Entrevue avec Chomsky, 28 décembre 2002 by Serge Sunday January 26, 2003 at 06:52 PM |
sz@netzack.zzn.com |
Une modeste contribution, la traduction de la dernière interview avec Noam Chomsky, 28 décembre 2002. Traduction libre, mais proche de la tonalité particulière de Chomsky. Il m'a semblé bien de pouvoir le lire maintenant ...
Entrevue avec Chomsky
de Noam Chomsky
Schnews
28 Décembre 2002
Mark Thomas: Si nous commencions par la politique étrangère des états unis en Irak et la « guerre à la terreur », que se passe-t-il actuellement ?
Noam Chomsky: Tout d'abord je pense que nous devrions rester très prudent quand nous utilisons la phrase « guerre à la terreur »
Il ne peut y avoir de guerre à la terreur. C'est une impossibilité logique. Les US sont un des leaders mondiaux parmi les états terroristes. Les gars qui sont actuellement aux responsabilités seraient tous condamnés pour terrorisme par la cour mondiale. Ils auraient d'ailleurs du être condamnés par le conseil de sécurité des nations unies si ceux-ci n'avaient pas utilisés leur droit de veto, l'Angleterre s'abstenant bien entendu. Ces gars ne peuvent pas mener une guerre contre la terreur. C'est simplement hors de question. Ils ont déclaré une guerre à la terreur il y a 20 ans et nous savons tous ce qu'ils ont fait. Ils ont détruit l'Amérique centrale. Ils ont tué 1 million et demi de personne dans le sud de l'Afrique. La liste est longue. Alors il n'y a pas de « guerre à la terreur ».
Il y a eu un acte terroriste, le 11 septembre, très inhabituel, un véritable évènement historique, c'est la première fois dans l'histoire que l'ouest a du faire face à ce genre d'attaque devenue routinière dans le reste du monde. Le 11 septembre aura sans aucun doute changé la politique, pas seulement pour les états unis, mais bien au delà. Chaque gouvernement dans le monde a vu l'opportunité qui s'offrait à lui d'intensifier sa propre répression et ses propre atrocités, de la Russie et les Chéchènnes aux gouvernements de l'ouest imposant plus de discipline à leur population.
Les conséquences ont été très importantes – prenez par exemple l'Irak. Avant le 11 septembre, les états unis avait un intérêt de longue date pour l'Irak – en effet elle possède la deuxième plus grande réserve du monde. Alors d'une façon ou d'une autre les états unis allaient faire quelque chose pour s'en emparer, c'est clair. Le 11 septembre a fourni le prétexte. Il y a eu un changement dans la rhétorique sur l'Irak depuis le 11 septembre – Nous avons maintenant une excuse pour exécuter ce que nous avons planifié.
La situation semblait figée jusqu'en septembre de cette année lorsque l'Irak est soudainement devenue … "un danger immédiat pour notre existence". Condo leeza Rice [conseillère à la sécurité nationale des états unis] nous a mis en garde sur le fait que la prochaine preuve d'une arme nucléaire sera un champignon atomique au dessus de New York. Il y a eu une importante campagne médiatique, avec des personnages politiques – nous devons détruire Saddam cette hiver ou nous mourrons tous. Je vous laisse admirer la classe intellectuelle ne voyant pas que les seules personnes au monde à être effrayés par Saddam Hussen sont américains. Tout le monde le déteste et les iraquiens sont sans doute effrayés par lui, mais en dehors de l'Irak et des états unis, personne n'a peur de lui. Ni le Koweït, ni l'Iran, ni Israël, ni l'Europe. Ils le déteste, mais ils n'en n'ont pas peur.
Aux états unis les gens ont très peur, il n'y a pas de doute. L'avantage qui existe dans l'opinion publique pour la guerre est très mince, mais il est basé sur la peur. C'est une vieille histoire aux états unis. Lorsque mes enfants étaient à l'école élémentaire, il y a 40 ans, on leur a expliqué qu'il fallait rester sous les tables dans le cas d'une attaque atomique. Je ne plaisante pas. Le pays a toujours peur de quelque chose. Le crime par exemple. La criminalité aux états unis est en gros comparable à celle des autres sociétés industrielles, plutôt dans la partie haute du spectre. D'un autre coté, la peur du crime est bien au dessus de celle des autres sociétés industrielles.
Cela c'est fait délibérément. Souvenez vous que les gens qui dirigent aujourd'hui sont presque tous des produits des années 80. Ils sont déjà passés par là et connaissent parfaitement les règles du jeu. Pendant les années 80 il y avait périodiquement des campagnes servant à terrifier la population.
