arch/ive/ief (2000 - 2005)

La sortie du nucléaire ouvre de nouvelles perspectives
by Patrick Gillard Friday February 14, 2003 at 10:02 AM
patrickgillard@skynet.be

La décision d'arrêter progressivement toutes les centrales nucléaires belges, entre 2015 et 2025, ne clôt évidemment pas le débat en cours en ce qui concerne l'approvisionnement énergétique futur de la Belgique. Au contraire...

La sortie progressive du nucléaire par la Belgique a fait l'objet d'un débat passionné non seulement au Parlement, avant d'y être votée par les sénateurs le 16 janvier dernier, mais aussi, depuis cette date historique, dans la presse belge francophone et, en particulier, dans La Libre Belgique. S'agissant essentiellement d'entretiens individuels et d'opinions personnelles, l'intérêt de ce débat médiatique fictif, reconstitué après coup, réside notamment dans la totale liberté d'expression et le large temps de parole dont chacun des intervenants a joui, ce qui n'est pas toujours le cas.

Le secrétaire d'État à l'Énergie, Olivier Deleuze, préside, comme il se doit, ce débat imaginaire. (1) En face du secrétaire d'État ECOLO, prend place son directeur de mémoire, le célèbre climatologue belge, André Berger. (2) Participent également à cette réunion fictive Baudouin Velge de la Fédération des Entreprises de Belgique (3), Thierry Bréchet, Henry Tulkens et Vincent Van Steenberghe, trois confrères économistes du professeur Berger à l'UCL (4) ainsi qu'un représentant de la société civile : Jean-Louis Maerevoet, directeur d'école et également économiste (5).

L'approvisionnement énergétique nucléaire ou non de la Belgique de demain forme le thème central de cette confrontation irréelle.

Même s'il éprouve le sentiment fort compréhensible du devoir bien accompli - l'arrêt du nucléaire constitue en effet un des thèmes fondateurs du mouvement écologiste -, l'ancien patron de Greenpeace Belgique se retrouve cependant très vite tout seul autour de la table à défendre un projet pourtant basé sur de solides arguments et qu'il qualifie, preuves à l'appui, d'irréversible. Malgré les sérieuses raisons économiques invoquées par Olivier Deleuze, force est de reconnaître - même si c'est regrettable - que l'irréversibilité du retrait progressif du nucléaire par notre pays reste principalement conditionnée à la présence des Écologistes au gouvernement ou non. Misant précisément sur la non-reconduction de l'Arc-en-ciel, Baudouin Velge « espère [effectivement] que la prochaine législature reviendra sur cette décision » (3). Quoi qu'il en soit, pour l'instant les Écologistes belges ont atteint un objectif important.

Pour les Verts, le problème des déchets nucléaires, le risque d'accidents et de prolifération justifient largement l'arrêt progressif du nucléaire. Les énergies vertes et la cogénération couvriront « plus ou moins (...) la moitié des 56 milliards de Kw/heures produits par les centrales nucléaires [belges]. L'autre moitié [qui] sera couverte via la construction de centrales à gaz » (1) augmentera donc, jusqu'à concurrence de 10%, les émissions belges de gaz à effet de serre. Mais comme les impopulaires économies d'énergies que les Écologistes préconisent du bout des lèvres « devraient dégager d'ici 2025 entre 60 et 100 milliards de Kilowatts/heure/an » (1), on peut quand même espérer, surtout si les mesures d'économie proposées rencontrent l'agrément des consommateurs, que notre pays puisse respecter les modestes engagements qu'il a pris en signant le protocole de Kyoto.

Le réchauffement climatique, que le protocole de Kyoto est censé devoir juguler, représente justement le principal grief lancé par ceux qui s'opposent à la sortie du nucléaire. Le premier d'entre eux, le professeur Berger, préconise en effet la poursuite, voire le développement de la production de l'électricité atomique dont les risques dont il ne nie pas l'existence sont, selon lui, cependant sans commune mesure en comparaison des catastrophes que le scientifique entrevoit à long terme à cause du réchauffement du climat. (2) (5) Même si les chiffres élevés avancés par André Berger ont fait l'objet d'une sérieuse mise au point de la part de ses collègues économistes de Louvain-la-Neuve (4), le coût financier que représenterait l'arrêt graduel du nucléaire, notamment en ce qui concerne l'achat d'éventuels "droits de polluer", constitue un des arguments le plus souvent utilisé par les opposants au projet écologiste. (2) (5)

La décision d'arrêter progressivement toutes les centrales nucléaires belges, entre 2015 et 2025, ne clôt évidemment pas le débat en cours en ce qui concerne l'approvisionnement énergétique futur de la Belgique. Parce qu'elle exige de nouvelles solutions en termes d'énergies, l'avancée écologique que nous venons de vivre ouvre au contraire un grand espace de réflexion dépassant largement la zone de pensée "capitaliste" qui part toujours du principe « que l'augmentation de la demande [énergétique] est inévitable » (6). Les économies d'énergies proposées discrètement par ECOLO constituent pourtant un tout premier pas dans la bonne direction que d'aucuns jugeront déjà déplacé. Les réponses énergétiques écologiques permettront non seulement la réussite de l'arrêt croissant du nucléaire, mais aussi l'élargissement progressif de la palette des perspectives qui s'offrent à nous, tant au niveau individuel que collectif.

