arch/ive/ief (2000 - 2005)

Le lent chemin de la libéralisation du rail européen
by Cheminot Tuesday February 25, 2003 at 06:24 PM

Contre la dynamique capitaliste et l'incompétence des financiers !!!


Ce 15 mars 2003 entre en vigueur la directive européenne sur la libéralisation du fret ferroviaire. Dans les faits concrets, des compagnies à capitaux privés et des compagnies nationales étrangères pourront circuler sur le réseau ferroviaire belge, moyennant une autorisation délivrée par le futur « Office Ferroviaire ». Mais les faits et les détails ne s'arrêtent nullement là. Depuis 12 ans, l'Union Européenne, et par voie de fait la Belgique, préparent la libéralisation du secteur ferroviaire pour « stimuler les transporteurs ferroviaires nationaux ». Pour beaucoup de cheminots et d'observateurs indépendants des pouvoirs économiques capitalistes et/ou néo-libéraux, ceci est une véritable attaque contre les droits des travailleurs cheminots, mais aussi contre une sécurité minimale sur le réseau, ainsi que la qualité du service rendu à la population. Il s'agira donc ici d'isoler quelques détails et faits concrets phares qui montrent combien la libéralisation est en marche, et aussi combien celle-ci part à l'attaque des droits des travailleurs cheminots et des usagers.

1.Petit rappel.

« La directive 91/440 du 29 juillet 1991 relative au développement des chemins de fer communautaires vise à harmoniser les conditions de concurrence entre les entreprises ferroviaires réciproquement, et les entreprises ferroviaires et d'autres moyens de transport. »
A ce stade-ci, nous avons « seulement » affaire à une préparation de la libéralisation. Celle-ci se profile nettement plus à l'horizon en 1993 avec l'ajout d'une nuance sur le principe de marché au sein des Chemins de fer, ce qui paraît-il devrait permettre d'acquérir une plus grande part de marché qu'aujourd'hui au niveau des transports.

La directive poursuit 4 objectifs :

1)L'indépendance de gestion des entreprises ferroviaires,
2)L'assainissement de la structure financière,
3)La séparation entre la gestion de l'infrastructure ferroviaire et l'exploitation des services de transport,
4)Le libre accès aux réseaux ferroviaires pour les regroupements internationaux des entreprises ferroviaires et pour les entreprises ferroviaires qui effectuent des transports combinés internationaux.


2.« Office ferroviaire », homologation d'exploitation et « clients ».

Le jour-même de l'application de la directive européenne sur la libéralisation du fret ferroviaire, le 15 mars 2003, entre aussi en fonction le nouveau « Office ferroviaire ». Celui-ci doit sa création à un Arrêté Royal approuvé avant les vacances de Noël 2002. Il sera responsable de la rédaction des horaires, mais aussi du coût de l'exploitation d'une ligne ferroviaire par une compagnie publique ou privée. Jusqu'à présent, la SNCB était entièrement responsable de la rédaction des horaires et de l'homologation d'exploitation d'une ligne, avec une dynamique de client-fournisseur. Ce genre de dynamique, de contrat, permettait déjà à la SNCB d'avoir des accords commerciaux, à la base, du même type que ceux qui vont se produire à partir du 15 mars 2003.
Selon les Autorités, la SNCB est donc déjà largement rompue, à pareille processus, et ce d'autant plus que les différentes unités, pour quelque service que ce soit, concluent des contrats de type client-fournisseur. Le mot « client » prédomine maintenant dans les relations intra et extra SNCB. C'est une première chose particulièrement piquante, d'autant plus que même les syndicats parlent en ces termes.
Cet Office ferroviaire est bien sûr le même genre d'application que ce qu'on rencontre au niveau aérien, automobile et télécommunications. Il s'agit donc bien de prendre les mêmes recettes et de les appliquer partout. De cette manière, l'UE veut créer plus de transparence dans le secteur en matière de concurrence.
Chose peu agréable à entendre aussi est le fait que cet Office Ferroviaire sera composé, bien que fort justement, de cheminots, mais qui devront démissionner de la SNCB et perdre ainsi les derniers avantages sociaux qu'ils ont encore pour l'instant. L'Office se financera des revenus acquis grâce aux contrats d'homologation conclu avec les compagnies ferroviaires. Libre à eux de fixer le montant du contrat, et si celui-ci devient fort cher, il est clair que la SNCB devra encore plus puiser dans ses maigres réserves financières pour exploiter la ligne, ce qui n'arrangera rien en matière de déficit de la compagnie.
A court terme, les choses ne changeront néanmoins pas beaucoup, car la SNCB est quasiment seule sur le réseau, mis à part Cargo DL, qui s'était fait remarquer pour avoir exploité la ligne Liège-Anvers il y a environ un an. Mais lorsque la SNCB rencontra de nouveaux concurrents au niveau du fret ferroviaire, les choses se corseront très fort, et la SNCB risque bien sûr de perdre encore quelques plumes financières supplémentaires. Pour illustrer cela, il faut bien sûr mentionner le bon millier d'emplois supprimés dans l'Unité B-Cargo, pour « épurer financièrement » l'Unité (future filiale ?). Il faudra sans doute s'attendre à rencontrer, dans les prochaines années, les mêmes difficultés à B-Cargo qu'à ABX Logistics, la filiale de transport routier de la SNCB (curieuse ironie qu'une filiale routière contrôlée par un groupe ferroviaire), avec alors des décisions lourdes de conséquences comme de pures privatisations. On ne pourrait exclure aussi le scénario Néérlandais qui a vu l'Unité Cargo des NS (Nederlandse Spoorwegen) complètement avalée par la DB (Deutsche Bahn).