Créer la peur n'est pas difficile, mais cette fois le timing choisi était si manifestement trop cadré sur la campagne pour l'élection au congrès que même les commentateurs politiques ont reçu le message. La campagne présidentielle devrait démarrer au milieu de l'année prochaine. Ils ont besoin d'accrocher une victoire à leur ceinture pour pouvoir garder le pouvoir. Dans le cas contraire la population va commencer à faire attention à ce qui lui arrive, une grosse agression, une agression majeure sur la population, comme pendant les années 80. Ils rejouent exactement le même morceau. La première chose qu'ils aient fait dans les années 80, ça a été de conduire le pays vers un énorme déficit. Cette fois ci ils le font en baissant les taxes pour les riches et en assumant la plus grosse augmentation des dépenses fédérales depuis 20 ans.
Cela semble être une administration d'une corruption inhabituelle, un peu comme une administration de Enron, un profit important passe dans les mains d'un groupe in habituellement corrompu de gangsters. On ne peut évidemment pas réellement parler de tous ça en première page, alors il faut chasser tous ça de la première page. Vous devez éviter que les gens y pensent. Il n'y a qu'un chemin pour effrayer les gens, et ils savent le prendre.
Ainsi il y a des facteurs dans la politique intérieur qui sont une question de timing. Le 11 septembre a donné le prétexte a l'assouvissement d'un intérêt qui existait de longue date [en Irak]. Maintenant ils doivent faire la guerre … je présume qu'ils veulent qu'elle soit terminée avant la campagne présidentielle.
La question c'est que lorsque vous êtes en guerre, vous ne savez pas ce qui peut arriver. Il y a des chances que ce soit un jeu d'enfant, ça devrait l'être, il n'y a pas d'armée irakienne, le pays va probablement s'effondrer en deux minutes, mais vous ne pouvez en être sur. Si vous prenez au sérieux les avertissements de la CIA, et ils paraissent sur d'eux, ils disent que si il y a une guerre, l'Irak peu répondre par des actes terroristes.
L'aventurisme américain conduit les pays à développer des armes de destruction massive comme moyen de dissuasion. Ils n'ont pas d'autres moyens de dissuasion. Les forces conventionnelles manifestement ne marchent pas, il n'y a pas d'autres moyens de dissuasion. La seule façon que chacun a de se défendre c'est en utilisant la terreur et les armes de destructions massives. Il est donc plausible de penser que les irakiens le feront [les actes terroristes]. Je suppose que c'est la base de l'analyse faite par la CIA et je suppose que l'espionnage anglais tient un discours identique.
Mais vous ne voudriez pas que ça arrive en plein milieu d'une campagne présidentielle. Que faire de l'effet d'une guerre, c'est simple vous comptez sur les journalistes et les intellectuels pour ne pas en parler. Combien de gens parlent de l'Afghanistan ? L'Afghanistan est retournée là où elle était, conduite par des seigneurs de la guerre et des gangsters et qui écrit sur le sujet ? Pratiquement personne. Si elle retourne là où elle était, tous le monde s'en fout, tous le monde a déjà oublié.
Si les gens en Irak finissent par s'entre massacrer, je pourrai écrire l'article dés maintenant. « Un peuple arriéré, nous avons essayé de les sauver mais ils veulent s'entre tuer parce que ce sont des sales arabes ». Quand ça arrivera, je suppose, j'essaye de deviner, ils [les US] seront déjà engagés dans la prochaine guerre qui sera probablement contre la Syrie ou l'Iran.
Le fait est que la guerre contre l'Iran est déjà en chemin. Il est connu que 12% des forces aériennes israéliennes se trouve dans le sud est de la Turquie. Ils sont là parce qu'ils préparent la guerre contre l'Iran. Ils se fichent de l'Irak. Ils pensent que l'Irak est un jeu d'enfant, par contre l'Iran a toujours été un problème pour Israël. C'est le pays de la région qu'elle ne maîtrise pas, ça fait des années qu'elle demande aux USA de s'en occuper. D'après un rapport, la force aérienne israélienne vole maintenant jusqu'à la frontière iranienne pour espionner, provoquer et ainsi de suite. Et ce n'est pas une petite force aérienne. Elle est plus grande que la force aérienne anglaise, plus grande que n'importe quelle force de l'OTAN exceptée celle des états unis. En conséquence l'opération est probablement déjà entamée. Ils affirment qu'ils oeuvrent pour soulever les séparatistes Azeri, ce qui a un certain sens. C'est ce que les russes ont essayé de faire en 1946, cela aurait du séparer l'Iran, ou ce qui serait rester de l'Iran, du centre de production pétrolifère de la Caspienne. Il devient alors possible de « cloisonner ». Tout cela sera probablement déjà entamé quand cela arrivera, et quand cela arrivera il y aura certainement une histoire expliquant comment l'Iran allait dés le lendemain nous tuer, raison pour laquelle nous devons nous en débarrasser dés aujourd'hui. Ca devrait au moins être le schéma général.
