Un discours de Abou Mazen by Dave Thursday December 19, 2002 at 09:02 PM |
Un discours capital de Abou Mazen
Dernièrement, Mahmoud Abbas (dit Abou Mazen), Secrétaire du comité exécutif de l'OLP, considéré comme le numéro 2 de l'Autorité palestinienne, a parlé aux chefs des « Conseils populaires » des camps de réfugiés de la bande de Gaza. Il critique violemment dans son discours la militarisation de l'Intifada et s'étend sur la question des réfugiés palestiniens. Son discours a été publié le 26 novembre 2002 dans Al-Hayat, quotidien en arabe édité à Londres. En voici quelques extraits.
L'échec de l'Intifada
« Le but des accords d'Oslo était de conclure le processus de paix… Avec 'Gaza et Jéricho d'abord', puis avec les villes de la rive Ouest, jusqu'à ce que 42% du territoire de la rive Ouest… soit sous contrôle palestinien. Nous étions entrés dans la phase de construction, obtenant des capitaux et des investisseurs. Le monde avait entrepris de nous aider à bâtir notre patrie et à réaliser nos buts…, celui d'un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem pour capitale, [celui] de la fin de l'occupation et des colonies, de la résolution du problème des réfugiés palestiniens conformément à la Résolution 194.
Mais ce qui est arrivé ces deux dernières années… se résume à la destruction totale de tout ce que nous avons accompli [sous Oslo] et avant. Nous vivons en dessous de seuil de la pauvreté à Gaza et dans la rive Ouest ; notre peuple se sent perdu, souffre de famine et d'autres maux. Cette situation est due au fait que plusieurs personnes ont répondu aux provocations israéliennes, faisant dévier l'Intifada. Ces individus se sont mis, comme jamais avant, à utiliser les armes et les moyens se trouvant à leur disposition, des mortiers, des grenades, d'autres moyens encore, à tirer à partir des habitations et dans les quartiers… Ces activités s'apparentent à une bataille militaire, non à un soulèvement populaire exprimant la colère du peuple, et contre lequel nul ne peut rien. Comme vous pouvez le constater, chaque jour, toutes les villes de la rive Ouest sont soumises à des tentatives de destruction dues à l'exploitation par les Israéliens d'opérations qui à mon avis ne sont ni nécessaires, ni efficaces.
… Nous aurions du saisir l'occasion du 11 septembre, quand Abou Ammar [Arafat] a déclaré : 'Je suis contre le terrorisme'. Les Etats-Unis ont alors dit : 'C'est l'homme qu'il nous faut', et l'ont applaudi. Un moment plus tard, Sharon est apparu pour dire : 'Comment pouvez-vous applaudir Arafat ? Vous vendez Israël !' , et ils lui ont répondu : 'Tais-toi !'
Mais le pire des scénarios a ensuite eu lieu, la situation se détériorant et les erreurs s'additionnant, encourageant Sharon à poursuivre ses agressions… »
Toutes les factions palestiniennes devraient accepter la « hunda » [trêve]
« Maintenant, c'est nous qui subissons toutes les pressions : on nous accuse de ne rien faire et d'être à l'origine de toutes les opérations. Cela parce que nous avons tenu nos langues face à la terreur, ce qui nous ramène au contrôle insuffisant que nous avons de la situation. Malheureusement, nous ne sommes pas tous du même avis à Gaza. Entamons donc le dialogue pour essayer de nous entendre, d'abord avec le Fatah, puis avec les autres organisations [de l'OLP] – Le FPLP et le Front Démocratique – ainsi que le Hamas et le Djihad [islamique], afin de pouvoir définir notre objectif. Grâce au dialogue, nous trouverons une formule qui nous convient, une formule d'hunda [trêve] qui nous permettra de défendre notre Etat…
Nous ne pouvons pas réaliser ce but par la force. C'est le devoir du nouveau gouvernement de choisir la voie, de l'annoncer au peuple et de persuader ce dernier du bien fondé de son choix. Il restera ça et là des opposants au consensus palestinien. Nous essayerons de les pousser à placer les intérêts palestiniens supérieurs au-dessus de leurs intérêts personnels, par la force s'il le faut. »
Notre méthode a échoué
« Certains ont d'abord déclaré que l'Intifada provoquerait l'effondrement du gouvernement Sharon, vu qu'il a été élu sur son engagement à assurer la sécurité [israélienne]. Mais Sharon n'est pas tombé car l'Intifada a quitté les rails. Je pense que Sharon est aujourd'hui le plus grand leader que le mouvement sioniste ait connu depuis Herzl – qui lui-même ne bénéficiait pas des 80% de soutien de Sharon…
