Bricmont (prof UCL): pourquoi je ne critique pas le régime irakien? by Jean Bricmont (posté par David) Wednesday November 27, 2002 at 04:13 PM |
Jean Bricmont répond à une carte blanche de Feneaux et Vanrie l'accusant de ne pas critiquer le régime irakien dans un article publié dans le Soir contre la guerre à venir.
Messieurs Feneaux et Vanrie ont tout-à-fait raison de m'accuser de ne pas critiquer le régime irakien ou ses dirigeants (cfr l'Irak méprisé, Le Soir du 25 novembre). C'est une attitude délibérée de ma part et elle s'applique à toutes les cibles des aggressions occidentales, qu'il s'agisse de Milosevic, des Talibans, ou de Saddam Hussein. Et cela pour trois raisons qui me semblent moralement incontournables: d'une part, il y a ici clairement un aggresseur et un aggressé: ce n'est pas l'Irak qui menace les Etats-Unis, mais l'inverse. De plus, je ne peux pas me considérer comme situé en dehors de l'espace et du temps. Je vis, travaille et paye mes impôts dans un pays qui est, à travers l'Otan, pieds et poings liés aux Etats-Unis. J'ai travaillé dans des universités américaines et donc, indirectement, pour leur machine de guerre, alors que je n'ai jamais été en Irak. Finalement, on ne peut pas mettre sur le même pied un régime brutal mais dont les effets sont limités à sa population et à ses voisins (qui ne le perçoivent même plus comme un danger) et un empire global, celui des Etats-Unis, qui, depuis 50 ans, a tué des millions de gens dans des guerres menées loin de ses frontières, renversé ou subverti un grand nombre de gouvernements élus (Arbenz au Guatémala, Mossadegh en Iran, Goulart au Brésil, Allende au Chili, Lumumba au Congo, etc.) et qui est au centre d'un système mondial d'exploitation de la main d'oeuvre et des ressources du Tiers Monde.
L'opération 11.11.11 a affiché sur les murs de nos villes l'équation étrange, 6-1=4? C'est-à-dire que, pour chaque franc emprunté, le Tiers Monde en a déjà remboursé 6 et en doit toujours 4. Traduite en termes humains, cette équation représente chaque année des millions de morts de malnutrition ou de maladies aisément guérissables. Ce génocide permanent du Nord contre le Sud, qui alimente les coffres de nos banques, n'est possible que grâce à un rapport de force. Je ne doute pas que beaucoup de gens en Irak (et dans bien d'autres pays) souhaitent un changement de régime. Mais il y a encore bien plus de personnes dans le monde qui souhaitent se libérer du joug de cette dette et des mesures imposées par le FMI, qui sont, in fine, maintenus en place par la force militaire des Etats-Unis, dont la puisance d'intimidation sera décuplée par une victoire rapide sur l'Irak.
Le spectacle de ces cohortes de moralistes occidentaux qui préparent les esprits à la guerre en dénonçant les crimes de l'adversaire du moment tout en passant sous silence les mécanismes d'oppression bien pire qui sont à la base de leurs propres privilèges m'a toujours paru très curieux.
Lorsque le Tiers Monde tente de se libérer par des moyens essentiellement pacifiques et démocratiques, qu'il s'agisse des Palestiniens pendant la période d'Oslo, d'Allende, des Sandinistes, ou aujourd'hui de Chavez au Vénézuéla, on leur vole leurs terres et on les subvertit de mille façons. Quand ils se révoltent de façon violente, qu'il s'agisse de Castro, de Saddam Hussein, des kamikazes palestiniens ou des `maoistes' au Népal, la machine à démoniser se met en route et les humanistes occidentaux poussent des cris d'indignation.
Il serait fort aimable de la part des oppresseurs de dire une fois pour toute aux opprimés quelles armes ils estiment qu'ils ont le droit d'utiliser pour se défendre.
Jean Bricmont
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témoignage d'Irak by Brunelleschi Thursday November 28, 2002 at 12:28 AM |
Monsieur Bricmont,tout en étant d'accord avec votre analyse, ayons une pensée envers les irakiens qui subissent le régime de Saddam Hussein. Parce qu'ils le subissent bel et bien. Voici comment un ami irakien réfugié en Belgique, décrit brièvement la situation en Irak avant et lors de la guerre du Golfe: "Pour les manifestations de soutien à Saddam Hussein, l'armée venait dans les classes de l'école, et au milieu d'un cours nous obligeait à sortir pour aller crier, bien malgré nous, gloire à Saddam. Lorsque l'armée américaine nous attaquait, Saddam plaçait ses avions dans les grands boulevards des quartiers résidentiels de Bagdhad, il s'imaginait ainsi que ses avions de chasse seraient protégé car les américains ne tireraient pas sur des cibles civiles. Les habitants ne faisaient pas ce pari, eux, et à la vue des avions, ils fuiaient immédiatement à la campagne.