arch/ive/ief (2000 - 2005)

Objectif AF 1992 !
by Jean Wednesday December 04, 2002 at 01:36 PM

Avec mon bagage sur roulettes, gros de 40 kilos d'un demi tour du monde, un taxi parisien me laissait l'autre jour devant la Gare du Nord. Le matin était froid et humide, il était 8 heures à Paris et la vie s'activait tout autour de moi.

Peu m'importait en vérité, car j'étais ce qu'on appelle un passager en transit, arrivé quelques heures plus tôt d'Aix-en-Provence, en provenance de Californie via Madrid. Maintenant il me fallait acheter deux ou trois cadeaux au magasin sans taxes et ne pas manquer le vol d'Air France 1992 pour Tel Aviv. Ce soir, on m'attendra à l'aéroport Ben Gurion pour me conduire enfin chez moi, dans le village de Kfar Yuval, tout en haut du doigt de la Galilée.

Avant, il me faut faire la queue devant les guichets du RER. Deux guichets pour une cinquantaine de voyageurs. Et je pense aux Français. Assez géniaux pour inventer le Concorde et le TGV, et incapables de comprendre qu'attendre 15 minutes un billet en vue d'un trajet de 30, est complètement inconséquent.

Enfin, je suis en transit, ce soir Kfar Yuval ; si je devais subir ce supplice fréquemment, je pense que je m'insurgerais mais une fois tous les trois ans, Jean, ça n'est pas ton problème.

"Pour Roissy, madame ", fais-je à la vendeuse de tickets ? Sans élever les yeux, sans ouvrir la bouche, elle m'indique la direction générale du train de Roissy du bout de son menton. Là, devant la multitude des escaliers roulants et des directions possibles, je dois redemander mon chemin.

Quai 43, bon !

"Bon", façon de parler. Je me retrouve très vite devant l'épreuve suivante de ce qui ne devait être qu'un trajet de liaison jusqu'à mon avion. Celle-ci m'a l'air insurmontable ! Il s'agit de franchir avec mes bagages un tourniquet, puis successivement un portail électrique. Je regarde à gauche et à droite en quête d'un passage plus commode mais mon regard ne rencontre qu'une touriste australienne, la bouche confuse entre un sourire et une grimace.

Selon toute vraisemblance, le type qui a conçu ce système n'a pas prévu qu'on le franchît avec un bagage. Je suis pourtant en face de l'unique accès au quai 43, à l'embarquement du train RER direct pour l'aéroport Charles de Gaulle.

On ne va pas passer le réveillon et risquer de manquer son vol. Je fais alors appel à ma khutzpa d'Israélien, que j'accommode d'un élan de gentleman anglais. J'emprunte donc le ticket de l'Australienne avant qu'elle ne fonde en larmes, je place sa valise sur ma tête, à l'image d'une porteuse d'eau saharienne, puis j'introduis le petit bout de carton dans la fente de la machine, et je passe le tourniquet, comme j'aurais traversé un wadi en crue. Oui mais maintenant, je suis du mauvais côté de la barrière et l'Australienne n'a plus de titre de transport, alors, dans l'indifférence générale, je prouve que j'ai la cinquantaine encore alerte et je saute moutonne le tourniquet à l'envers puis l'Océanienne fait de même à l'endroit. Il ne me reste plus qu'à renouveler l'exploit avec ma propre valise et le tour est joué. J'ai largement gagné une semaine supplémentaire dans l'émission jeu du survivant !

Ce soir, Kfar Yuval, Jeannot… même si j'ai l'étrange impression d'être l'un des deux premiers voyageurs de l'histoire de Paris à gagner son avion par le RER. Comment font les autres, je veux dire les Parisiens ? Il paraît qu'en navette ou en taxi, il m'aurait fallu, en cette heure de pointe, au moins une heure et demie pour me rendre à Roissy. Dorment-ils à l'aéroport ? Se lèvent-ils au milieu de la nuit ou voyagent-ils sans bagages ?

Dans ce genre d'épreuves épiques, on n'a jamais le temps de philosopher sur la dernière manche. Me voici déjà devant le défi suivant : un train deux fois trop petit pour le nombre de voyageurs qui veulent y prendre place ! Et Stella et moi sommes les seuls à traîner des bagages… Alors nous nous faufilons à travers la foule, jusqu'à venir nous placer à l'extrémité du quai, les orteils du côté des voies inquiétantes.

S'en suit une extraordinaire mêlée, qui menace d'emporter le pack australien. Je me retrouve coincé contre les graffitis, avec la fière mamelle d'une grosse dame assez odorante à deux centimètres à peine de mon appendice nasal. Je demeurerai dans cette position inconfortable jusqu'à l'arrêt du Parc des expositions. Qu'à cela ne tienne, je respirai par la bouche !

Le wagon s'est vidé, Stella a même pu s'asseoir. Elle sourit, nous parviendrons à Roissy !

