"Gulf War III" ou "Desert Storm II" by Patrick Gillard Thursday January 30, 2003 at 06:01 PM |
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Force est de reconnaître que la nouvelle superproduction hollywoodienne, annoncée à grands renforts publicitaires, monopolise déjà toutes les conversations des citoyens du monde : de Paris à New York et de Porto Alegre à Moscou...
Bien que de nombreux problèmes importants restent encore à régler tant au niveau de sa production que de sa réalisation - sans oublier, en amont de ces aspects, les questions fondamentales relatives à sa raison d'être que pose encore, de manière incessante, une grande partie de l'opinion publique internationale, relayée, pour le moment et pour des raisons peut-être parfois inavouables, par un certain nombre de dirigeants européens, entre autres -, force est de reconnaître que la nouvelle superproduction hollywoodienne, annoncée à grands renforts publicitaires, monopolise déjà toutes les conversations des citoyens du monde : de Paris à New York et de Porto Alegre à Moscou. Faisant - semble-t-il - l'objet d'une profonde réflexion et n'ayant pas encore été fixé de manière définitive - c'est une question de jours, nous disent les sources les mieux informées -, le titre de cette production, qui s'inscrirait de manière évidente dans une grande fresque cinématographique américaine, pourrait donc ressembler à quelque chose de connu comme, par exemple : "GULF WAR III" ou "DESERT STORM II". Alors que les premières prises de vue irakiennes sont attendues d'un jour à l'autre, ce déplorable futur succès commercial fait déjà l'objet aussi d'une véritable guerre médiatique, à l'échelle planétaire.
Écrit de manière impulsive au lendemain des attentats du 11 septembre, sur une idée pas très originale émanant de l'entourage immédiat de George W. Bush , le scénario étasunien de ce film de guerre reprend une fois de plus le thème universel du combat entre le Bien et le Mal ou, si vous préférez, entre les bons et les méchants, que son trop prudent auteur a choisi de loger dans un contexte de guerre économique - en l'occurrence pétrolière -, d'armes de destruction massive et de terrorisme international, ne reprenant ainsi que des concepts éculés, mais encore à la mode. De plus, contrairement à ce qu'affirment les slogans qui composent le bombardement publicitaire dont bénéficie déjà le film en cours de réalisation, de nombreux critiques de cinéma, n'ayant pas la mémoire courte, n'y reconnaissent à juste titre qu'un simple remake de la triste version homonyme, dite "de papa", du début des années ‘90.
Cette coûteuse et inutile reprise risque pourtant d'être avalisée in extremis par les membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Le soutien de l'ONU, que d'aucuns - et on les comprend - redoutent, apporterait non seulement de manière automatique de l'argent frais européen à un budget pourtant déjà faramineux, mais apporterait aussi et peut-être surtout, car le casting n'est pas encore tout à fait terminé, de nouveaux acteurs de la "Vieille Europe" promus d'emblée et assez paradoxalement à de premiers rôles. Sans compter les soutiens logistiques et autres sponsoring en cours - comme en Belgique - et futurs en provenance des quatre coins du monde, la participation active de l'Union européenne en tant que telle confirmerait à elle seule, tout en lui assurant un surcroît de prétendue légitimité, le caractère international de cette gigantesque production, dont les représentants actuels se recrutent exclusivement aux États-Unis, en Angleterre et en Australie.
Que le public friand de grosses machines cinématographiques américaines se rassure tout de suite, le film qui est en réalité déjà commencé sera de toute façon réalisé, avec ou sans l'accord de l'ONU et avec l'assentiment de l'Union européenne dans sa totalité ou non ! La présence de l'impressionnante équipe technique, de la plus grosse partie du matériel et - ce qui constitue une première - des dizaines de milliers de figurants qui se trouvent déjà à pied d'oeuvre dans la région du Golfe, à quelques encablures de l'Irak, pays où le tournage des scènes extérieures est prévu, malgré le désaccord des autorités et de la population locales, constitue déjà une garantie suffisante de la terminaison complète de ce projet. Étant donné l'investissement financier que représente cette immense opération logistique en cours d'achèvement, il est en effet tout à fait invraisemblable d'imaginer que l'on puisse dorénavant faire marche arrière. Le film aura donc lieu, coûte que coûte. Et ce ne sont pas les hyperréalistes essais de bombardements aériens menés dans les régions septentrionale et méridionale de l'Irak, depuis la dernière version du film, par une équipe américano-britannique qui assure une forme de permanence sur place, qui démentiront le caractère inéluctable de la réalisation de ce grand projet cinématographique sponsorisé - faut-il le préciser - par le Pentagone.
