Le FSM 3 dans le contexte international by ATTAC France Saturday January 25, 2003 at 01:19 AM |
Le 3ième Forum social mondial se réunit à Porto Alegre du 23 au 28 janvier 2003 dans un contexte marqué à la fois par l'agressivité belliqueuse des Etats-Unis, et par la croissance et l'élargissement d'un mouvement de rejet de la mondialisation libérale.
Attac France et le FSM 3 de Porto Alegre dans le contexte international
Déclaration du CA d'Attac France du 11 janvier 2003
Le troisième Forum social mondial (FSM) se réunit à Porto Alegre du 23 au 28 janvier 2003 dans un contexte marqué à la fois par l'agressivité belliqueuse du gouvernement des Etats- Unis, suivi par plusieurs de ses homologues, et par la croissance et l'élargissement d'un mouvement de rejet de la mondialisation libérale qui s'exprime un peu partout par des manifestations et des rassemblements toujours plus massifs, et, dans le cas de l'Amérique latine, par les récentes victoires électorales de la gauche au Brésil et en Equateur. Cette situation rend la tâche des mouvements sociaux et militants, dont ATTAC France, plus ardue que lors des deux premières sessions du FSM : il s'agira à la fois de préparer les initiatives de masse nécessaires face à la guerre et à la poursuite des politiques néolibérales, et discuter des cadres d'alliances indispensables tant pour réussir ces mobilisations que pour élaborer les alternatives à ces politiques.
1.- Première préoccupation : la guerre annoncée
A quelques semaines d'une agression contre l'Irak programmée par les Etats-Unis et une partie de leurs alliés, le développement des mobilisations anti-guerre est très important: près d'un demi-million de manifestants se sont retrouvés à Londres en septembre, plus de 100 000 à Washington en octobre, et près d'un million de à Florence en novembre. Même si les menaces d'invasion de l'Irak sont chaque jour plus fortes, il est encore possible d' en empêcher le déclenchement. La pression des mobilisations et l'hostilité de l'opinion publique dans de très nombreux pays (en particulier en France) ont en effet déjà eu comme premier résultat de contraindre certains gouvernements à prendre quelques distances par rapport à de la logique américaine. Aux Etats-Unis, une majorité se dessine pour refuser une intervention militaire unilatérale contre l'Irak.
Pour Attac France, cette menace n'est pas un sujet extérieur à ses préoccupations et axes d'intervention. Aujourd'hui, le militarisme et la guerre permanente sont devenus des composantes essentielles d'une mondialisation libérale que les Etats-Unis, quitte à en violer allègrement certains dogmes, entendent reconfigurer à leur seul bénéfice : ainsi, le bellicisme de l'équipe Bush renvoie tout à la fois au contrôle des gisements stratégiques d'hydrocarbures, et à la volonté de réaffirmer l'hégémonie de Washington dans la gestion des affaires du monde, notamment par l'élargissement de l'OTAN en Europe et la mise en place d'une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA, ALCA en espagnol et portugais).
Attac France s'inscrira donc dans les coordinations internationales qui, pendant le FSM, prépareront les mobilisations nécessaires. Tout en participant à ces structures unitaires, Attac France continuera à défendre ses positions propres : le refus inconditionnel de la guerre en Irak ne signifie en rien un blanc-seing donné au régime dictatorial de Saddam Hussein qui a massacré les Kurdes et ses opposants ; le soutien aux Palestiniens qui luttent contre l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza va de pair avec l'affirmation du droit des deux peuples à vivre dans des Etats souverains dotés de frontières sûres et reconnues.
2.- Contre l'Empire, la lutte pour des alternatives
L'administration Bush défend les intérêts des firmes et lobbies américains de manière plus directe et brutale que l'équipe précédente. Les mesures protectionnistes sur l'acier, le dumping agricole et, dans le cadre de l'OMC, le refus d'un accord donnant aux pays du Sud la possibilité de produire ou d'acheter une large gamme de médicaments génériques, en sont quelques-uns des exemples les plus récents. Cette volonté de domination sans partage - le terme d'impérialisme est ouvertement utilisé par la nouvelle droite américaine au pouvoir - fragilise encore davantage les institutions internationales qui sont sommées de se soumettre aux diktats américains. Elle multiplie les sources de tensions avec les autres pays dominants et favorise l'expression des désaccords au sein même des tenants du système, comme le montrent les prises de positions de Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale.
S'il ne sera pas plus facile aujourd'hui qu'hier de gagner en positif sur une revendication, il pourrait, en revanche, être plus aisé de bloquer certaines décisions négatives, le rapport de forces militant se combinant avec les contradictions et divergences entre Etats.
