Je perds patience avec mes voisins, M. Bush by posted by protesta Monday February 17, 2003 at 02:43 PM |
Voici un article publié dans The Guardian, le samedi 25.janvier 2003, par Terry Jones, l'un des deux réalisateurs des Monty Python. La traduction est assurée par André et Jean-Baptiste, avec le secours de Bernard. Merci à Vincent d'avoir attiré notre attention sur ce texte !
Je suis tout excité par la dernière raison de George Bush de bombarder
l'Irak il a perdu patience. Eh bien, moi aussi !
Depuis quelque temps maintenant, j'en ai vraiment plein le cul de M.
Johnson, qui habite quelques portes plus bas dans la rue. Enfin, de lui et
de M. Patel, qui tiennent le magasin d'aliments diététiques. Tous deux, ils
me regardent d'un air curieux, et je suis sûr que M. Johnson prépare quelque
coup tordu contre moi, mais je n'ai pas encore réussi à découvrir quoi. J'ai
été faire quelques tours pour voir ce qu'il prépare, mais tout est très bien
caché. C'est vous dire à quel point il est vicieux.
Quant à M. Patel, ne me demandez pas comment je le sais, mais je le sais -
de sources sûres - c'est en réalité un tueur en série, un meurtrier de
masse. J'ai distribué des tracts dans la rue pour dire que si nous
n'agissons pas les premiers, nous y passerons tous, un par un.
Des voisins m'ont demandé pourquoi, si j'avais des preuves, je n'allais pas
à la police. C'est tout simplement ridicule. La police dira qu'ils ont
besoin de la preuve d'un crime pour inculper mes voisins.
Pour résoudre le problème, avec eux, il faudra passer par d'éternelles
autorisations, par des ergotages sans fin sur le droit ou non d'une attaque
préventive, et pendant tout ce temps M. Johnson sera en train de mettre la
dernière main à ses plans pour me faire subir de terribles choses, et M.
Patel sera en train de tuer secrètement des gens. Comme je suis seul dans la
rue à posséder un rayon convenable d'armes automatiques, je crois que c'est
à moi de faire régner la paix. Mais, jusqu'à récemment, il y avait une
petite difficulté. Heureusement, maintenant, George W. Bush a bien montré
que tout ce dont j'ai besoin, c'est de perdre patience, et alors je peux
intervenir et faire tout ce que je veux.
La politique soigneusement réfléchie de M. Bush envers l'Irak est la seule
manière d'amener la paix et la sécurité internationales. La seule façon sûre
d'arrêter les attentats suicides des fondamentalistes musulmans contre les
USA et l'Angleterre est de quelques pays musulmans qui ne nous ont jamais
menacés.
C'est pourquoi je veux faire sauter le garage de M. Inlumen et tuer sa femme
et ses enfants. Il faut frapper le premier ! Ça leur donnera une leçon.
Après, il nous laissera en paix et il arrêtera enfin de me dévisager de
cette façon tout à fait inacceptable.
M. Bush montre bien que tout ce qu'il y a à savoir avant de bombarder
l'Irak, c'est que Saddam est un homme très méchant et qu'il a des armes de
destruction massive - même si personne ne peut les trouver. Je suis certain
d'avoir autant de raisons de tuer la femme et les enfants de M. Johnson que
M. Bush en a de bombarder l'Irak.
La perspective à long terme de M. Bush est de rendre le monde plus sûr en
éliminant les Etats-voyous et le terrorisme. C'est un objectif à très long
terme, car comment savoir quand c'est terminé ? Comment M. Bush saura-t-il
qu'il a éliminé tous les terroristes ? Quand tous les terroristes seront
morts ? Mais un terroriste ne devient un terroriste qu'à partir du moment où
il a commis un acte de terreur. Que faire des prétendants terroristes ? Ce
sont ceux que vous devez vraiment chercher à éliminer, à partir du moment où
la plupart des terroristes connus, en devenant des bombes humaines, se sont
déjà éliminés eux-mêmes.
Peut-être M. Bush a-t-il besoin de liquider tout le monde qui pourrait
éventuellement devenir un terroriste ? Peut-être n'est-il pas sûr d'avoir
accompli sa mission avant que tout fondamentaliste musulman ne soit tué ?
Mais alors, des musulmans modérés pourraient se convertir au
fondamentalisme. En fait, peut-être que la seule solution serait pour M.
Bush d'éliminer tous les musulmans.
C'est pareil dans ma rue. M. Johnson et M. Patel ne sont que le sommet de
l'iceberg. Il y a des douzaines d'autres personnes dans la rue que je n'aime
pas et qui - franchement - me regardent d'un drôle d'air. Personne ne sera
vraiment tranquille ici tant que je ne les aurai pas tous tués.
Ma femme dit que je suis peut-être en train d'aller trop loin, mais je lui
réponds à chaque fois que j'utilise simplement la même logique que le
président des États-Unis. Ça la lui coupe.
