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OMC et AGCS: Campagne contre la marchandisation du bien commun: vademecum
by A. Zacharie (posted by cc) Tuesday January 21, 2003 at 02:29 PM

Qu'est-ce que l'OMC ? Qu'est-ce que l'AGCS ? Qu'est-ce que les services ? Quels sont les objectifs de l'AGCS ? ... Pour en savoir plus, lisez ce vade-mecum...

Vade Mecum


Qu'est-ce que l'OMC ?

L'Organisation mondiale du commerce (OMC) est née le 1er janvier 1995 en remplacement de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). La grande innovation est que l'OMC possède le statut d'Organisation internationale, contrairement à l'accord du GATT qui n'était qu'un forum de négociations. Son rôle est d'assurer qu'aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, c'est-à-dire qu'aucun Etat signataire du texte final de Marrakech (signé en avril 1994) ne place de barrières à l'ouverture de ses marchés (elle est ainsi munie d'un Organe des règlements des différends jugeant les éventuelles violations des traités). Les Accords de Marrakech, qui ont institué l'OMC, ont crée quatre accords multilatéraux : l'accord sur les marchandises, les services, les droits de propriété intellectuelle et un accord instituant l'OMC.

Qu'est-ce que l'AGCS ?

L'AGCS est l'Accords général sur le commerce des services, c'est-à-dire le volet des accords multilatéraux portant sur la libéralisation du commerce des services.

Qu'est-ce que les services ?

Il est de plus en plus difficile de différencier les services des marchandises, car tout produit s'accompagne en réalité de services : les produits, pour être « consommés » sur le marché, doivent en effet être transportés, distribués, vendus, réparés, garantis, etc. Les services recouvrent donc une part considérable des activités socioéconomiques contemporaines que l'OMC regroupe en douze grandes catégories : services professionnels (justice, comptabilité, audit, architecture, engineering, urbanisme et aménagement du territoire, services médicaux et dentaires, services vétérinaires, services rendus par les sages-femmes, infirmières, kinésithérapeutes, services paramédicaux, etc.) et services aux entreprises (recherche et développement, immobilier, location et leasing, publicité, sondage, conseils, intérim, maintenance, nettoyage, photo, imprimerie, packaging, etc.) ; télécommunications et communications ; construction et engineering ; distribution (du petit commerce à la grande distribution) ; éducation ; environnement (eau, déchets, bruit, air, etc.) ; finance (banques, assurances, autres services financiers) ; santé et secteur social ; tourisme et voyage ; culture, divertissement et sport ; transports (par route, air, rail ; sur l'eau ; par pipeline ; etc.) ; autres services (énergie, poste, recherche et développement, etc.).

Les objectifs de l'AGCS ?

Selon l'OMC, la prospérité des Etats est freinée par une infrastructure de services inefficace et coûteuse. La solution avancée par l'OMC est la concurrence, jugée source d'efficacité, de qualité des services, de choix plus larges pour le consommateur, de prix plus bas, d'emplois plus nombreux et de transferts de technologie.
En clair, la marchandisation des services qui, pour une part (les services publics), échappent aux intérêts privés, est un objectif majeur du traité.


La logique des négociations ?

Les négociations se déroulent en trois temps : chaque Etat membre a dû avant le 30 juin 2002 communiquer à l'OMC et aux pays concernés ses demandes concernant les secteurs de services qu'il souhaite voir libéraliser sur le territoire des autres membres. Ensuite, chaque pays membre a jusqu'au 31 mars 2003 pour faire connaître à l'OMC et aux autres Etats membres les services qu'il offre à libéraliser. Enfin, une troisième phase verra tous les accords « multilatéralisés » par application de la clause de la nation la plus favorisée[1].

Les arguments de l'OMC ?

Face aux inquiétudes et aux critiques, l'OMC avance trois types d'arguments majeurs :

Les services rendus dans le cadre de l'exercice de l'autorité gouvernementale sont exclus du champ de l'AGCS ;

Le traité offre aux gouvernements la possibilité d'exclure des secteurs ou sous-secteurs des négociations et le rythme de la libéralisation est à la discrétion des gouvernements ;

Les engagements sont réversibles moyennant certaines conditions.

Que dit réellement le traité ?