La définition d'alternatives avait été le trait marquant de Porto Alegre 2. En janvier prochain, le troisième FSM devrait, lui, donner la priorité à la mise en place de stratégies communes pour les faire aboutir. A cet égard, la présence, dans les Forums sociaux mondiaux ou régionaux, des différentes composantes du mouvement syndical et d'un nombre croissant d'associations et ONG de secteurs très divers confère une responsabilité collective encore plus grande à Attac et à l'ensemble de ces mouvements, Il s'agit notamment pour eux de contribuer à la construction de plateformes et coalitions régionales, de résistance aux politiques libérales de sacrifice des droits sociaux et d'alternatives à leur opposer.
En 2003, un des chantiers internationaux prioritaires sera la lutte contre l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l'OMC. A la fin mars, les gouvernements doivent officiellement déposer leurs offres de libéralisation, dans la perspective de la conférence ministérielle de Cancun (Mexique) en septembre. Les secteurs de la culture, de l'éducation, de la santé, des services sociaux, de l'eau, enttre autres, sont directement promis à la marchandisation par l'AGCS. La position d'Attac et celle des coalitions dont l'association fait partie est : ni demandes ni offres de libéralisation.
3.- Nouvelle donne en Amérique latine
La tenue du FSM au Brésil pour la troisième fois consécutive va permettre de donner davantage de visibilité internationale aux changements intervenus en Amérique latine. La caractéristique dominante est la faillite d'un modèle libéral qui a entraîné la victoire d'une gauche liée aux mouvements sociaux aux élections présidentielles brésilienne (avec Lula) et équatorienne (avec Lucio Gutierrez), après la percée de la gauche radicale en Bolivie (Evo Morales). Dans ce contexte, la possibilité de l'arrivée au pouvoir d'une coalition de gauche en Uruguay n'est nullement à exclure. Au Venezuela, Hugo Chavez, qui incarne la légalité démocratique, a jusqu'ici surmonté les assauts putschistes d'une coalition hétéroclite dont l'organisation patronale Fedecamaras et les grands médias liés aux intérêtes transnationaux sont les fers de lance. Avec, en arrière plan, la volonté américaine de contrôler le pétrole vénézuélien et de casser l'OPEP. En Argentine, longtemps meilleure élève du FMI, l'enfoncement dans une crise qui disloque la société n'a cependant pas encore dégagé de perspective d'alternative progressiste.
Ceux qui n'acceptent pas l' expression de la volonté populaire, que ce soient les marchés financiers (qui, comme l'écrivait The Economist, votent tous les jours et non pas tous les 4 ou 5 ans...), ou les puissances dominantes, en premier lieu les Etats-Unis, vont tout faire pour bloquer des évolutions susceptibles de remettre en cause leurs intérêts. Cependant l'opportunité existe de réels changements sociaux dans les différents pays, en s'attaquant concrètement à la misère, à la faim et aux inégalités. Au niveau continental, le projet de recolonisation impériale que constitue la ZLEA (ALCA) va rencontrer une résistance accrue.
Attac France doit renforcer son appui à l'ensemble des mouvements sociaux du sous-continent, et en premier lieu aux Attac d'Amérique latine, dans un contexte plus général de consolidation de ses liens avec les Attac du monde entier. Ce sera l'objectif de la réunion des Attac de tous les pays prévue à Porto Alegre le 25 janvier dans le cadre du FSM. Le projet de déclaration du "G monde" devant être rendu public à la veille du G 8 y sera discuté.
4.- Nécessité d'une "autre Europe" pour un "autre monde"
L'année 2003 devrait favoriser l'enracinement des mouvements de résistance à la mondialisation libérale, aux niveaux locaux, nationaux et continentaux, et l'expression des rapports de force lors des grands rendez-vous internationaux. . Les forums sociaux continentaux et, pour notre part, le Forum social européen de Paris et Saint-Denis de novembre 2003, seront des moments privilégies de mise en commun de ces expériences et d'élaboration d'alternatives et de revendications communes au niveau continental.
A cet égard, les mouvements sociaux européens ont une responsabilité particulière. Une "autre Europe" pourrait permettre de modifier le rapport de forces mondial et contribuer à la mise en oeuvre de solidarités internationales, alors que l'actuelle construction européenne est totalement incapable d'offrir une alternative progressiste à la politique impériale. Faire émerger une Europe des droits humains, politiques et sociaux contestant radicalement les relations néocoloniales en vigueur avec le Sud et l'Est, c'est du même coup apporter un appui décisif aux résistances montantes.
Il nous faudra veiller à ce que, dans le prochain FSE, une place plus importante soit offerte aux mouvements sociaux d'Afrique, en raison des liens historiques de ce continent avec l'Europe.
5.- La préparation commune des grands rendez-vous de 2003
Les grands rendez-vous internationaux de 2003 sont déterminés par le calendrier institutionnel et l'actualité , mais aussi par l'expression de la solidarité avec ceux qui placés en première ligne contre le néolibéralisme, et en particulier les Latino-Américains.
Dans cette perspective, pour Attac France, la mobilisation contre le G 8 d'Evian ( 1-3 juin) 2003 est une priorité, notamment pour l'exigence de nouveaux rapports Nord - Sud. A cette fin, nous proposerons aux Attac des différents pays de nous exprimer et d'agir en commun. L'annulation de la dette publique des pays du Sud sera une fois de plus au coeur de nos revendications.