3.« La libéralisation du transport international pour 2006 » et l'ICE allemand.

Il est étonnant de voir M. Karel Vinck et aussi Mme Durant parler de mission de service public pour la SNCB et de la perénité de cette situation, car lors du dernier conseil d'administration de la SNCB de ce vendredi 14 février 2003, l'Administrateur-Délégué a clairement parlé de la libéralisation du secteur international du transport voyageurs pour 2006 et national pour 2008. Dès lors, où est la vérité dans les propos cités plus haut ? Tout le monde sait que l'UE a donné l'ordre depuis de nombreuses années de préparer cette complète libéralisation d'ici au plus tard 2010. De plus, nous ne voyons pas pourquoi, dans une logique néo-libérale capitaliste, la libéralisation s'arrêterait au seul fret ferroviaire. Les lobbys politiques et financiers, de vraies rapaces, ne s'arrêtent jamais en « si bon chemin ».
Il est aussi encore plus étonnant d'entendre que la libération du secteur international du transport voyageurs n'est prévu qu'en 2006. Voyons messieurs les dirigeants, cette libéralisation a déjà commencé depuis quelques années, depuis la naissance des lignes TGV reliant Londres-Paris-Amsterdam-Cologne, soit par Eurostar, soit par Thalys.
Dans les dernières décisions du Conseil d'Administration, les derniers trains internationaux, où les compagnies ferroviaires nationales parlaient plus en termes de coopération qu'en termes de concurrence se comptent progressivement sur les doigts d'une main, et les seuls trains maintenus (dans les directions principalement Italiennes, Suisses, Autrichiennes et de l'Europe Orientale) le sont car « leur rentabilité est encore suffisamment élevée ». Où est la mission de service public quand la rentabilité joue un rôle dans l'offre de trains ?
Eurostar Group et Thalys sont des sociétés privées, n'ayons pas peur de le dire, résultant de la fusion de capitaux de compagnies nationales (SNCF, SNCB, NS, DB). Et dans le futur, il est fort probable que le caractère privé sera encore renforcé. Sur le réseau à grande vitesse français, la SNCB a filialisé l'Unité TGV, la rendant beaucoup plus facilement privatisable, et la dynamique commerciale s'est de toute façon accrue dans la société.
Le 15 décembre 2002, la SNCB a rendu opérationnelle la LGV 2, cette ligne à grande vitesse qui relie Leuven à Ans, près de Liège. Désormais, les trains à grande vitesse peuvent y rouler à 300 km/h, et les IC reliant Bruxelles-Leuven-Liège-Köln y circulent à 200 km/h. Les trains IC s'arrêtant à Tienen et Landen, et les autres IR et trains omnibus continuent d'emprunter la ligne conventionnelle, la ligne 36. Malheureusement, les résultats escomptés se font attendre, et les retards enregistrés sont nombreux. Ainsi, il est encore plus intéressant de prendre la ligne 36 (en s'arrêtant à Tienen et Landen) circulant à du 150 km/h que de prendre cette LGV tellement les difficultés s'accumulent tout au long du parcours. Mais là n'est pas le détail le plus inquiétant. En effet, depuis le 15 décembre 2002, l'ICE, le TGV allemand, peut circuler sur cette ligne et relier Francfort à Bruxelles. En quelques mots, il s'agit d'un concurrent pour Thalys, concurrent venu de la DB puisque l'ICE est toujours dans le giron des chemins de fer Allemands.
Les trains à grande vitesse gérés de plus en plus par des filiales ou des consortiums n'ont pas vraiment vu leurs prix diminuer avec l'augmentation de la concurrence en trafic international. Ceux de l'ICE restent pour la plupart supérieurs à 5O € pour l'aller simple vers Francfort. L'Eurostar reste aussi du même ordre, le Thalys étant un peu moins cher. Les TGV français coûtent, par exemple, pour une liaison Paris-Toulouse aux alentours de 75 €.
Dans un contexte plus général sur la libéralisation du rail, l'exemple de la Grande-Bretagne est éloquent : nombreux problèmes de sécurité, accidents mortels, manque total de confort et prix onéreux. Ainsi, une liaison simple Londres-Glasgow vous coûtera 115 € ! Où est le droit du chômeur ou mal-salarié dans ces prix exorbitants ?

4.Comptabilité et privatisation .