Ils ont dit : 'Nous voulons libérer Jérusalem et les territoires occupés', et tout ce qu'ils ont obtenu, c'est que les territoires libérés à la suite des négociations soient réoccupés par la force. Il ne nous reste plus que la bande de Gaza, et nous espérons la sauver avant qu'il ne soit trop tard… »
Cessez l'action militaire
« Que faut-il faire maintenant ? Déclarer avec force et détermination : 'En voilà assez ! Ca suffit !' Parce que si nous arrêtons maintenant, nous pourrons continuer de transmettre au monde que nous sommes massacrés et détruits, que ce crime doit prendre fin, que nous voulons la paix – et alors tous ceux qui croient à la véritable paix se tiendront de notre côté. Je tiens à signaler que c'est la première fois que le monde parle d'Etat palestinien. C'est quelque chose qui n'a jamais été mentionné auparavant… Nous sommes sûrs que Sharon s'effondrera après trois ou quatre mois de négociations, car il n'aura rien à offrir, vu qu'il s'oppose au démantèlement de toutes les colonies et refuse d'accorder plus de 50% ou 60% de la rive Ouest aux Palestiniens. C'est pourquoi aucun pays ne l'écoutera et tous lui diront : 'Tu n'es pas dans le coup'. Et alors il subira le même destin que Netanyahou : la défaite et le départ de la Knesset…
Les investissements en provenance de l'étranger sont retournés d'où ils venaient, aux quatre coins du monde. Avec les fonds qui nous étaient accordés, nous avons pu construire quelques chose : nous avions des rues, des hôtels, des immeubles, des écoles et des universités. Mais une grande partie des fonds est repartie, et la question qui se pose est : 'Pourquoi ?' C'est une tragédie. Nous devons nous demander pourquoi.
Certaines organisations palestiniennes ne veulent pas véritablement de l'Autorité palestinienne. Elles veulent la détruire pour prendre sa place… Pourquoi le Fatah a-t-il participé à cela ? Avons-nous bâti notre patrie pour nous mettre en guerre [les uns contre les autres] ?…
Au symposium de Ramallah, on a dit que notre peuple faisait preuve de patience et de détermination. J'ai répliqué que notre peuple en avait assez. Le peuple veut manger, sentir que sa vie et ses biens sont en sécurité…. La manifestation des marmites et des casseroles à Gaza – pourquoi le peuple est-il sorti ainsi équipé ? De toute évidence pour nous dire : 'Nous voulons manger'…
Nous n'avons toujours pas de ministère ou d'institut avec un budget clairement défini... Je m'y connais un peu en gestion financière : chaque sou qui entre devrait être incorporé au budget général et aucun sou ne devrait sortir sans autorisation. Quand nous aurons obtenu cela, nous aurons franchi avec succès la première étape [vers la réforme]. Parallèlement, on doit mettre fin aux ordres de paiement venant de tous côtés. Je sais que certains de nos ambassadeurs n'ont pas été payés.
Nous ne demandons pas de cesser l'Intifada : nous demandons de la canaliser et d'en ôter l'aspect négatif, notamment le phénomène de militarisation. Nous pouvons organiser des manifestations et des marches. Mais je n'aime pas le mot 'tuerie'. Verser le sang de qui ? Le sang de nos enfants, de vos enfants ? C'est ce que j'ai dit au symposium des Tanzim à Ramallah, auquel ont participé des commandants et des dirigeants du Fatah. Ils se sont fâchés contre moi, m'ont critiqué en me disant : 'Il y a des limites à ne pas franchir'… Aujourd'hui, nous devons, au nom de nos intérêts, cesser [ces agissements] et nous donner une chance. Puissions-nous gagner ! Tuer n'est pas notre passe-temps favori. Nous avons un but à atteindre… »
Le retour était possible grâce à Oslo
Quand nous avons signé les accords d'Oslo, personne ne s'est tenu à nos côtés. On nous a dit qu'il faudrait demander l'avis du peuple, l'avis de certains Etats arabes. Vous connaissez les accusations que nous avons essuyées. Après [Oslo], nous sommes retournés chez nous et avons obtenu une partie de notre patrie… Le phénomène des Palestiniens perdus à l'aéroport, à la frontière, est révolu : ils peuvent [désormais] retourner chez eux s'ils le souhaitent. Entre 250 000 et 300 000 personnes sont retourné vivre dans leur patrie. Le problème des réfugiés n'est pas encore résolu, mais celui des déplacements a au moins pris fin avec les négociations et la paix. Il aurait été impossible d'y mettre fin par la guerre. Nous avons participé à plusieurs guerres et vous en connaissez les résultats. Les tanks arabes ont-ils encerclé Tel-Aviv au moment où nous signions Oslo ? Israël était l'Etat construit pour conquérir tout le monde arabe en un instant… »
