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Parlons-en
by R.B Wednesday January 15, 2003 at 08:18 PM

Quelques infos que les medias ne vous donnent jamais

De Barbara Gorczyca, psychiatre -psychanalyste, le 8 janvier 2003 au journal Le Monde


A la rédaction du Monde,

Vous qui consacrez des pages entières et même un éditorial pour fustiger la décision digne du Conseil d'administration de Paris VI de suspendre le renouvellement de l'accord d'association Union Européenne / Israël, en matière de recherche, aurez -vous autant de trémolos dans la voix pour fustiger la décision israélienne d'aujourd'hui de fermer les 3 universités palestiniennes ?
Vous qui nous faites le coup des universités israéliennes, "oasis de paix et de dialogue", ferez -vous savoir à vos lecteurs les conditions faites jusqu'à aujourd'hui - puisque demain Sharon la ferme - à l'université palestinienne ? C'est un professeur de Haïfa - de ceux qui nous demandent de faire pression de l'extérieur sur l'opinion publique israélienne, sur l'opinion universitaire israélienne (j'ai nommé Ilian Pappé) - qui nous a hier appris ce qui se passe pour les étudiants en Palestine occupée : "A l'université de Bir Zeit en Cisjordanie, le personnel et les étudiants sont contraints de parcourir à pied un long chemin sous la pluie et le vent hivernal. Mais avant de pouvoir emprunter la route qui mène au campus, ils sont à la merci des soldats qui ont la facétieuse habitude de sélectionner certains d'entre eux au hasard et de leur demander ce qu'ils "préfèrent" : un coup de pied dans les jambes, ou bien une gifle ou encore la confiscation de leur carte d'identité. Et cela dure souvent des heures ..... Voilà un très bref aperçu du traitement subi aujourd'hui par les universités palestiniennes".
C'est un professeur israélien qui témoigne, un de ceux dont vous ne retransmettez jamais le témoignage, ni les propos et vous venez nous parler des "oasis de paix et de dialogues" que seraient les universités israéliennes.
Alors vos larmes de crocodiles sur "l'université israélienne " d'où n'est sortie aucune motion institutionnelle d'universitaires israéliens pour dénoncer les conditions faites à leurs collègues-professeurs palestiniens, aucune condamnation des assassinats et arrestations d'étudiants palestiniens, -"dans votre vocabulaire, bien sûr ! "les représailles"- aucun regret devant la destruction des moyens matériels d'études des palestiniens, alors - disais-je - vos larmes de crocodiles à propos d'une suspension d'accords signés avec les universités israéliennes, accords conditionnés par un article de droit qui exigeait "le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques en matière de politique interne et internationale", ces larmes ne sont qu'abjection et hypocrisie ..
Où voyez-vous cette clause respectée par Israël ?
Pour nous, il est vrai que nous préférons suivre ces quelques professeurs israéliens isolés, qui en leur nom nous demandent d'agir et approuvent cette suspension des accords. Ces professeurs-là ne croient pas que -je cite-là Israël Shamir- "le racisme n'est condamnable que lorsqu'il touche les Juifs".. ils ne croient pas que "les escadrons de la mort israéliens qui tuent les Palestiniens valent mieux que les Sonderkommandos qui tuaient les Juifs", ils ne croient pas que "les droits de l'homme s'arrêtent au droit des Juifs".. ils ne croient pas que "la vue d'un enfant levant les bras face à une brute arborant un fusil-mitrailleur n'est triste que dans la mesure où l'enfant est Juif"...
Il est vrai que votre journal qui continue à nommer l'armée israélienne du doux nom de "Tsahal", qui continue à parler de "représailles" israéliennes chaque fois qu'Israël tue, boucle, massacre, détruit (pour vous ce n'est jamais un attentat qui est "représailles" - même quand, comme en décembre 2002, 90 Palestiniens ont été tués -femmes, dont l'une de 95 ans, -dangereuse terroriste, peut-être?- , enfants, hommes âgés ), votre journal qui qualifie d'"unités d'élite" les escadrons de la mort israéliens, ce journal est-il encore à même de concevoir que les Palestiniens existent et que, face à l'obscène tolérance de nos médias devant l'anéantissement programmé d'un peuple, il est digne, il est honorable que nos savants, nos chercheurs, nos universitaires disent "Non" à la complicité du silence et dénoncent un régime qui fomente ces crimes.