Les producteurs étasuniens n'auraient-ils pourtant pas été un peu trop vite en besogne ? N'auraient-ils pas - en d'autres termes - placé la charrue avant les boeufs ? Ces deux interrogations peuvent, il est vrai, traverser un moment donné notre esprit, surtout lorsqu'on songe au délai supplémentaire de quelques semaines, voire de quelques mois, demandé, entre autres, par les responsables de la commission des experts de l'ONU, chargés de vérifier le bien-fondé du choix de l'Irak comme théâtre des opérations cinématographiques grandioses, programmées dans le cadre de cette superproduction internationale. Mais les amateurs d'american movies n'ont toujours pas de souci à se faire, car les réponses sont totalement négatives. Quel que soit le résultat des inspections, qui apparaissent parfois comme une simple manoeuvre destinée non seulement à maintenir les publics potentiels en haleine, mais aussi à en profiter un maximum pour repérer tranquillement sur place les meilleurs cadrages, les meilleurs angles de prise de vue et les meilleurs mouvements de la caméra, il y a en effet belle lurette que plus aucun doute ne subsiste sur le fait que "GULF WAR III" ou "DESERT STORM II" - peu importe le titre - sera bientôt réalisé en Irak. Comptant de surcroît sur la collaboration active d'une population irakienne prise en étau entre les informations officielles locales, disant que le film n'aura pas lieu ou qu'il est voué à l'échec, et celles en provenance des États-Unis qui insistent sur l'imminence du début des bombardements - pardon - du début des prises de vue, l'équipe technique présente au Moyen Orient n'hésite donc pas à informer directement la population autochtone par des messages de toute nature, allant du tract au courriel (1), et précisant, sans doute pour tenter de rassurer les Irakiens et Irakiennes que le carnage - pardon - que le tournage - surtout s'ils collaborent - ne sera pas très long.
Placé sous la direction d'un grand réalisateur (étasunien ?) dont le nom est secrètement gardé - on pense évidemment à l'incontournable Steven Spielberg, mais sans certitude -, et qui serait flanqué, étant donné le caractère réaliste des scènes de combat voulu par la production du film, de plusieurs assistants à la réalisation encore actifs dans l'armée américaine, ce remake de GULF WAR II relèvera le défi supplémentaire que représente la mise en scène de centaines de milliers d'acteurs et de figurants non seulement occidentaux, mais surtout irakiens.
Les conditions météorologiques étant plus clémentes à cette époque de l'année, les spécialistes pensent sérieusement que le tournage pourrait démarrer durant la seconde quinzaine de février, voire au tout début du mois de mars 2003. Ce calendrier réaliste sera peut-être confirmé à l'occasion de la dernière (?) conférence de presse, prévue le 5 février prochain, devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies et au cours de laquelle Colin Powel, un des principaux producteurs du film, devrait aussi en profiter pour lever ne fut-ce qu'un coin du voile qui recouvre encore les motivations profondes de Washington, en ce qui concerne l'Irak.
L'énorme opération de marketing, soutenant déjà le film avant le début de son tournage proprement dit, traduit dans une certaine mesure les efforts financiers colossaux que les producteurs présents et à venir, aux moyens quasi illimités, n'hésiteront pas à consentir pour réussir les dernières étapes de leur projet cinématographique que constituent sa distribution et son exploitation. Cette propagande culturelle, qui ne manquera pas d'écraser sur son passage toutes les critiques des cinéphiles, risque également de propulser en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire "GULF WAR III" ou "DESERT STORM II" en tête du box-office. Amenées par les multiples canaux de distribution dont la production s'est sans doute assuré aussi un large contrôle, les images d'un film propre et moralisateur - frappes chirurgicales et absence de morts, surtout du côté occidental, on connaît le refrain par coeur -, s'imposeront d'une manière ou d'une autre aux yeux du grand public, dont une grande partie avait pourtant rejeté, dès le départ, le projet de scénario. Contraint et forcé de voir ces images puisque la machine commerciale les lui imposera à un moment ou à un autre, rien n'obligera cependant ce même public à les applaudir - comme l'a si bien écrit par ailleurs Michel del Castillo (2). Le cas échéant, les spectateurs devenant acteurs, pourront toujours quitter les salles obscures et clamer leur désaccord.
Patrick Gillard, historien
Bruxelles, le 30 janvier 2003
Note
(1) Irak : Washington lance une campagne psychologique par e-mails, cf. (http://www.confidentiel.firstream.net/breve.php3?id_breve=711) et Saddam Hussein annonce un autodafé des tracts lancés par les Américains sur l'Irak, cf. (http://www.edicom.ch/news/international/030128020450.tu.shtml).
(2) Michel del Castillo, Irak : contre la guerre qui vient, dans Le Monde, 10 septembre 2002.