Comme M. Bush, je suis à bout de patience, et si c'est une raison suffisante
pour le président, ça l'est pour moi. Je donne à toute la rue deux semaines
- non, 10 jours - pour me remettre tous les étrangers [" aliens " en
anglais, ndt] et les kidnappeurs interplanétaires, les hors-la-loi
galactiques et les têtes pensantes des terroristes interstellaires, et s'ils
ne me les remettent pas gentiment en me .--disant " merci ", je bombarde la
rue toute entière jusqu'à la fin des temps...
C'est aussi sensé que ce que propose George W. Bush - et, en comparaison
avec ce qu'il entreprend, ma politique ne détruira qu'une rue.
Terry Jones
Note : dans le dernier paragraphe, policy a été traduit par politique. Mais
ce même mot veut dire aussi, en anglais, police- N'est-ce pas mignon, une
langue qui suggère que la politique par excellence c'est la politique
sécuritaire ? Voilà qui fait penser à Orwell : s'inquiétant du totalitarisme
sous toutes ses formes, y compris libérale, il soulignait justement les
dangers d'un certain modelage de la langue, et notamment la corruption que
représentait pour lui le standard english (lire à ce propos le très
instructif Orwell, anarchiste tory de JeanClaude Michéa).
Remarque : Même si la politique de Jacques Chirac vis-à-vis de l'Irak donne
des motifs de satisfaction indéniables ces temps-ci, même si elle paraît
plus intelligente et courageuse que de nombreuses autres, il faut rappeler
qu'elle possède des zones d'ombre, qu'elle présente des ambiguïtés, elle
aussi : le chef de l'Etat défend avant tout ses intérêts, qui ne sont pas
forcément ceux du peuple français, et encore moins ceux des Irakiens. On
sait que les Etats Unis sont avides du pétrole d'Irak parce qu'ils n'en
exploitent pas une goutte actuellement (et d'autant plus qu'ils perdent du
terrain en Arabie Saoudite et au Venezuela). Mais on oublie trop souvent
que, si la France n'est pas pressée de faire chuter Saddam Hussein, c'est
peut-être bien, entre autres raisons, parce qu'une entreprise française en
exil voit actuellement le sous-sol... en bonne partie pour les mêmes raisons
! Bref, nous avons intérêt à ne pas nous faire d'illusions sur une politique
qui n'obéit probablement pas aux seuls motifs invoqués. C'est pour le peuple
irakien qu'il convient de manifester contre la guerre, lui qui ne risque pas
de changer d'avis. Et c'est plus largement pour tous les peuples menacés par
quelque forme d'impérialisme que ce soit. L'opposition officielle, en France
du moins, celle qui cherche à récupérer l'hostilité au conflit, ou du moins
à ne pas la heurter, ne conteste quasiment pas que la présence d'armes de
destruction massive en Irak puisse constituer un casus belli par exemple ;
elle base même tout son argumentaire sur ce point. C'est dire la qualité de
l'offensive. Même nos " intellectuels " semblent soucieux d'apparaître comme
" modérés ", de Rony Brauman à Tzvetan Todorov en passant bien sûr par
Bernard-Henri Lévy, qui se réjouissent de pouvoir dire " non " actuellement
(Télérama du ler au 7 février), car il le faut bien de temps en temps, mais
en prenant bien soin de préciser qu'ils ne sont pas " pacifistes " : ils
sont contre cette guerre, mais il approuvaient celle en Afghanistan bien sûr
- malgré tout ce qu'on peut apprendre actuellement sur l'état du pays,
auquel l'Irak finira bien par ressembler un jour.
J.Baptiste
policy = police??? by bart Monday February 17, 2003 at 03:07 PM |
Une très belle analogie, cette histoire de Terry Jones, qui a réussi à expliquer en quelques mots simples ce que c'est que Bush est en train de faire. Une remarque sur la traduction quand même: policy n'a pas du tout en anglais le sens de police (quoique les mots sont bien sûr dérivés tous les deux de la même origine). Par contre, il y a bien un jeu de casino qui s'appelle policy, ce qui s'applique aussi bien, me semble-t-il, à la politique des trois générations de Bush. En effet, fils, père et grand-père ont tous les trois créé et financé leurs ennemis futurs pour combattre leurs ennemis présents: le grand-père a financé Hitler et les Nazis depuis 1923 (pour combattre les communistes), le père a financé Saddam depuis les années 70 (pour combattre les fondamentalistes), en même temps qu'il (et son fils) ont financé Osama et les Taliban, donc les fondamentalistes, pour combattre (encore) les communistes. Et le fils ne fait que continuer l'histoire sans fin de créer des ennemis et les rendre puissants afin d'aller les combattre plus tard. Et entretemps ils font d'autres guerres: contre les drogues, contre les pauvres, contre les dissidents domestiques, contre n'importe qui ou quoi. Question de garder la population dans l'angoisse continue afin de pouvoir les exploiter plus facilement.