Rencontre avec Kim Minju, journaliste de Corée du sud by Cécile Chams Thursday January 23, 2003 at 04:07 PM |
Kim Minju, jeune journaliste sud-coréenne, écrit dans un magazine progressiste, favorable à la réunification du Nord et du Sud de la péninsule. De passage en Belgique, elle témoigne de la vitalité et de la jeunesse du mouvement contre l'occupation américaine en Corée du Sud. A cause de la loi sur la sécurité nationale, qui interdit toujours les publications favorables au Nord, nous publions cet article sans photo et avons changé le nom de l'interviewée.
On assiste aujourd'hui à un nouveau regain de la lutte contre l'impérialisme américain en Corée du Sud. Quelle en est l'origine?
Kim Minju. Lors de l'élection du président Kim Dae Jung en décembre 1997, beaucoup espéraient des changements radicaux. Mais ils ont compris qu'un homme ne pouvait changer le système et surtout que le problème principal en Corée du Sud, c'est l'occupation américaine. L'impérialisme américain est symbolisé par trois éléments: les crimes commis par les Américains durant la Guerre de Corée (dont la population est informée aujourd'hui), la présence de bases militaires et le Fonds monétaire international.
Au cours de l'été 2000, nous avons connu la lutte contre la base militaire américaine de Maehang-ri. C'est un moment très important. Les habitants de la région souffrent beaucoup du voisinage de cette base, qui sert de champ d'essai pour les bombardements aériens. Plusieurs personnes ont été tuées. Chaque année, des gens sont blessés par des bombes ou des balles perdues. Des maisons sont touchées.
Ces bases sont officiellement implantées depuis 1963 dans notre pays, mais peu de gens s'y intéressaient. Aujourd'hui, c'est le contraire. Par cette lutte, nous avons pu prendre contact avec les habitants de Vieques, une île de Porto Rico qui sert aussi de terrain de tir pour l'US Navy. Nous avons ainsi pu susciter la solidarité internationale.
En juin 2002, un groupe de militants ont pénétré dans une base américaine pour y organiser une manifestation. Parmi eux, deux journalistes ont été arrêtés par les militaires américains et détenus 48 heures dans la base. Leur histoire a fait le tour du pays et a choqué beaucoup de gens. Du fait surtout que ce sont des militaires américains qui les ont arrêtés. Les manifestants ont commencé à exiger la révision de l'accord concernant le statut des troupes américaines.
En juin 2002 également, deux jeunes filles ont été écrasées par un char américain...
Kim Minju. Leur mort a touché le cur des gens. Et c'est surtout l'acquittement, par un tribunal militaire américain, des deux soldats responsables qui a profondément choqué la population. Les gens ont dit, ironiquement: «Si les soldats ne sont pas responsables, c'est peut-être le char? Il faudrait arrêter le char...»
Accident ou non, ce n'était pas le plus important. C'est un homicide, un crime. Les Coréens ont exigé des excuses de la part des Américains. C'est très important. Durant la Coupe du monde, les Coréens étaient fiers de leur pays. Ils avaient le sentiment que la Corée était au centre du monde. Puis soudain, deux jeunes filles coréennes sont tuées et ça n'a aucune importance pour les Américains. Ils ont découvert que leur gouvernement avait fait allégeance aux Etats-Unis.
Une quantité de manifestations ont été organisées suite à la mort des deux jeunes filles...
Kim Minju. La première l'a été via internet. Un jeune a diffusé, le lendemain de leur mort, un article avec un appel pour une marche aux flambeaux. Des centaines d'adolescents se sont alors rassemblés devant la maison communale. Ce sont des jeunes du secondaire qui sont à l'origine de ce mouvement et qui le constituent pour une grande part. Ils ont réagi spontanément: «Ces deux filles sont nos amies, nos surs, nous aurions pu être tués à leur place.»
Les organisations qui militent pour la paix et la réunification ont rejoint ce mouvement par la suite. Un nombre incalculable de manifestations ont été organisées à travers le pays. En décembre, à Séoul, il y a eu chaque soir une marche aux flambeaux. Une grande manif a rassemblé 300.000 personnes. Et le 31 décembre, les gens étaient près d'un million.
Comment se manifeste ce sentiment anti-américain?
Kim Minju. De nombreux adolescents boycottent les produits américains. Le directeur général de MacDonald's Corée a déclaré: «Je suis très fâché sur George W. Bush qui a fait chuter mes bénéfices. Je hais cet homme.» Les jeunes ne sont pas contre la culture ou le peuple américains, mais contre la politique actuelle des Etats-Unis. Les militaires américains n'osent plus guère sortir de leurs bases. Ils se font interpeller, rudoyer par la population. Même dans les clubs et les bars où ils avaient l'habitude de se rendre, on affiche en vitrine: «Américains, vous n'êtes pas les bienvenus».
