon ! de « beaucoup de faits » !), Solidaire n’a jamais avancé que des contre-vérités ou de vagues rumeurs qui ne prouvent strictement rien, sinon une volonté de prouver quelque chose et une malhonnêteté crasse.
L’exemple du bunker d’Écaussines est révélateur. Il n’y a que le P.T.B. pour imaginer attaquer la porte qui vous sépare de 800 kg de dynamite… avec une lampe à souder !!! Tout ce passage de Solidaire est remarquable. Pas une ligne sans sottise. Passons la description d’un dépôt digne du Mur de l’Atlantique. L’évocation de la hauteur de l’enceinte et de murs en béton peut impressionner, mais c’est sa seule utilité puisque les réquisitionnaires sont passés par la porte. Pardon, « les trois portes » ! La première fermée par un cadenas à vélo, la seconde, en bois, redoutable comme une porte de garde-robes, et enfin la troisième qui constitua la seule vraie difficulté à laquelle s’est heurtée la réquisition : la porte blindée.
Selon Solidaire, aucun des membres des Cellules arrêtés n’aurait eu, dans sa vie professionnelle, la moindre expérience permettant de commettre une telle effraction. J’ai rencontré quelques perceurs de coffres-forts en prison, et je dois faire savoir à Solidaire qu’aucun d’eux n’avaient appris à percer des coffres à l’école, au bureau ou à l’usine…
Et puis, qu’est-ce qui permettrait à Solidaire de décréter qu’il faille chercher le perceur de la porte parmi les quatre militants des Cellules arrêtés (et parmi eux seuls ?).
L’explosif d’Écaussines a été utilisé par trois organisations : la Fraction Armée Rouge (notamment contre l’école d’officiers de l’O.T.A.N. à Oberamergau), Action Directe (notamment contre l’Institut Atlantique) et les Cellules. Pourquoi rejeter d’office l’idée que la porte ait été percée avec l’aide d’un(e) militant(e) de la R.A.F., ou d’A.D., ou par un militant des Cellules qui est passé à travers le blitz policier de décembre 85 ? Pourquoi ? Parce que cela ne cadrerait pas avec ce que Solidaire tente désespérément de prouver depuis vingt ans.
Que reste-t-il au bout du compte de cet admirable paragraphe ? La conviction de Solidaire que les révolutionnaires sont par nature des manchots incapables d’ouvrir une porte blindée de huit millimètres. Voilà donc un de ces « nombreux faits » censés étayer la thèse de la manipulation…
Cette clique de bras-cassés est tellement occupée à lécher les bottes de despotes moyen-orientaux et africains qu’elle n’a pas trouvé deux minutes de temps pour réfléchir à ce qu’est une activité politico-militaire.
Quand le P.T.B. s’immisce dans le débat, c’est simplement pour ériger sa propre incapacité en loi générale. Si des révolutionnaires ont percé huit millimètres d’acier, c’est qu’ils ont été aidés. S’ils ont coupé en six points les pipe-lines de l’O.T.A.N. qui quadrillent le pays, c’est qu’on leur a tenu la main. S’ils ont échappé pendant quinze mois aux recherches, c’est que la police ne les a pas réellement traqués.
Quant à supposer qu’ils avaient préparé soigneusement leur passage à la clandestinité, et que c’est ce travail qui s’est révélé payant (encore qu’insuffisant), voilà ce que la complotite de Solidaire ne lui permet même pas d’imaginer — et voilà ce qui le dispense de toute enquête sur notre mode de cloisonnement par exemple, ou sur la qualité de nos faux papiers.
* * *
Le seul point de l’article où Solidaire prétend nous combattre politiquement est cette critique selon laquelle nous aurions voulu nous substituer au peuple.
Toujours cette combine indigne par laquelle on prête à son adversaire des positions qui ne sont pas siennes, pour ensuite s’en faire l’accusateur…
« L’abc du marxisme nous enseigne que la révolution, c’est le peuple qui la fait. »
Qu’est-ce que cela signifie ? Que les révolutionnaires vont au cinéma en attendant que le peuple soit prêt à faire la révolution (et la fasse sans eux, tant qu’on y est) ?