Courte et illusoire victoire sur la destinée ! A la gare du terminal numéro deux, il n'y a pas d'escalier roulant et celui en béton est long et abrupte. Quarante kilo à élever jusqu'au couloir et le sac à main de ma compagne d'infortune, nous arrivons essoufflés.

Mais le gymkhana ne s'arrête pas là. La nouvelle épreuve consiste à parcourir d'immenses boyaux de liaison. Un panneau électronique m'indique que le vol AF 1992 pour Tel Aviv m'attend au terminal B2, je suis sur la bonne voie, même si elle me paraît interminable, surtout que la moitié des tapis roulants est hors service. Je marche sur des kilomètres et je dois bientôt traverser tout le terminal D, avec, en prime, des écueils vivants et remuants qui me coupent le chemin de manière intermittente. Je songe, in petto, aux connards qui ont pu concevoir un aéroport aussi mal foutu mais enfin, le Concorde et le TGV…

J'y suis, enfin, je crois y être ! Une file de trente mètres serpente jusqu'au contrôle d'identité. Il n'y qu'un policier pour tout ce monde mais surtout, il ne consulte que les documents d'identité, alors, pourquoi devons-nous traîner nos sacs derrière nous ? D'habitude, je veux dire dans toutes les autres aérogares du globe, on enregistre les bagages avant de passer le contrôle de police. Ici, ils ont une logique différente, quelques voyageurs, au bout de leur énergie, dans la queue, en font la remarque. Je les ignore. J'y suis, j'ai gagné le droit précieux de bientôt poser mon postérieur dans mon Airbus et au bout du cockpit, il y a Kfar Yuval, mes enfants, ma femme et mon chien, alors…

Le policier ouvre mon passeport et vérifie mon billet, il était temps, l'heure de l'embarquement se rapproche dangereusement. Puis il me regarde avec une certaine compassion : "Pour Tel Aviv, l'embarquement se fait au terminal D, monsieur !"

Je sens pour la première fois de cette odyssée la révolte qui m'envahit. J'ai d'abord envie de lui dire ma façon de penser mais, craignant de détériorer encore un peu plus les relations déjà tendues entre Israël et la France, je me ravise et, en signe de servitude, je le remercie même timidement pour son renseignement.

Je fais le chemin à l'envers mais au pas de course, cette fois. L'idée de manquer mon avion et d'avoir à refaire le lendemain cette descente aux enfers me galvanise. Pourquoi donc mentionnent-ils l'embarquement pour Tel Aviv sur tous leurs tableaux synoptiques au terminal B ? Pas d'explication, personne pour l'expliquer et pas de temps pour effectuer une nouvelle enquête pour la Ména. Je cours.

J'arrive au terminal D, à l'enregistrement des bagages. Nouvelle queue. Largement plus courte que la précédente. Je pose ma valise sur la balance et tends mon billet. "Non monsieur, l'enregistrement pour Tel Aviv se fait de l'autre côté du couloir, à l'étage inférieur !" me dit la jolie mulâtre de derrière son comptoir, sans pouvoir réaliser à quel point elle participe d'une procédure infernale et affligeante. Cette fois et à sa surprise, je réclame un itinéraire précis : "Où se situe EXACTEMENT l'embarquement pour Tel Aviv, mademoiselle, à quelle sortie, quel terminal, quel numéro ?" Elle est gênée, l'hôtesse au sol, elle cherche dans sa mémoire, tandis que les autres voyageurs donnent des premiers signes d'impatience. Finalement, tout ce qu'elle réussit à m'indiquer, c'est "là, dehors et à droite !"

Pas le temps de discuter, je n'en tirerai rien d'autre. Dehors et à droite, je situe, au milieu du couloir, un escalier électrique donnant accès aux sorties 14 et 15. Elles ne font aucune mention, ni du numéro de vol, ni de sa destination. Au point où j'en suis, à cinq minutes de l'heure d'embarquement, je tente le coup et je descends à l'étage inférieur. Là, je tombe sur un grand panneau mentionnant "Tel Aviv" avec une flèche. Que je suis ! Je parviens à un contrôle corporel, des bagages, des passeports et à une petite salle d'attente. J'y retrouve deux couples de personnes mûres, complètement remontées ; l'un des vieux messieurs a la larme à l'œil, il ronchonne une psalmodie incompréhensible mais qui n'est pas à l'avantage d'Air France ni à celle des autorités aéroportuaires. La dame de l'autre couple, l'air avisé, lui répond : "nous, nous faisons fréquemment ce voyage, nous sommes arrivés hier de Marseille et nous avons dormi dans un hôtel de l'aéroport".

Arrive un bus. Une hôtesse nous invite à l'envahir, mais tandis que je m'y dirige, le vieux monsieur triste me retient : "pas d'empressement, ils nous ont déjà envoyé deux autobus par erreur et nous en ont fait redescendre !"

J'ai plus de chance, si dans les circonstances que je décris, on peut raisonnablement appeler cela de la chance, ce bus est le bon. Après des vicissitudes supplémentaires et deux jurons d'énervement du conducteur, il nous conduit vers… le terminal B. Section commune d'embarquement de tous les passagers, magasins. Il est bien sûr trop tard pour faire le moindre achat, il faut se diriger sans délai vers la sortie de l'avion.