Selon les directives européennes, la comptabilité de l'exploitation et de l'infrastructure doit être bien séparé. La Belgique a décidé de séparer simplement tout en gardant une structure juridique unie, dans une même société. Tout cela à la différence de la SNCF et de la DB où l'exploitation et l'infrastructure sont 2 sociétés distinctes regroupées dans une structure-holding (Réseau Ferré de France et DN Netz), suivies aussi par les Suédois et les Néérlandais. Il sera donc de plus en plus « normal » que le Gouvernement Belge soit tenté par cette gestion là de nos chemins de fer.
Certaines voies se sont élevées au niveau des syndicats pour dénoncer cette dynamique qui favorisera la privatisation des chemins de fer, ne fut-ce que partiellement.

5.Productivité, compétition et offre.

La nouvelle Direction de la SNCB, depuis son installation, demande aux cheminots plus de productivité. Pour certains secteurs de la société, ceci est une véritable insulte, car les conducteurs et ouvriers de terrains sont déjà soumis à une cadence absolument scandaleuse, dont les conséquences se résument en un mot : Pecrot. Cette localité du Brabant-Wallon a vu se matérialiser avec horreur les déficits d'investissements en matière de sécurité. L ‘argent manque, le personnel aussi ! Tout comme la volonté politique de développer en Belgique un chemin de fer sûr, confortable et gratuit !
Mais aussi, la Direction va mettre en compétition les travailleurs entre eux, ce qui est totalement absurde. Méfiance, manque de collaboration, suspicion, voire haine seront les conséquences de telles directives. Les travailleurs cheminots ont toujours travaillé dans main dans la main pour assurer aux voyageurs un maximum de confort, de sécurité et de ponctualité. A partir du milieu des années 80, lorsqu' Herman De Croo, ministre des transports, a touché aux conditions de travail en supprimant 25.000 emplois sur 65.000, le réseau ferroviaire s'est dégradé. Regardez une carte du réseau du début des années 80 et vous comprendrez l'ampleur du problème. Nombre de lignes dans le Hainaut, mais aussi dans la province de Namur et celle de Liège étaient encore en exploitation, mais la « rentabilité » a diminué. Aujourd'hui, nombre de personnes, dans certains coins reculés du pays ont du mal à se déplacer, car la régularité des trains a diminué. Il ne leur reste plus souvent que la voiture, ce qui pollue, énerve et aussi pompe les ressources financières des personnes. Ce n'est donc pas en rendant le train rentable et en le prenant pour une marchandise qu'on va « gagner des parts de marché » et conquérir le terrain de l'automobile.


6.Pour un service public démocratique, agréable et gratuit.

En 2003, où la modernité guide le monde, le déplacement est encore un problème, malgré toutes les promesses au niveau mobilité. Avec les années, le chemin de fer n'a certainement pas conquis ses lettres de noblesse, et le voyage, quelqu'il soit n'est toujours pas un plaisir, une détente. L'usager des transports en commun aimerait voyager rapidement, en sécurité, dans le confort et gratuitement, mais ce n'est pas le cas.
La qualité du confort exige que les wagons soient de bonne qualité, spacieux, conçu de manière rationnelle et avec un maximum d'originalité ; cela demande de l'argent et du personnel. La sécurité des réseaux demande aussi beaucoup de personnel, qualifié et heureux de faire un travail pareil. Cela demande donc aussi de l'argent. La rapidité des transports en commun demande aussi de la haute-technologie, c'est-à-dire de l'argent et du personnel pour le gérer.
Depuis sa création, la SNCB a quasimment toujours été dans le sens opposé. Elle a nié son mission de service public démocratique et utile à la population. Les Gouvernements successifs n'ont jamais pris à bras le corps le problème de la mobilité, qui est criant en Belgique, vu la structure sociale et de l'emploi dans notre pays. En 2003, aucune décision sérieuse n'a été prise, à savoir celle d'augmenter les effectifs en allant de pair avec un réseau moderne et fiable. Le problème de l'argent ne devrait pas être un problème, car notre pays regorge de ressources financières au niveau des grandes fortunes. De plus, les Gouvernements n'ont jamais géré convenablement les grands travaux et les grands défis en jetant l'argent par les fenêtres. Le problème de la mobilité est en Belgique représente donc bien un défi majeur dans notre pays, car il pose la question d'une bonne gestion et d'un bon projet d'avenir social dans nos régions. A l'heure où les déplacements en Belgique et en Europe sont de plus en plus nombreux, les politiques vont à contre-sens de ce qu'il faut. La Commission Européenne copie le « modèle » états-unien en appliquant les principes du marché aux transports. De nombreux exemples de réseaux ferroviaires et d'entreprises privatisées montrent que les principes capitalistes ne stimulent pas les entreprises, ils créent au contraire un mauvais climat d'insuffisance pour la population et de non-démocratie interne et externe. Il est urgent d'inverser la tendance au niveau européen, et même mondial pour que l'argent n'aille pas dans des projets ni queue ni tête, ni dans des conflits armés, mais dans le développement social.