Ou qu’ils travaillent à l’émergence des conditions objectives et subjectives nécessaires au développement d’un processus révolutionnaire ?
Et bien, c’est exactement ce que les Cellules Communistes Combattantes ont cherché à faire en utilisant cette forme d’action particulière qu’est la propagande armée.
La propagande armée nous semblait, dans la situation d’alors, un moyen de reposer et de recrédibiliser l’option révolutionnaire.
Il ne s’agissait pas d’en faire l’alpha et l’oméga de l’activité révolutionnaire, mais d’utiliser le message de rupture que cette forme de lutte recèle pour poser de manière concrète et vivante (crédible donc) les incontournables questions du rapport de force, de la violence et du pouvoir.
Les Cellules ont échoué en 1985 ? Oui, et il faut réfléchir pourquoi. C’est un problème très complexe, car il est de ceux dont les intervenants peuvent confirmer leur thèse par leurs options.
Un exemple pour rendre ça plus clair : en 1968, le P.C.F. disait que le prolétariat « n’était pas prêt » à la lutte révolutionnaire. Or, le poids du P.C.F. dans la classe était tel que si la direction du parti avait fait le choix d’un engagement révolutionnaire, le prolétariat aurait, par ce fait même, « été prêt ».
De la même manière, ceux qui évoquent l’isolement des Cellules ont souvent été ceux qui y ont très largement contribué. Cet isolement des Cellules est moins une confirmation de leur analyse que le résultat de leur politique.
C’est bien entendu une question à tiroir, parce que l’on peut alors légitimement dire que les Cellules ont pêché par optimisme en sous-estimant le degré de corruption de l’extrême-gauche institutionnelle en Belgique.
Un exemple ? Toute la presse recevait les communiqués de l’organisation, mais seul Le Drapeau Rouge s’empressait de remettre l’envoi à la police, sans l’ouvrir et placé dans une pochette plastifiée, afin de faciliter la prise d’empreintes…
Pendant mes dix-sept années de prison, le P.T.B. a préféré « patiemment et systématiquement organiser le peuple et la classe ouvrière ». Formidable ! Sauf que je retrouve le P.T.B. à peu près tel que je l’ai connu. Pas mal de militants en moins, une influence réduite dans le prolétariat et quelques biens immobiliers en plus, voilà le bilan de dix-sept ans de travail « patient et systématique ».
En règle générale, ceux qui évoquent l’échec des Cellules n’ont guère de victoire à faire valoir. Je ne vois rien qui permette de dire que les orientations politiques et stratégiques des Cellules auraient été condamnées par les succès (révolutionnaires) des choix de X, Y ou Z. Le mouvement communiste n’a pas quitté la crise stratégique à laquelle les Cellules ont tenté de trouver une issue.
Cette issue reste à trouver. On la trouvera par un bilan honnête et critique de toutes les expériences communistes, en utilisant les armes théoriques du marxisme-léninisme, et en liant ce travail de réflexion à une pratique militante.
C’est dans cette perspective que j’ai décidé d’adhérer au Bloc Marxiste-Léniniste.
Je sais que j’y côtoierai aussi des camarades qui, en 1984-1985, étaient extrêmement critiques vis-à-vis des Cellules. Cela ne me pose aucun problème. Il ne s’agit pas de « pardon aux offenses », mais d’accepter toute critique honnête comme arme pour l’avenir.
L’analyse critique de l’expérience des Cellules — c’est-à-dire, considérant aussi les éléments positifs, les réels apports de cette expérience — reste largement à faire. Il faut l’achever et la mettre en valeur au service de la cause révolutionnaire. Il faut discuter de l’expérience des Cellules telle qu’elle fut réellement. Réfléchir à leur action réelle pour en mesurer les effets par rapport à leurs buts précis.
C’est un débat nécessaire, mais qui n’est possible qu’avec ceux qui placent les intérêts de la cause révolutionnaire avant ceux de leur boutique.
Ce qui exclut le P.T.B. d’un travail collectif de réflexion critique et auto-critique qui, de toute manière, n’a jamais été son genre.
Mars 2003.
Pierre Carette