Les dangers réels du nucléaire et du réchauffement climatique, dont la responsabilité des activités humaines est tous les jours davantage assurée, nous forcent à nous interroger de plus en plus sérieusement sur la façon dont nous produisons et dont nous consommons l'énergie. Est-ce pour subvenir à nos réels besoins d'existence ? Ou adaptons-nous sans cesse - en tous cas nous qui en avons les moyens financiers - notre mode de vie matérielle de plus en plus confortable à l'offre croissante d'énergie qui nous est proposée ? En d'autres termes, de quelle quantité et de quelle qualité d'énergie avons-nous réellement besoin individuellement et collectivement pour vivre décemment ?

Les risques réels liés à l'utilisation de l'énergie nucléaire tant civile que militaire, qui viennent encore d'être rappelés de manière alarmante, non seulement par la divulgation récente des sérieux problèmes liés à la gestion des déchets radioactifs entreposés à Dessel, en Flandre - sans oublier qu'il faudrait peut-être penser à inspecter les milliers de fûts du même acabit gisant au fond de l'océan ! -, mais aussi par la publication d'une toute nouvelle étude commandée par les Verts européens (7), ces risques, donc, justifient à eux seuls la sortie progressive du nucléaire. Cette "dénucléarisation" croissante de la Belgique ne dispense bien entendu pas du tout notre pays du respect des engagements qu'il a souscrits dans le cadre du protocole de Kyoto. Que du contraire ! Au-delà des économies d'énergies nécessaires dans un premier temps, seule une décroissance énergétique soutenable et volontaire tant au niveau individuel que collectif assurerait, dans un second temps, une diminution sensible des émissions de gaz à effet de serre pouvant même très vite dépasser les quotas insuffisants fixés par Kyoto. Et c'est en ce sens-là que la sortie du nucléaire ouvre de nouvelles perspectives.

Lorsqu'il écrivait en 1973 qu'une « politique de basse consommation de l'énergie permet une grande variété de modes de vie et de culture [ et que] la technique moderne peut être économe en matière d'énergie » (8), Ivan Illich ne pensait-il pas spécifiquement au modèle de consommation de la société occidentale ?

Patrick Gillard, historien
Bruxelles, le 13 février 2003

Notes

(1) Rachel Crivellaro (entretien avec Olivier Deleuze), Éteindre les centrales, pas la lumière, dans La Libre Belgique, mardi 21 janvier 2003, p. 6.

(2) Professeur André Berger, Sortir du nucléaire, une erreur historique, dans La Libre Belgique, jeudi 16 janvier 2003, p. 16.

(3) Rachel Crivellaro (entretien avec Baudouin Velge), "Il n'y a pas d'alternative à l'atome", dans La Libre Belgique, vendredi 17 janvier 2003, p. 7.

(4) Thierry Bréchet, Henry Tulkens et Vincent Van Steenberghe, Sortie du nucléaire et coût des engagements de Kyoto : mise au point, dans La Libre Belgique, lundi 20 janvier 2003, p. 12.

(5) Jean-Louis Maerevoet, Ne pas perdre l'essentiel, dans La Libre Belgique, vendredi 7 février 2003, p. 40.

(6) Christophe Schoune, Une sortie du nucléaire électrique, dans Le Soir, jeudi 16 janvier 2003, p. 10.

(7) Christophe Schoune, Au moins 2.638 autres fûts radioactifs suspects, dans Le Soir, samedi 8 et dimanche 9 février 2003, p. 6 ; Christophe Schoune, Le nucléaire, tueur trop discret, et Christophe Schoune, Un facteur de risque multiplié par soixante. Morbide bilan nucléaire..., dans Le Soir, mercredi 12 février 2003, p. 1 et 18.

(8) Ivan Illich, Énergie et équité, Seuil, 1973 cité dans Silence, n° 293, février 2003, page 17.

Centrales ou non?
by Dominique Friday February 14, 2003 at 11:37 AM
dominique_pifpaf@hotmail.com

Le nucléaire est une vraie saloperie, il n'y à qu'a demander aux voisins de Tchernobil pour s'en convaincre.
Derrière le développement des énergies renouvelables se cache un enjeu énorme qui n'est que trés rarement évoqué.
À savoir centrale ou pas de centrale, production centralisée ou production décentralisée, à domicile.

Les enjeux financiers et énergétique de cette question sont énormes. Avec des centrales, nous sommes obligés d'avoir un réseau de distribution. Tout appareillage construit par l'homme n'est pas parfait et un tel réseau n'échappe pas à la règle. S'avez vous par exemple et dans le meilleur des cas, c'est à dire par temps sec, que les pertes sur le seul réseau haute tension (380'000V) suisse sont de l'ordre de 50 pour cent. (D'aprés les statistiques des services industriels suisses responsables de ces réseaux)
Pour avoir une idée des pertes totales du réseau de distribution, il faut encore rajouter les pertes sur les réseaux à moyenne (16'000V) et basse (380-220V)tension. Nous arrivons à un minimum de l'ordre de 70 pour cent de pertes et ce, dans le meilleur des cas.

Que font ces pertes? Au moins deux choses: elles réchauffent l'atmosphère (en fait cet un peu plus compliqué dans le détail) et elle gonfle la facture (là c'est trés simple). Les producteurs tiennent compte de ces pertes pour établir le prix du kW/h que paie les consommateurs.
On peut donc en toute logique et bonne foi en conclure que ce qui fait vivre les producteurs et distributeurs d'énergie, ce sont les pertes!