arch/ive/ief (2000 - 2005)

Brésil: la marge de manoeuvre du président Lula
by Cécily Monday February 10, 2003 at 03:24 PM

Au Brésil, 1% de la population possède 53% du patrimoine privé national. En Belgique, ils sont 10% à posséder une telle proportion du patrimoine privé...

(« Paroles d'argent », Marc Vanesse et Martine Vandemeulebroucke, Luc Pire 1996; Le Monde Diplomatique, novembre 2002 et janvier 2003)

Au Brésil, la guerre sociale atteint des proportions insolites. Dans la ville de Rio, entre 1987 et 2000, ont été tués par balles plus de mineurs de moins de 18 ans que dans l'ensemble des conflits de Colombie, Yougoslavie, Sierra Leone, Afghanistan, Israël et Palestine. Au cours de ces treize années, par exemple, un millier de jeunes ont trouvé la mort dans l'affrontement israélo-palestinien; durant la même période, 3 937 mineurs étaient abattus dans la seule ville de Rio. La guerre sociale coûte plus au budget de ce genre d'Etat que la défense nationale. Le Brésil consacre 2% de sa richesse annuelle (PIB) à ses forces armées, mais plus de 10,6% à protéger les riches contre le désespoir des pauvres.

Les électeurs finissent par voter assez massivement pour le candidat des pauvres, l'ancien leader syndical des métallos de Sao Paulo, l'antimondialiste "Lula", qui s'est engagé sur un objectif minimal qu'on trouve à la fois dans l'Evangile, dans la Déclaration des Droits de l'homme et dans la Constitution brésilienne: que tous les citoyens aient à manger trois fois par jour.

Manger, mais aussi lutter contre le sida. Déjà sous le social-démocrate Cardoso, les laboratoires brésiliens s'étaient illustrés en fabriquant une trithérapie produit blanc et en la mettant en vente au quart du prix exigé par les inventeurs euro-américains de la trithérapie. « Qui en veut? L'Inde? L'Afrique du sud? La Chine? Que les multinationales nous fassent un procès devant l'OMC, et on verra combien de vies la trithérapie meilleur marché peut sauver! » Les multinationales détentrices du brevet étouffèrent le procès au moyen d'une transaction, et baissèrent leurs prix de manière conserver les marchés extérieurs. Vous avez dit: pays émergent?

L'élection de Lula succédant à deux législatures de Cardoso, met le Brésil « à la croisée des chemins ». Il y a le chemin du bien et celui du mal. Cardoso courait de son mieux sur le chemin du bien. « Au long de son second mandat, le Brésil, irréprochable dans ses efforts pour assainir ses finances, est devenu « l'élève modèle » d'un FMI fidèle à ses remèdes malgré les innombrables échecs dans les pays émergents. En 2002, les comptes publics (incluant ceux des Etats et des entreprises nationalisées) devaient dégager un excédent budgétaire primaire (hors service de la dette) supérieur à celui négocié avec le fonds. »

Malheureusement, dès l'annonce que caracolait en tête des sondages un candidat du Parti du Travail qui se proclamait "partisan de la rupture avec le système capitaliste", tous les détenteurs de fortunes en real se mirent à les convertir en dollars, ce qui fit flamber le cours du dollar par rapport à celui du real. Or, la dette publique du Brésil est indexée à 40% sur le cours du dollar, et à 60% sur celui du real. Du coup, la dette publique augmenta rien que par l'effet de la divergence des deux monnaies, et voilà de quoi absorber bêtement toutes les économies de Cardoso. Dans les derniers mois de sa législature, Cardoso dut même solliciter à plusieurs reprises en urgence l'aide du FMI pour honorer au moyen d'emprunts les dernières échéances de la dette publique.

Soucieux de calmer le marché des changes et de limiter la chute du real, l'abominable épouvantail qui causait ce mouvement de panique, Lula, réitéra dès son élection l'engagement du Brésil à respecter l'accord avec le FMI durant l'année 2003. Cet accord subordonne « la libération par tranches d'un crédit de 30 milliards d'euros » au « maintien d'une stricte austérité fiscale ». Autrement dit, pour assurer le service d'une dette qui va s'alourdissant malgré la diminution des dépenses publiques, le Brésil renonce à l'impôt et le remplace par l'emprunt! C'est une histoire de fous. Mais non! protestent les orthodoxes du FMI: la diminution de l'impôt provoquera une croissance qui augmentera le volume des activités et des acteurs imposables! Ca, c'est la théorie, mais dans la pratique, cela fait très exactement vingt-cinq ans que le monde entier attend ce genre de relance, et pendant le temps qu'on applique mondialement les recettes miracles à cette fin, l'écart se creuse entre une poignée de riches et une masse de pauvres qui, non seulement s'éloignent des riches, mais encore sont objectivement plus pauvres qu'ils ne l'étaient dans le passé, de plus en plus pauvres: big bang dont le FMI porte la responsabilité.

A la croisée des chemins, Lula pour le moment choisit celui du bien, c'est-à-dire du FMI. « Les investisseurs attendent de savoir quelle est la capacité (de Lula) d'éviter une dérive populiste... Le premier trimestre sera déterminant dans la mesure où le marché aura eu le temps d'apprécier le degré d'orthodoxie de la nouvelle équipe dans la gestion des finances publiques... Autre dossier urgent, la réforme de la sécurité sociale, dont le « trou » ne cesse de se creuser... sur tous les fronts, y compris celui des revendications sociales, la marge de manoeuvre de Lula s'annonce réduite. » (Bilan du monde, éditions Le monde 2003 p. 83)

Il ne s'agit pourtant que de donner aux gens trois fois à manger par jour. Est-ce tellement hérétique au capitalisme? Ou lui est-ce impossible?

Faut-il se mettre les grandes puissances à dos et recommencer l'autarcie communiste à quelques Etats? Remarquez qu'avec le Vénézuela, le Brésil, l'Argentine, Cuba et Haïti, ça commencerait à ressembler à quelque chose!