L' « initiative arabe [saoudienne] » incluait le droit de retour
« Le sommet arabe a ratifié l'initiative qui traitait [également] du problème des réfugiés. Cette initiative faisait partie des plus réussies de l'histoire moderne. Elle est d'autant plus importante que l'Arabie Saoudite en est à l'origine, ce qui signifie que le monde arabe et islamique se trouve derrière. L'initiative est claire : la terre contre la paix et la normalisation. La perspective de relations normales en échange d'un retrait complet est très alléchante pour les Israéliens, ce qui fait que 60% des Israéliens y étaient favorables. A chaque occasion, Washington rappelait que les bases de la paix se trouvent dans les [Résolutions] 242, 338, [le principe de] la terre contre la paix et l''initiative arabe'. Avec l''initiative arabe', nous avons pu faire du retour des réfugiés un principe de base. »
Les Arabes israéliens doivent nous aider à faire chuter ou mettre en place des gouvernements israéliens
« Un autre problème doit aussi être évoqué. J'ai des réserves quant à [l'utilité] de la participation de nos parents palestiniens – les Arabes de 48 – à l'Intifada, tout en appréciant fortement leur sacrifice. En effet, leur participation s'est avérée être une très grande erreur. Nous n'en avons pas voulu lors des première et deuxième Intifada, et leur avons dit : 'Vous avez un rôle irremplaçable, différent du nôtre ; [c'est] un rôle important qui consiste à provoquer l'effondrement des gouvernements [israéliens] ou leur réussite. Conservez ce rôle. Si vous voulez nous aider, faites-le en approvisionnant [l'Autorité palestinienne] ou en manifestant avec les mouvements israéliens pacifiques.' Mais ils se sont écartés de cette voie : au début de l'Intifada, ils sont partis dans une première vague de manifestations ; treize personnes sont [mortes] en martyres et 80 ont été blessées. Puis les Israéliens se sont levés pour dire : 'Voilà cinquante ans qu'ils vivent parmi nous, et c'est comme ça qu'ils se comportent ? Comment voulons-nous faire revenir les réfugiés ?' Et alors, aussi vite que l'éclair, chaque Israélien a commencé à se demander : 'Pouvons-nous accepter le retour de ces gens ? Qu'allons-nous y gagner ?'
Quand j'ai parlé pour la première fois [aux Arabes israéliens], en termes clairs et sincères, ils se sont fâchés. Je leur ai dit : 'Vous avez fait une grosse erreur en vous laissant porter par la rue et les sentiments, [refusant] d'agir la tête froide. Vous auriez pu nous aider d'une autre façon, en employant d'autres moyens. N'oubliez pas que vous avez la citoyenneté israélienne, et c'est là votre force ; c'est grâce à elle que vous pourrez nous protéger : votez la 'non-confiance' dans les gouvernements israéliens. Vous pourrez provoquer un changement de gouvernement grâce à vos membres de la Knesset. C'est comme cela qu'Itzhak Shamir a perdu le pouvoir ; le parti travailliste avait alors 56 membres à la Knesset, et les Arabes avaient de 5 à 6 mandats.' S'ils avaient sérieusement participé aux élections, comme pour les élections municipales, ils auraient pu obtenir de 15 à 18 mandats et empêcher la mise en place d'un gouvernement dont nous ne voulons pas. Quand Rabin a envisagé l'expropriation de terres à Jérusalem, les députés arabes ont menacé de voter contre lui, ce qui l'a fait revenir sur sa décision. 'Vous, Arabes, citoyens d'Israël, pouvez beaucoup faire [en agissant] rationnellement au niveau politique, sans courir après les illusions et la démagogie.' Les conséquences de leur [attitude négative] ont été extrêmement néfastes. »
Israël doit accepter le droit de retour
« J'ai écouté honnêtement un certain nombre de députés et de ministres israéliens. Ils m'ont demandé combien de réfugiés comptaient revenir. Ce genre de questions montre qu'ils sont d'accord sur le principe. Je leur ai répondu : 'Acceptez le principe et je vous donnerai le nombre'. A Camp David, quand ils ont voulu connaître le nombre, nous leur avons répondu : 'Si vous acceptez le principe, nous vous donnerons le nombre – là, tout de suite.' La reconnaissance du principe était le premier pas : Israël commence par reconnaître le droit de tous les Palestiniens à retourner sur leur terre. Ensuite le réfugié peut décider s'il souhaite ou non revenir. Puis viennent les négociations sur l'application [du principe] et avec, la possibilité de procéder au cas par cas. »