Selon l'article 1 du traité, l'AGCS ne s'applique en effet pas aux « services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental », mais, et le détail est important, l'article 1c englobe « tout service qui n'est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services. » Etant donné que des écoles ou des hôpitaux privés concurrencent les services publics dans quasiment tous les pays, il n'y a en réalité que la police, l'armée et la justice qui n'entrent pas dans cette définition. Notons que les traités européens emploient la même logique.
Le traité s'applique à toutes les mesures qui affectent le commerce des services, que ces mesures soient prises par les autorités gouvernementales centrales, régionales ou locales ou non-gouvernementales dans l'exercice de délégations. S'il est exact que le traité offre des flexibilités aux Etats pour limiter leur engagement, la logique du traité est justement d'éliminer ces limitations : pour la première fois, et à la différence des traités qui concernent les marchandises, l'AGCS stipule explicitement dans sa partie IV que les membres chercheront dans les rounds successifs un degré toujours plus élevé de libéralisation. Lorsqu'un Etat prend un engagement, il ne peut revenir sur celui-ci qu'au bout de trois ans, en négociant avec les Etats concernés les « dommages » qu'il leur cause. Dans des cas tout à fait exceptionnels, les Etats peuvent invoquer un intérêt public majeur ou un problème crucial de balance des paiements, mais ces conditions de retrait sont si excessives que les Etats négocieraient actuellement des mesures de sauvegarde d'urgence.

La position des Etats-Unis et de l'Union européenne ?

L'OMC indique, à juste titre, que ce sont les gouvernements qui décident de leurs engagements. L'OMC est en effet une institution inter-gouvernementale, fruit du consensus de ses Etats membres.
La position des Etats-Unis et de l'Union européenne est importante, non seulement parce que ce sont les deux plus grandes puissances économiques, mais aussi parce que leur marge de manœuvre est très large, grâce au mandat offert par les Etats membres de l'UE au commissaire Pascal Lamy pour négocier en leur nom et à la possibilité offerte à l'administration Bush pour négocier des accords commerciaux sans passer par le Congrès US (« fast track »). L'objectif pour ces puissances est de faire passer un maximum de points lors les négociations bilatérales, les pays en développement étant plus « forts » lorsque les négociations sont multilatérales.
Selon Pascal Lamy, commissaire européen au commerce, « Si nous voulons améliorer notre propre accès aux marchés étrangers, alors nous ne pouvons mettre à l'abri nos secteurs protégés. Il nous faut être prêts à les négocier tous, si nous voulons avoir matière à un accord global. »
Quant aux Etats-Unis, ils affirment que « Notre défi est d'accomplir une suppression significative des restrictions à travers tous les secteurs de services, abordant les dispositions nationales déjà soumises aux règles de l'AGCS et ensuite les dispositions qui ne sont pas actuellement soumises aux règles de l'AGCS et couvrant toutes les possibilités de fournir des services. »


Quel avenir pour les subventions publiques ?

Selon l'AGCS, les subventions sont reconnues comme des obstacles éventuels au commerce des services et les Etats qui prennent des engagements dans un secteur de service doivent signaler toute subvention accordée dans ce secteur comme limitation au principe du traitement national[2]. L'ouverture de négociations sur les subventions visent donc à développer les disciplines multilatérales nécessaires pour éviter la concurrence sur le commerce des services.

Quel avenir pour les régulations publiques ?

L'OMC rappelle que l'objectif de l'AGCS est de libéraliser (c'est-à-dire d'ouvrir aux acteurs privés de nouveaux secteurs de service) et non pas de déréguler. Les acteurs privés se plieraient donc, selon l'OMC, aux obligations du secteur public s'ils veulent les concurrencer.
Mais l'OMC ajoute que la seule circonstance où des régulations nationales peuvent être mises en cause est le règlement des différends entre Etats. En clair, un Etat peut porter plainte devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC, le tribunal du commerce international, lorsqu'il estime qu'une régulation nationale est une entrave au commerce. C'est donc l'Organe de règlement des différends qui, en cas de différend, décidera si les régulations sont nécessaires ou pas. En cas de condamnation dans le règlement d'un différend, un Etat « régulateur » devra éliminer ses régulations.
Le risque est donc réel de voir la « déterritorialisation », qui est au cœur de la stratégie, conduire à l'affaiblissement des pouvoirs régaliens de l'Etat, mais plus encore à la complète disqualification du politique.

Les mouvements de capitaux et les salaires sont-ils concernés ?

A la différence des traités concernant les marchandises, l'AGCS s'applique aux mouvements des capitaux et des personnes, par les modes 3 et 4 de fourniture de services.
L'AGCS pèse donc sur les régulations nationales pour assurer de « bonnes conditions » aux capitaux investis dans l'entreprise qui opère à l'étranger, c'est-à-dire leur donner totale liberté de mouvement. La logique de l'AMI (l'Accord multilatéral sur l'investissement) est donc toujours d'actualité.
Mais il pèse aussi sur les salaires en voulant libéraliser l'importation de personnels étrangers meilleur marché par les fournisseurs de services transnationaux. En clair, le mode 4 est susceptible d'institutionnaliser la « fuite des cerveaux » des pays en développement, en offrant toute liberté aux firmes d'importer des travailleurs compétents du Sud pour des salaires moindres, ce qui risque de faire pression à la baisse sur les salaires dans les pays riches. Ce personnel importé n'aurait de permis de séjour que pour la durée de son contrat de travail et ne serait donc pas très enclins à se syndiquer, ce qui risque de mettre en difficulté les organisations syndicales.