Dans l'immédiat, la lutte contre la guerre en Irak s'exprimera lors de manifestations coordonnées au niveau international. Pour l'Europe, ce sera le 15 février. A Porto Alegre, des réunions de coordination devraient permettre d'établir un cadre commun de mobilisations au niveau international.
Les mobilisations contre la conférence ministérielle de l'OMC prévue à Cancun, au Mexique, en septembre 2003 seront l'occasion de manifester notre refus de la marchandisation du monde. Ce rendez-vous sera précédé d'autres rassemblements, en particulier en mars, à Bruxelles, à la veille de l'échéance des remises de propositions de libéralisation des services dans le cadre de l'AGCS.
D'une manière générale, pendant toute l'année 2003, la solidarité avec les peuples et les mouvements sociaux latino-américains, en premier lieu dans leur combat contre la ZLEA, figurera parmi nos principales préoccupations. Le FSM nous donnera l'occasion de nous coordonner avec eux, comme avec les militants d'autres continents, pour trouver les voies les plus efficaces permettant l'expression de cette solidarité.
6.- Mieux faire circuler l'information, mieux se coordonner
La réalisation de ces objectifs demandera une meilleure information mutuelle et une meilleure coordination entre forces militantes. Les Forum sociaux, qu'ils soient mondiaux, continentaux ou nationaux, ne sont pas, en effet, des entités délibérantes. Ce sont des espaces ouverts de dialogue et d'élaboration de propositions, sans autres engagements pour les participants que ceux figurant dans la Charte de principes du FSM, dont il faut cependant rappeler lae caractère clairement anti-libéral. Cette ouverture est la condition de la réussite de rassemblements aussi larges.
Les limitations institutionnelles des Forums laissent aux mouvements sociaux qui le souhaitent tout l'espace nécessaire pour s'organiser. Ils se sont réunis lors des FSM de 2001 et 2002 pour élaborer les "Appels des mouvements sociaux" prenant position sur les grands évènements survenus pendant l'année écoulée et, surtout, fixant un cadre commun pour les principaux rendez-vous internationaux à venir, G-8, assemblée de l'OMC ou du FMI et de la Banque mondiale, etc.
Pour la troisième session du FSM, deux initiatives ont été prises, qui prolongeront et replaceront dans un cadre plus global les décisions d'actions communes prises par les mouvements sociaux dans les séminaires thématiques. ( Ce sera vrai, en particulier, pour les conclusions des séminaires organisés ou co-organisés par Attac France, et qui portent respectivement sur les taxes globales, l'encadrement des marchés financiers, la préservation de la diversité culturelle et linguistique, et la démocratie participative.)
La première initiative émane de la CUT et du MST du Brésil, d' Attac France, de la Marche mondiale des femmes ( dont le secrétariat est au Québec), et de Focus on the Global South ( basé à Bangkok). Ces organisations proposent de formaliser un peu plus le réseau des mouvements sociaux et militants présents au FSM, en vue d' une meilleure efficacité dans l'action, notamment pour favoriser les rencontres et rassemblements chaque fois qu'existe la nécessité d'une coordination internationale (lutte contre la guerre, contre-sommets, etc.).
La seconde émane du comité gaucho (le comité d'apui au FSM de Porto Alegre) qui rassemble une centaine d'organisations dont, entre autres, la CUT et le MST de Rio Grande do Sul et Attac Rio Grande do Sul. Elle est appuyée par les Attac d'Amérique latine, des Attac d'Europe (dont Attac France) et de nombreux autres réseaux et mouvements sociaux mondiaux. Il s'agit de créer un "Réseau social mondial" d'information (RSM) à partir des réseaux existants. Une réunion préparatoire et un séminaire du RSM sont prévus à Porto Alegre.
Attac France est partie prenante de ces deux initiatives complémentaires, voire convergentes, dont le succès dépendra de la volonté d'un nombre significatif de mouvements sociaux du monde entier de s'y impliquer.
7.- Un "trop plein" de rencontres ?
La multiplication des réunions internationales, et en particulier des Forum sociaux, pose un problème aux équipes d'animation des mouvements sociaux et militants : pour 2003, par exemple, Attac France devra s'impliquer très fortement dans trois initiatives internationales majeures : le FSM, le contre-G 8 et le FSE. Un tel rythme rend difficile le travail collectif et la participation efficace de ces équipes à toutes les mobilisations.
La question à se poser est celle des "publics" de ces initiatives. Il est possible que le sentiment de trop-plein n'existe que chez les responsables, les militants qui participent au FSM n'étant pas forcément les mêmes que ceux qui étaient à Florence ou qui iront à Evian. Encore faudrait-il le vérifier avant de proposer à nos partenaires d'éventuelles solutions de rechange, comme le passage à un rythme bisannuel pour le FSM ou les Forum continentaux.