Non ? Non. Non !
Je tombe sur une nouvelle file d'attente, un contrôle des papiers, une énième fouille personnelle. On nous fait retirer notre manteau, notre veste et on les passe à nouveau dans le détecteur à rayons. Je veux bien considérer le Concorde et le TGV mais ça c'est complètement idiot ! On nous a stérilisés (c'est le terme sécuritaire qui est utilisé pour exprimer une fouille approfondie qui permet aux passagers d'évoluer en milieu contrôlé) une première fois, puis on nous a mélangés avec des voyageurs non stériles et on nous stérilise à nouveau. Ce harassement inutile des passagers est incompréhensible, injustifié au plan sécuritaire.

Bon, je suis enfin assis sur mon siège de la section business. Mais la cabine de cet A-320, piloté par le capitaine Nessim, est spartiate, pas de vidéo personnelle, pas de télévisions communes, aucun divertissement de bord et la même place pour les jambes – c'est-à-dire pas grand-chose – qu'en section économique. On nous servira un repas sans nappe, au menu unique, un truc à peine mangeable à anéantir la réputation de la gastronomie française. Quel contraste, avec le vol qui m'a ramené de Los Angeles, trois jours précédemment

L'hôtesse croit nécessaire d'ajouter que "nous sommes, sur les courts courriers, les parents pauvres de la compagnie". Court courrier, 4 heures et demies de vol, tu parles !

J'ai maintenant le museau de Tencer sur mes pantoufles, deux bûches crépitent dans la cheminée qui réchauffent l'automne galiléen. Je suis à Kfar Yuval, ma famille envie mes fréquents voyages pour participer, aux quatre coins de la planètes, à des rencontres de professeurs et moi, jusqu'à ce qu'ils lisent cet article, je n'aurai pas le courage de leur relater mes dernières mésaventures.

Je ne dirai pas grand-chose non plus, en guise de conclusion, à mon récit, de crainte qu'on accuse de diffuser des sentiments anti-français primaires ; déjà qu'on m'accuse, moi, un des fondateurs de Shalom Akhshav (et pas Archav, qui ne veut rien dire en hébreu) d'appartenir aux rangs de l'extrême droite nationaliste???!!! Je crois que tout est dans l'article et je veux bien vous assurer que tout ce que j'y ai écrit est rigoureusement exact et que je n'y ai rajouté aucun élément de dramatisation hollywoodien.

Il me semble que la plupart des turpitudes que j'y décris résultent d'une faiblesse générale des pouvoirs publics, touchant tous les voyageurs de la région parisienne, à concevoir et à s'adapter à leurs besoins élémentaires. Reste que le traitement réservé par Air France aux passagers en direction d'Israël est incorrect. Soit que la compagnie française ne fait pas l'effort de répondre à leur attente de confort minimal, et c'est déjà inacceptable, soit qu'elle entend refléter, par son incurie, l'inimitié montante que la presse et les dirigeants tricolores entretiennent à notre égard, auquel cas, cette incurie serait condamnable.

Au vu des péripéties de ce voyage, mais aussi, des événements ayant émaillé ce vol durant les mois précédents, c'est en tous cas une question qu'on peut se poser.

T'as raison, va
by yannindy Wednesday December 04, 2002 at 01:45 PM
yannindy@yahoo.fr

et moi, je me souviens que j'ai pris une prune pour mauvais stationnement, alors qu'il y en avait d'autres sans contredanses. Je suis sur que le pouvoir public en Belgique est très remonté contre les gens qui publient sur Indymedia, et ca doit être pour cela :))

Dors bien, ca ira mieux demain.
A+
Y

toujours plus facile
by Odile Wednesday December 04, 2002 at 03:54 PM

bien embêtant, tout ça, surtout pour un Israélien qui se contrefout des heures et des heures d'attente (parfois vaines) des palestiniens aux checkpoints israéliens
Qui se contrefout que les checkpoint israéliens laissent mourir des enfants (palestiniens) à naître aux mêmes checkpoint
etc...
Quant aux contrôles je crois savoir que c'est pas mal non plus quand on quitte un aéroport israélien, surtout si on est arabe (palestinien ou autre)
Allons, Jean va aller se changer les idées avec ses copains, et une obnne nuit là dessus et voilà tout
La prochaine fois il ira aux Etats-Unis où c'est tellement mieux

ouaaaaaahhh Odile!!!????
by Billy. Wednesday December 04, 2002 at 04:36 PM

t'as bien lu le texte
Jean à l'air d'etre un hommde paix, il dit avoir contribué au mouvement Shalom Akhshav
donc là ce que tu fais c'est une sorte de racisme ou tous les israéliens (peut importe leur courant politique) sont racistes

pour ta gouverne le mouvement Shalom Akhshav veut dire (je crois) "la paix maintenant"
pacifiste donc.