arch/ive/ief (2000 - 2005)

Mirages européens contre bombardiers US?
by Baudouin Deckers Thursday February 13, 2003 at 10:27 AM

L'absence de la moindre preuve d'«armes de destruction massive» en Irak se tourne contre les États-Unis. La haine et la résistance des peuples se renforcent. Confrontée en plus à l'intensification de ses contradictions avec des puissances impérialistes d'Europe, la superpuissance US voit son autorité politique s'affaiblir.


L'absence de la moindre preuve d'«armes de destruction massive» en Irak se tourne contre les États-Unis. La haine et la résistance des peuples se renforcent. Confrontée en plus à l'intensification de ses contradictions avec des puissances impérialistes d'Europe, la superpuissance US voit son autorité politique s'affaiblir.

«Trois fois au cours des deux semaines passées, la France, l'Allemagne et la Belgique ont opposé leur veto à la demande américaine que l'Otan prenne déjà certaines mesures en préparation d'une guerre éventuelle en Irak... Il s'agit de la défense de la Turquie [lisez: le dispositif pour envahir l'Irak par le Nord]. Mais aussi du remplacement de troupes US et britanniques retirées des Balkans et de la Méditerranée pour être envoyées en Irak.»1 écrit le Wall Steet Journal, le journal de la Bourse américaine.

Le ministre US de la Défense, Donald Rumsfeld n'a pas pu retenir sa colère. À Munich, le 8 février, il a qualifié d'«inexcusable» et d'«incompréhensible» la démarche des trois pays européens. Contre-attaquant, la ministre française de la Défense a accusé les Etats-Unis de jouer à la politique du canon et de ne tirer la carte de l'Otan qu'au service de leur propre agenda2. Ce 10 février, les trois pays ont été jusqu'à envoyer un veto officiel à l'Otan.

Colère redoublée de l'administration Bush quand c'est par la presse qu'elle doit apprendre que des alliés jadis aussi fidèles concoctent un plan contraire au leur.

«Mirage» ou mirages?

Si le plan franco-allemand conteste les plans américains, ce n'est pas par respect pour la souveraineté et l'indépendance de l'Irak. En effet, il proposerait, au lieu d'une intervention militaire américano-britannique, l'occupation massive de l'Irak, par des milliers de casques bleus ­ ou autre formule ne nécessitant pas une nouvelle résolution de l'Onu.

Ces troupes devraient couvrir les inspecteurs en armement dont les effectifs seraient triplés. Elles veilleraient également à une application encore plus rigoureuse de l'embargo. Entre-temps, les 150.000 soldats US resteraient aux abords de l'Irak «au cas où».

L'occupation serait de très longue durée et devrait empêcher l'Irak de se réarmer. La totalité du territoire irakien serait frappée d'une interdiction totale de survol, sauf pour des avions de surveillance, les «Mirages» français, les avions d'espionnage allemands «Luna-Drohne» et américains «U2» . D'où le nom code de l'opération: Mirage.

Les Etats-unis l'ont déjà rejeté. «Peu importe ce que ce plan développe, il constitue une diversion, pas une solution», devait dire Colin Powell. Il a répété que les États-Unis pourraient diriger une coalition de guerre sans nouvelle résolution de l'Onu.

Buts cachés

La crise irakienne reflète l'opposition croissante d'une partie de la bourgeoisie européenne à une répartition du monde selon les intérêts US. Gouvernements français, allemand et belge s'entendent parfaitement avec Washington sur la nécessité de désarmer Saddam Hussein et si possible de l'éliminer. Aucun impérialiste n'a intérêt à garder en place des gouvernements du tiers monde trop indépendants. Ils n'excluent nullement le recours à la guerre.

Mais une agression US ne servira qu'à garantir les intérêts américains, au détriment des intérêts français. Comme on le sait, la société française TotalFinaElf a reçu en concession les plus prometteurs puits de pétrole irakiens ­ convoités bien sûr par les compagnies pétrolières anglo-américaines.

Les trois pays européens craignent aussi que l'entièreté du Moyen-Orient soit entraînée dans la guerre. Dans ce cas, seuls les Etats-Unis seront capables d'imposer leur domination à l'ensemble de la région. En éliminant ainsi les autres monopoles et puissances impérialistes.

Soif du pétrole partagée

«Les Américains mènent la guerre pour d'autres raisons que celles qu'ils prétendent. Il en va pour eux de puissance, de pétrole», note très justement le ministre belge Louis Michel3. Mais les motifs qui animent l'Europe ne sont pas nobles pour autant... Elle considère le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord comme ses sources énergétiques stratégiques. La commissaire européenne de l'Energie et des Transports, Loyola de Palacio, a ainsi déclaré que l'«Union Européenne doit protéger ses intérêts géopolitiques et géostratégiques... L'accès direct à des approvisionnements à partir du Moyen-Orient doit rester une de nos priorités»4.

Et si à l'Otan, des pays européens tentent de limiter la dictature qu'y exercent les Etats-Unis, c'est pour avoir voix au chapitre dans cette alliance guerrière. Car en attendant que leur propre euro-armée soit suffisamment puissante, c'est bon gré mal gré avec les Américains et avec l'Otan qu'ils doivent pouvoir mener si nécessaire leurs guerres contre le tiers monde et les pays qu'ils convoitent ­ comme la guerre contre la Yougoslavie l'a démontré.

Nouvelles contradictions

Nous sommes ainsi bien loin de 1989. Il y a douze ans, quand le socialisme a été renversé à l'Est, certains parlaient d'une communauté mondiale unifiée, qui ne connaîtrait plus jamais le danger de nouvelles guerres mondiales. Pendant plus de quarante ans, les grandes puissances impérialistes se sont unies contre ce qu'ils considéraient comme la menace majeure: les pays socialistes.

Une fois le bloc socialiste en grande partie éliminé, leurs contradictions s'intensifient de plus en plus. La seule «valeur occidentale» qu'ils partagent est l'augmentation continue de leurs bénéfices. Et pour ce faire, ils doivent toujours exploiter davantage les travailleurs et peuples du tiers monde. Mais aussi mener une lutte à mort entre eux afin de s'arracher des marchés et des sources de matières premières. Deux fois déjà dans l'histoire, ces contradictions entre puissances impérialistes ont éclaté en guerres mondiales. Aujourd'hui, c'est ce qui se dessine une nouvelle fois à terme.

Dissoudre l'Otan

Les contradictions actuelles entre certains pays européens et les Etats-Unis peuvent être mises à profit par l'Irak et les autres pays du Moyen-Orient. Ils préféreront le plan franco-allemand, moins meurtrier, à une agression directe des troupes américaines et britanniques, même si ce plan piétine également leurs droits nationaux et leur dignité.

Le travail des communistes doit consister à défendre les intérêts des peuples du Moyen-Orient, leur souveraineté et intégrité nationale, leur droit à défendre le développement de leur économie à partir des revenus du pétrole. Toutes les troupes et bases militaires étrangères doivent être retirées du Golfe. L'embargo meurtrier doit être levé immédiatement. La Palestine a pleinement le droit d'établir son propre Etat, avec Jérusalem comme capitale.

Et en Europe, il faut réclamer sans relâche la dissolution de l'Otan et refuser toute collaboration avec les Etats-Unis, y compris le transit des troupes US dans les ports d'Anvers, Rotterdam et Brême.