Campaign Against Arms Trade : A quel point voyez vous que l'importante machine de production militaire qu'est l'Amérique réclame la guerre pour faire la publicité de ses équipements ?
Chomsky : Vous ne devez pas oublier que ce qu'on appelle industrie militaire n'est que l'industrie de la haute technologie. Le militaire n'est qu'une couverture pour le secteur de l'état dans l'économie. A la MIT [Institut de Technologie du Massachusetts] où je suis, tout le monde sait cela, à part peut être quelques économistes. Tous les autres le savent parce que c'est les militaires qui payent leurs salaires. L'argent arrive dans des endroits comme la MIT sous des contrats militaires pour produire la prochaine génération de l'économie de haute technologie. Si vous observez ce qu'on appelle la nouvelle économie – ordinateurs, Internet – celle-ci arrive directement d'endroits comme la MIT, sous contrats fédéraux pour la recherche et le développement, sous couverture de production militaire. Puis c'est refilé à IBM lorsque quelque chose devient vendable.
Aux alentours de la MIT on avait l'habitude de voir de petites entreprises d'électronique. Aujourd'hui ce sont de petites entreprises de bio-technologie. La raison est que la prochaine économie de pointe sera centrée sur la biologie. Les fonds gouvernementaux pour la recherche autour de la biologie ont formidablement augmentés. Si vous désirez démarrer une petite entreprise qui vous rapportera un tas d'argent lorsque un jour quelqu'un l'achètera, faites le dans l'ingénierie de la génétique, de la bio technologie et ainsi de suite. Ca va tout à fait dans le sens de l'histoire. C'est généralement un secteur dynamique de l'état qui fait avancer l'économie.
Une des raisons pour lesquelles les états unis veulent contrôler le pétrole est qu'il y a du profit en retour, de multiples façons. Il ne s'agit pas seulement de profit sur le pétrole, mais aussi des ventes d'armes. Les plus gros clients d' armes US et probablement anglaises sont soit l'Arabie Saudites, soit les Emirats Arabes Unis, l'un des plus riches producteur de pétrole. Ils achètent la plus part des armes, cela crée des bénéfices pour l'industrie high tech aux états unis. L'argent revient directement au trésor américain et à celui de la sécurité. Sous différentes formes c'est le principal soutien à l'économie US et anglaise.
Je ne sais pas si vous êtes au fait de toutes les informations, mais en 1958 lorsque l'Irak a rompu la co-propriété anglo-américaine sur la production du pétrole, l'Angleterre devint complètement folle. A cette époque les britanniques étaient très dépendant des profits koweïtiens. Les anglais avaient besoin des pétrodollars pour supporter l'économie britannique et on pouvait craindre que ce qui était arrivé à l'Irak pouvait se répandre au Koweït. A ce stade, les anglais et les états unis décidèrent d'accorder l'indépendance au Koweït, jusque là ce n'était qu'une colonie. Ils dirent vous pouvez avoir votre propre poste, prétendre à un drapeau, ce genre de chose. Les britanniques dirent que si quelque chose se passait mal ils interviendraient impitoyablement pour garantir le maintien du contrôle, et les états unis tombèrent d'accord sur les mêmes points en Arabie Saudite et dans les Emirats.
C.A.A.T.: Il y a aussi l'idée que c'est un moyen pour les américains de contrôler l'Europe et les bords du pacifique.
Chomsky : Absolument. Parmi les gars les plus intelligents, George Kennen démontrait que le contrôle sur les ressources énergétiques du Moyen-Orient donnait aux états unis ce qu'il appelait « le pouvoir de veto » sur les autres pays. Il pensait particulièrement au Japon. Aujourd'hui les Japonais le savent bien, c'est la raison pour laquelle ils ont travaillé sans relâche pour essayer de gagner leur indépendance d'accès au pétrole, c'est une des raisons pour lesquelles ils se sont acharnés, et ont finalement réussi, à établir des relations avec l'Indonésie et l'Iran et les autres, pour sortir du système contrôlé par l'Ouest.
Effectivement une des raisons du plan Marshall [après deuxième guerre mondiale], ce magnifique plan bienveillant consistait à faire passer l'Europe et le Japon du charbon au pétrole. L'Europe et le Japon avaient tous deux des ressources internes en charbon, mais ils les remplacèrent par le pétrole de façon à donner le contrôle aux états unis. 2 des 13 billions de dollars du plan Marshall arriva directement aux compagnies pétrolières pour faciliter la conversion de l'Europe et du Japon à une économie basée sur le pétrole. Question de pouvoir, il est excessivement important de contrôler les ressources, et principalement le pétrole amené à devenir la ressource principale pour les prochaines générations.