C'est bien différent des mouvements étudiants des années 90 contre l'occupation américaine, plus politisés...
Kim Minju. Effectivement. Et de grands débats se mènent actuellement dans les universités à propos de ce nouveau mouvement. Certaines organisations de gauche tentent d'assurer la coordination du mouvement et d'y faire passer des mots d'ordre. Mais ils ne sont pas toujours suivis par les groupes de base. D'autres disent que cet anti-américanisme est une mode qui passera. Moi je pense que cela démontre la force du mouvement pour la réunification, contre l'occupation américaine, qui a pu s'étendre parmi les simples gens, les travailleurs. Ce sont ces gens qui ont élu le nouveau président, Roh Moo-hyun. Il représente celui qui veut que la Corée soit respectée, celui qui peut dire non aux Etats-Unis.
Par le passé, les gens manifestaient contre les Etats-Unis et contre le gouvernement sud-coréen. Aujourd'hui, les gens sont contre les Etats-Unis parce qu'ils aiment la Corée. Le sentiment anti-américain est devenu un sentiment positif. Les jeunes ne sont pas très au courant du passé, de l'origine de la division. Leurs aînés par contre étaient bien informés, politisés. Mais le mouvement des étudiants de gauche connaît des problèmes depuis 1996. Il a d'abord subi une vague de répression et de nombreuses arrestations. Les militants ont été traités de communistes, isolés. Ils doivent aujourd'hui renouer avec le militantisme. Unifier le mouvement actuel, c'est un nouveau défi. Les étudiants politisés doivent à nouveau prendre l'initiative, quitter leur position d'observateurs.
Un processus de réunification a été entamé le 15 juin 2000 avec la rencontre entre les dirigeants du Nord et du Sud. Comment la Corée du Nord est-elle perçue aujourd'hui?
Kim Minju. Nous sentons bien aujourd'hui que nous sommes un même peuple. Depuis juin 2000, les Coréens du Nord et du Sud ont régulièrement l'occasion de se rencontrer. Des voyages touristiques sont organisés dans les monts Keumgang au Nord. J'y ai moi-même participé à deux reprises. Des échanges sportifs et culturels ont lieu. Et lors des Jeux asiatiques de Pusan en septembre 2002, tout le monde a pu discuter avec les Coréens du Nord.
Au début, ce fut un réel choc. Les gens du Sud étaient vraiment étonnés. «Ceux du Nord savent aussi sourire et blaguer», constataient-ils. Cela vous donne une idée de la propagande que nous avons subie pendant cinquante ans. Les gens ont découvert que nous partagions beaucoup de points communs, dans notre vie quotidienne, dans notre culture.
Ils ont vu aussi qu'il y avait de très jolies femmes en Corée du Nord, avec des vêtements traditionnels splendides. Une troupe artistique coréenne a littéralement séduit les Sud-Coréens. Un fan-club de cette troupe s'est constitué via internet. Il compte déjà 10.000 membres! C'est une façon concrète de soutenir la réunification du pays.
Comment les gens perçoivent-ils le danger de guerre?
Kim Minju. A vrai dire, ils ne croient pas que les Etats-Unis oseraient attaquer la Corée du Nord, beaucoup trop proche, ce qui reviendrait à détruire la péninsule coréenne. Ils ne craignent pas non plus la Corée du Nord. «Pendant cinquante ans, on nous a bassiné les oreilles avec la menace du Nord et il n'y a pas eu de guerre», disent-ils. Ils pensent que le Nord n'attaquerait certainement pas le Sud. Les plus anciens font le parallèle avec l'année 1994, au cours de laquelle les Etats-Unis ont aussi menacé le Nord de guerre, avant de conclure un accord sur la question nucléaire.
Les Sud-Coréens ne sont pas assez actifs dans le mouvement anti-guerre et je le regrette. Ils ne sont pas très conscients de la menace de guerre contre l'Irak. C'est pour cette raison que je compte m'y rendre bientôt, afin d'informer mes compatriotes.
Une dernière question, pouvons-nous vous prendre en photo?
Kim Minju. J'aimerais mieux pas. Malgré les changements dans mon pays, c'est toujours délicat d'afficher des positions favorables à la réunification indépendante de la Corée. Mes collègues et moi-même sommes perçus comme des partisans du Nord, parce que notre revue a publié des articles de journalistes nord-coréens. Ce qui nous a valu la censure. La «loi sur la sécurité nationale» est toujours en vigueur. Elle interdit tout contact avec le Nord, toute publication favorable au Nord. C'est pourquoi nous luttons pour l'abolition de cette loi.