La campagne européenne ?

ATTAC a lancé une campagne européenne en compagnie d'ONG et de syndicats. En vrac, des actions ont déjà été menées en Grande Bretagne (lettres aux parlementaires, dialogue avec eux, campagne de cartes postales, accords avec des syndicats, manifestation de plus de 12 000 personnes), en Allemagne (grand rassemblement le 14 septembre à Cologne, grève des étudiants), aux Pays-Bas (cartes postales), en Autriche, en France (campagne pour la défense des services publics avec les syndicats), en Espagne (coordination avec les ONG et les syndicats dans les trois villes principales), en Belgique (campagne décentralisée dans une douzaine de villes en mai 2002 et Forum social de Belgique en septembre 2002). Une déclaration des syndicats a en outre été lancée à l'échelle mondiale.

Les objectifs de la campagne ?

Exclure les services d'intérêt général des négociations (c'est-à-dire faire supprimer de l'accord cadre l'article 1c sur la concurrence et la base commerciale d'un service), réaliser une évaluation de l'impact de la libéralisation sur les droits fondamentaux et faire en sorte que l'accès aux biens fondamentaux soit garanti pour tous.

Le suivi politique de la campagne AGCS

Les échos des négociations de l'Union européenne ?

Les négociations étant secrètes (les demandes ne transitent même pas par le secrétariat de l'OMC, sauf exceptions, ce qui limite encore la transparence), il est difficile de connaître leur évolution. Mais quelques « fuites » permettent un premier bilan, très incomplet, sur les négociations de l'Union européenne.
Les demandes de libéralisation faites aux pays en développement se « limiteraient » à trois à cinq secteurs : télécommunications, finance, transport, environnement et tourisme. L'Union européenne répète qu'il n'est pas question de toucher au secteur des soins de santé, ni à celui de l'enseignement, mais il y aurait bien une demande vis-à-vis des Etats-Unis (enseignement financé sur fonds privés). Elle répète également qu'il n'est pas question pour elle de toucher à l'alimentation en eau, mais la distribution d'eau et même l'accès à l'eau figureraient bien dans certaines demandes.
Les principaux demandeurs sont les industriels et les financiers représentés par un lobby comme l'European Services Forum (ESF). Il y a bien une commission commerce au Parlement européen, mais elle ne regroupe que 8 ou 9 députés, même pas un par pays. Le Comité 133[3] se réunit une fois par semaine. Grande victoire : l'ordre du jour de ses réunions est enfin rendu public. Il est également à noter que théoriquement, 10 % du budget de la DG commerce de la Commission européenne sont consacrés à l'évaluation de la compatibilité de la libéralisation avec le développement durable.

L'évolution politique en Belgique ?

Le 10 juillet 2002 a eu lieu un débat sur l'AGCS en Commission des relations extérieures du Sénat et de la Chambre. Il en ressort plusieurs confirmations : la liste des demandes de libéralisation déposée par la Commission européenne n'est pas publique ; le débat continue en négociations multilatérales sur la définition du service public, les subsides et la transparence des marchés publics ; un tableau technique des offres de libéralisation par la Belgique a déjà été dressé par les fonctionnaires et le politique va de voir se prononcer dessus ; les parlementaires devraient recevoir les milliers de pages du dossier pour se prononcer à la rentrée.

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[1] La clause de la nation la plus favorisée stipule qu'un pays ne peut discriminer un fournisseur étranger au profit d'un autre pour un même produit ou service. En clair, dès qu'un accord entre deux pays accorde totale liberté au commerce d'un service, cette liberté doit s'étendre automatiquement à tous les pays-membres de l'OMC exportant le même service.

[2] Le principe du traitement national stipule qu'un pays-membre de l'OMC doit offrir aux produits et aux services des fournisseurs étrangers les mêmes faveurs qu'il offre aux produits de ses fournisseurs nationaux, afin d'éviter toute concurrence déloyale sur le marché intérieur entre les producteurs locaux et étrangers.

[3] Le Comité 133 a pour objectif de préparer les décisions européennes liées au commerce et se compose de hauts fonctionnaires, ainsi qu'une représentation de chaque Etat membre et de la Commission. Son nom provient de l'article 133 du traité d'Amsterdam qui régit les négociations commerciales.


Source: www.attac.be