arch/ive/ief (2000 - 2005)

Le droit universel aux médicaments
by Patrick Gillard Wednesday November 27, 2002 at 02:34 PM
patrickgillard@skynet.be

La priorité de l'administrateur délégué de l'AGIM se trouve bien entendu ailleurs : elle consiste essentiellement à préserver, à consolider et à développer les intérêts de la florissante industrie du médicament, secteur clé de l'économie de marché néo-libérale.

Réfrénant « l'émotion que [lui] suscite (...) la terrible crise sanitaire que traversent un grand nombre de pays pauvres, en particulier en Afrique » (1), Pierre Claessens, administrateur délégué de l'Association générale de l'industrie du médicament (AGIM), réagit à une "opinion" qu'Hélène Lorinquier de Médecins sans Frontières (MSF) a fait paraître dans La Libre Belgique (2), en alignant ce qu'il définit "modestement" comme « une analyse correcte de la situation » (1), parce qu'il « souhaite [,lui,] vraiment arriver à une solution ». (1) A quelle solution veut arriver M. Claessens ? A une solution permettant l'amélioration et la démocratisation de l'accès aux médicaments pour tous dans les pays pauvres ? Non, pas vraiment. La priorité de l'administrateur délégué de l'AGIM se trouve bien entendu ailleurs : elle consiste essentiellement à préserver, à consolider et à développer les intérêts de la florissante industrie du médicament, secteur clé de l'économie de marché néo-libérale.

Or, avec un total de quelque 10 % des exportations pendant l'année 2000, le Tiers Monde - soit, dans le cas qui nous occupe, le Proche et le Moyen Orient, l'Amérique Centrale et du Sud et l'Afrique : un ensemble de pays qui ne disposent bien entendu pas des moyens financiers permettant de payer au prix fort les médicaments nécessaires produits par l'industrie pharmaceutique des pays industrialisés -, ce Tiers Monde, donc, ne représente pas à proprement parler un marché pour l'industrie du médicament belge, et occidentale. (3) En tous cas, pas encore. Mais les choses évoluent : les négociations en cours au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pourraient se terminer sur un accord qui préciserait « les conditions dans lesquelles les pays les plus pauvres, ..., pourront importer des médicaments à prix réduit, même s'ils sont toujours protégés par un brevet ... ». (1) Outre la protection de la propriété intellectuelle de leurs découvertes et mises au point, la préoccupation principale des grandes multinationales de l'industrie du médicament réside dans le fait d'obtenir la garantie du paiement des produits brevetés qu'elles exporteraient dans les pays du Tiers Monde. C'est la raison pour laquelle les représentants de ces firmes soutiennent, à l'instar de Pierre Claessens, qu' « on ne pourra sortir de cette crise sanitaire que par des partenariats internationaux » (1), seule formule capable, à leurs yeux, d'assurer le paiement de leurs médicaments ainsi que le financement des coûteuses recherches que ces entreprises pharmaceutiques mettraient dès lors sérieusement en oeuvre pour tenter d'endiguer les maladies et épidémies chroniques qui endeuillent depuis trop longtemps les pays pauvres, alors que les représentants de ces derniers souhaitent avant tout pouvoir acheter et vendre des médicaments génériques entre eux, sans passer obligatoirement par les pays riches et échapper de la sorte à la barrière des brevets et des prix internationaux.

La thèse de l'administrateur de l'AGIM consiste aussi à dire que si « les populations des pays pauvres continuent à être victimes de maladies [malaria, tuberculose, dysenterie, rougeole, infection respiratoire aiguë...] contre lesquelles des médicaments [non protégés par des brevets et à des prix réduits] existent depuis belle lurette », c'est « parce qu'il ne suffit pas de proposer des médicaments à prix réduit ou même gratuits pour soigner les gens » (1), il faut aussi, selon lui, y organiser une politique de santé, calquée bien entendu - comme presque chaque fois qu'il s'agit de développement dans les pays pauvres dans le cadre de la mondialisation - sur le modèle occidental qui n'est pourtant pas automatiquement transposable tel quel dans le contexte sanitaire des pays du Tiers Monde caractérisé par les activités d'une respectable médecine traditionnelle reposant sur une pharmacopée locale d'une grande richesse.

La partie de l'affirmation de M. Claessens niant l'utilité des livraisons de médicaments à prix réduit ou gratuits aux populations du Tiers Monde est de manière étonnante en contradiction avec un texte disponible sur le site même de l'AGIM, qui annonce, entre autres exemples, que « depuis 1987, une compagnie a gratuitement fait don de plus de 250 millions de comprimés de son produit médicinal breveté pour le traitement de la cécité des rivières [et que, p]ar conséquent, 25 millions de personnes ont été traitées » (4), malgré les problèmes de transport et de distribution de médicaments inhérents aux pays pauvres que Pierre Claessens érige comme des obstacles infranchissables pour l'accès aux soins de santé des populations de ces pays. L'exemple fourni par l'AGIM ne constitue-t-il pas à lui seul une preuve que les dons de médicaments aux populations pauvres ont une efficacité certaine ?

Enfin il n'est pas du tout assuré - comme le laisse entendre l'interrogation finale de l'analyse de Pierre Claessens - que « les citoyens des pays riches [ne soient pas] prêts à participer personnellement, par leurs impôts, à l'effort financier nécessaire pour alimenter des partenariats efficaces, permettant d'organiser un accès équitable aux soins de santé pour tous les peuples de la planète » (1). Pierre Claessens omet non seulement (in)volontairement d'associer à cet éventuel geste solidaire du Nord vers le Sud les personnes morales, c'est-à-dire les sociétés commerciales, en commençant bien entendu par les riches firmes pharmaceutiques, mais il feint aussi et surtout, en posant cette question démagogique, de nier l'existence des mouvements altermondialistes, porteurs d'une solidarité internationale renouvelée, chère tant au présent signataire qu'à la représentante de MSF.

Patrick Gillard, historien
Bruxelles, le 25 novembre 2002

Notes :

(1) Pierre CLAESSENS, Constat tragique mais diagnostic tronqué, dans La Libre Belgique, jeudi 21 novembre 2002, p. 14.

(2) Hélène LORINQUIER, Un an après Doha, la santé passe toujours après, dans La Libre Belgique, jeudi 14 novembre 2002, p. 15.

(3) Le commerce extérieur (http://www.agim-avgi.be/fr/carte_du_site/index.html)

(4) Améliorer l'accès aux soins de santé dans les pays en voie de développement (http://www.agim-avgi.be/fr/carte_du_site/index.html)