En 1987, Yeshayahou Leibowitz, celui qui a dirigé la composition de la "Grande Encyclopédie Hébraïque" en Israël, enseignée à l'université, celui qui disait "Nous ne naissons ni dans le judaïsme, ni dans le christianisme ni dans l'islam, nous naissons dans l'humanité", cet homme-là prophétisait- prophétie qui lui était une vision de cauchemar- dejà l'occupation israélienne des territoires palestiniens : "Si nous continuons dans cette voie , ce sera la destruction de l'Etat d'Israël dans un délai, non de quelques générations, mais de quelques années. Intérieurement, ce sera le régime de Kahana-Sharon-Raphael Eytan-Druckman avec des camps de concentration pour des gens comme moi. A l'extérieur, Israël s'embourbera dans une guerre à outrance contre l'ensemble du monde arabe, du Koweït au Maroc". Aujourd'hui ce cauchemar -Sharon au pouvoir, et la société israélienne s'enfonçant à droite dans ce que Leibowitz appelait le "Judéo-Nazisme" est réalisé (Leibowitz 1987 : "Nous nous comportons déjà dans les territoires occupés de la rive-ouest du Jourdain, dans la bande de Gaza, et au Liban, comme se sont comportés les Nazis dans les territoires occupés de Tchécoslovaquie et de l'Ouest. Nous n'avons pas établi de camp d'extermination comme ils l'ont fait à l'Est. Voilà où nous en sommes, avec cette seule différence qui nous distingue des Nazis") et quand des voix s'élèvent pour dire "stop" on prétend dans vos colonnes que ce sont elles qui perturbent la paix des campus.
Et Leibowitz est mort il y a deux ans je crois, il n'a pas vu les exactions et les crimes actuels de Sharon mais vous qui les connaissez trouvez encore à défendre le soldat de "Tsahal", les universités israéliennes "oasis de paix et de tolérance", le "régime démocratique israélien" qui a légalisé la torture des Palestiniens et l'enfermement administratif arbitraire . Et vous qui savez ce qui se passe n'hésitez jamais à donner la parole à ceux qui qualifient d'antisémites les gens qui disent NON.
Il y avait en 1938 en Amérique une journaliste qui s'appelait Dorothy Thompson, qui a combattu pour la "mobilisation morale des USA contre le nazisme", qui a dénoncé comme "traître aux USA quiconque se permettait une plaisanterie antisémite", qui a épousé la cause sioniste jusqu'à ce qu'elle visite Israël et constate le virage du sionisme "à la réaction, l'agressivité, le chauvinisme". Dès lors, une campagne de presse semblable à celle que développent nos soit-disant "anti-antisémites" d'aujourd'hui fut organisée contre elle, la dénonçant bien sûr ! comme antisémite . Et devant "cette tentative d'assassinat de sa personnalité, de sa carrière, de son combat passé et actuel", toujours soucieuse de de son combat contre l'antisémitisme elle eut cette phrase admirable : "Vraiment, je pense qu'il faut attirer l'attention sur le risque extrême pour la communauté juive de qualifier des personnes comme moi d'antisémites. Vu mon passé, il est au dessous de la dignité de qui que ce soit de devoir dénier de telles accusations en public et ainsi ces accusations ne font rien d'autre que rendre l'antisémitisme respectable, car, à juste titre ou à tort, un grand nombre de personnes dans ce pays ont un grand respect pour moi, et si l'on publie que je suis anti-sémite, l'antisémitisme en devient un peu plus respectable". Les professeurs de Jussieu pourraient adresser les mêmes remarques à leurs détracteurs.
Voilà notre défense de la décision de Paris VI, voilà nos indignations contre le vocabulaire en cours dans Le Monde comme dans d'autres médias. Bien évidemment j'autorise l'utilisation de ces propos par qui le voudra.


Barbara Gorczyca
Psychiatre -psychanalyste