Le Conseil National de l'Espionnage [National Intelligence Council], collection de différentes agences d'espionnage, publia une projection en 2000 appelée "Tendance Globale 2015". Ils firent l'intéressante prévision que le terrorisme allait augmenter en conséquence de la globalisation. Ils le disent carrément. Ils disent que ce qu'ils appellent globalisation allait donner accès à une large économie partagée, à l'opposée de ce que la théorie économique prévoit, mais ils restent réalistes et disent que cela va aussi donner lieu à une augmentation du désordre, de la tension et de l'hostilité et de la violence, pour une bonne part dirigés contre les états unis.
Ils prédisent aussi que le pétrole du Golf Persique deviendra excessivement important pour l'énergie mondiale et les systèmes industriels, mais que les états unis ne compteront plus dessus. Mais qu'ils devaient en garder le contrôle. Contrôler les ressources en pétrole est plus une importante question qu'un accès. Parce que contrôle égal pouvoir.
MT : Quelle comparaison pensez vous que le mouvement actuel contre la guerre fait avec le Vietnam ? Que pensez vous que nous puissions faire en tant qu'individus engagés dans l'action directe et la protestation ? Pensez vous qu'il existe une possibilité d'éviter qu'une guerre se déclenche ?
NC : Je pense que c'est très dur parce que les délais sont très courts. Vous pouvez le faire sans s'économiser, c' est important. Même si ça ne s'arrête pas, pour la guerre c'est important de le faire sans compter pour essayer d'arrêter la prochaine.
Comparé au mouvement contre la guerre au Vietnam, le mouvement actuel est incomparablement loin devant. Les gens parlent du mouvement contre la guerre au Vietnam, mais ils ont oubliés ou ne savent pas comment ça c'est réellement passé. La guerre du Vietnam a commencé en 1962, pour le publique, avec une attaque officielle sur le Sud Vietnam – aviation, guerre chimique, camps de concentration, le grand jeu. Aucune protestation … le mouvement de protestation qui s'est construit quatre ou cinq ans plus tard concernait principalement le bombardement du Nord, qui fut terrible mais seulement un spectacle. L'attaque principale concernait le Sud Vietnam et il n'y eut jamais de protestation sérieuse contre ça.
Cette fois ci il y a protestation avant que la guerre n'ait réellement commencé. Je ne vois aucun autre exemple dans toute l'histoire de l'Europe, ainsi que dans celle des états unis, d'une protestation d'un niveau aussi conséquent avant une guerre. Cette fois ci il y a une protestation massive avant même que la guerre ait commencé. C'est un formidable hommage aux changements dans la culture populaire qui a pris place dans les pays de l'Ouest depuis les 30 à 40 dernières années. C'est phénoménal !
SchNEWS : Il semblerait que dés que la protestation sort de là ou elle est confinée, peut être une marche tous les six mois, elle est attaquée. Ceux qui protestèrent récemment à Brighton contre la guerre furent aspergés de poivre et bastonnés juste parce qu'ils étaient assis dans la rue.
Chomsky : Plus il y a de protestation, plus il y aura de répression, c'est la routine. Lorsque le mouvement contre la guerre au Vietnam c'est véritablement construit, la répression c'est aussi construite. J'était moi même tout prêt d'être jugé pour une longue peine de prison qui fut stoppée par l'offensive du Tet. Après l'offensive du Tet, l'opinion publique changea contre la guerre et ils annulèrent les procès. En ce moment beaucoup d'individus peuvent finir à Guantanamo Bay, et les gens s'en rendent compte.
Si il y a protestation dans un pays alors il y aura répression. Peut-on vraiment l'empêcher ? cela dépend beaucoup de la réaction. Aux états unis au début des années 50 il y a eu ce qu'on a appelé le maccartisme et la seule raison pour laquelle ça a réussit c'est qu'il n'y eut aucune résistance. Quand ils essayèrent la même chose pendant les années 60 ce fut immédiatement un échec parce que tous simplement les gens en rirent et ils ne purent le réaliser. Même un régime dictatorial ne peut pas faire ce qu'il veut. Il doit avoir un minimum de support populaire. Dans un pays plus démocratique le système de pouvoir est plus fragile. Il n'y a rien de secret dans tous cela, c'est de l'histoire. La véritable question est quelle sera l'importance de la résistance populaire.
* version éditée. Si vous désirez voir la vidéo entière, contactez Undercurrents 01865 203661, underc@gn.apc.org
un grand merci by geert calis Sunday January 26, 2003 at 11:05 PM |
g.calis@pi.be |
pour avoir traduit et publié cet interview !!!