Affaire Abou Jahjah: la confusion des pouvoirs by Hugues Le Paige (posted by mediadoc) Monday December 23, 2002 at 03:19 PM |
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"Une chose est sûre: Abou Jahjah est en train de fédérer les jeunes d'origine immigrés des quartiers populaires d'Anvers": c'est la conclusion d'un reportage du quotidien français 'Libération' dans son édition de lundi dernier. Pour le moins, elle demande vérification mais elle n'a rien d'improbable.
En tous cas, tout aura été fait du côté des autorités publiques pour qu'il en soit ainsi. Depuis le début de cette affaire, ministres, députés et sénateurs de la majorité comme de l'opposition multiplient paroles et actes pour faire d'Abou Jahjah la victime d'une répression politique et d'une discrimination judiciaire.
Qui plus est, il apparaît de plus en plus nettement que ces initiatives ont quelques liens de parenté avec des atteintes à l'état de droit.
Il y a d'abord eu l'injonction du politique au judiciaire pour faire mettre Abou Jahjah en prison. Dangereuse confusion des pouvoirs. D'autant que le procureur du roi d'Anvers devait bien admettre par la suite - je cite - que "l'objectif principal de l'arrestation du leader de la Ligue arabe européenne, était la prévention de nouvelle violence". On n'évoque même plus le dossier proprement dit. Le précédent est démocratiquement suspect. Et l'aveu du magistrat confirmera les préventions des jeunes à l'égard des pouvoirs.
D'autant que de son côté le Premier Ministre avait parlé à la Chambre "d'activités criminelles" de la Ligue et que le ministre de l'Intérieur était prêt, selon ses propres dires "à compléter" la loi si elle était insuffisante toujours pour réagir à la Ligue et à ses patrouilles. Et voilà que des parlementaires remettent cela en voulant adapter la loi sur les milices privées pour mettre - je cite encore - "hors la loi la surveillance des missions de police par des particuliers". Les autorités nagent dans la confusion, sinon la démagogie, voire la provocation.
En tant que telle, la surveillance des activités policières n'est pas illégale, elle peut même être salutaire au vu et au su de certaines pratiques. Autre problème est bien sûr l'aspect ethnique des dites patrouilles. Les intentions gouvernementales comme les initiatives parlementaires s'apparentent à une volonté de faire adopter des lois de circonstances, on n'oserait penser à des "lois spéciales".
Voilà, en tous cas, la meilleure manière de confirmer aux yeux des jeunes d'origine immigrée qu'ils ne sont pas des citoyens comme les autres. Après cela toutes les tables rondes, les journées du "bien vivre ensemble" et autres déclarations de bonne volonté plus ou moins lénifiantes risquent de rencontrer quelques problèmes de crédibilité. Car entre le discours et les actes, la première patrouille venue d'observateurs politiques fera vite la différence.
Hugues Le Paige, Matin Première, 19/12/02