Médias/ Venezuela: Lettre à Karl Zéro, 'Le Vrai Journal', Canal+. by RISBAL Wednesday November 20, 2002 at 12:27 PM |
risbal@collectifs.net Bruxelles, Belgique |
Lettre de protestation à Karl Zéro suite à deux "reportages" sur le Venezuela.
Bruxelles, le 20 novembre 2002 A l’attention de M. Karl Zero, Concerne : Réaction à la rubrique " bloc-notes " Monsieur Karl Zéro, En tant que téléspectateur occasionnel de votre émission dominical " Le Vrai Journal ", j’aimerais vous exprimer quelques critiques quant à votre manière de traiter l’information, en particulier sur le Venezuela les dimanches 20 octobre et 17 novembre. Par ma critique, je vise en particulier la rubrique que vous appelez le "bloc-notes" de la semaine où en quelques dizaines de secondes vous prétendez survoler un peu d’actualité internationale de la semaine. Cette rubrique a la prétention d’informer et ne remplit nullement son rôle. En fait, il s’agit avant tout d’un collage d’images d’agences de presse que vous utilisez non pas pour informer mais pour nous faire part de vos états d’âme sur le monde. Ainsi cette semaine, dans cette rubrique, vous avez dit que l’Amérique latine continue d’aller de mal en pis et vous avez illustré ce commentaire par des images de manifs réprimées par des gaz lacrymogènes au Pérou suivies d’autres images de gaz lacrymogènes au Venezuela. Quelle information avez-vous offerte au public ? Rien, pas un seul mot sur le pourquoi de ces manifestations, et surtout l’association entre deux faits qui n’ont rien à voir. Je pense, même si je n’ai pas vérifié, que les manifestations au Pérou devait être anti-gouvernementales, étant donné la crise de légitimité que vit actuellement le gouvernement Toledo, les résultats des dernières élections municipales et départementales le prouvant une fois de plus. Au Venezuela, il s’agissait – je pense car vous ne dites rien – des durs combats au sein même de la Police Métropolitaine, cet organe répressif qui a servi à l’opposition de fer de lance lors du coup d’Etat du 11 avril 2002 et qui maintenant se retrouve divisée. Monsieur, je tenais à vous exprimer à ce sujet ma désapprobation par rapport à l’instrumentalisation d’images spectaculaires et au contenu informatif nul de votre commentaire. Mais ce qui m’a choqué davantage fut votre couverture, brève , très brève à nouveau, de la manifestation gigantesque (de 2 à 3 millions de personnes) du 13 octobre 2002 à Caracas en soutien au processus ‘bolivarien’ et au gouvernement d’Hugo Chavez Frias. Malheureusement, je n'ai pas enregistré le reportage et ne peux donc me fier qu'à ma mémoire pour vous faire part de mes quelques remarques quant à vos commentaires irresponsables, méprisants & mensongers. Premièrement, le reportage diffuse une infime partie du discours du président Chavez lors de la clôture de cette "manifestation pour la paix et la démocratie". Les propos du président élu à deux reprises par une large majorité sont assez virulents puisque, à sa manière, il s'en prend à l'oligarchie qui a régné durant 40 ans au Venezuela depuis la fin de la dictature de Perez Jimenez et le Pacte de Punto Fijo où se mit en place un système populiste, clientéliste et raciste de parti unique à deux têtes, jusqu'à l'arrivée d'Hugo Chavez Frias au pouvoir en 1999. Chavez a su capitaliser le développement de la résistance sociale des années 90 et le profond rejet du système puntofijiste pour arriver à la présidence où il mène des réformes progressistes qui vont à contre-courant de la sacro-sainte doctrine néo-libérale. Depuis son arrivée au pouvoir, 1,5 millions d'enfants en plus vont à l'école. Ce n'est pas négligeable! Dans votre reportage, vous comparez la manifestation vénézuélienne avec les élections irakiennes et le verve oratoire du président Chavez avec celle de Castro (qui doit se faire du souci, selon vous!). J'avoue que de telles comparaisons ne sont pas surprenantes. En effet, déjà lors du coup d'Etat d'avril 2002, Chavez avait été associé à Castro et à Hussein, les deux épouvantails de service. De nombreux dits journalistes avaient en effet informé que les deux chefs d'Etat condamnaient le bref coup d'Etat. Ces mêmes journalistes, pour la plupart, n'avaient pas dit que l'Organisation des Etats Américains et le Groupe de Rio rejetaient également le coup d'Etat. C'est la même technique que vous avez employée. Vous associez une personne à un "hitler" ou un "satan" de la communauté internationale pour décrédibiliser un homme. Concernant la manifestation, vous dites que Chavez l'a organisée pour se mettre en scène comme Hussein a mis en scène ses élections. De tels propos, même au nom de la liberté de la presse, sont inacceptables. Il s'agit purement et simplement de mensonges de la part d'une personne - VOUS - , je crois ne pas me tromper, qui est meilleur en jeux de mots qu'en histoire & actualité latino-américaines. Figurez-vous que j'étais cet été durant 40 jours au Venezuela, que j'ai participé à une manifestation quasi aussi gigantesque. Si vous sachiez un peu de quoi vous parlez, vous retireriez vos propos! Votre vision exprime de nouveau ce point de vue hautain, élitiste que ces deux millions de personnes, cette masse gigantesque est manipulée par Chavez et sa clique, qu'elle n'est pas consciente d'être manipulée. Pauvre petit peuple si innocent! Allez au Venezuela et rendez-vous compte du niveau de conscience sociale, politique de ce pauvre petit peuple qui, probablement manipulé, est descendu au nombre de 7 millions en avril dernier pour sauver leur nouvelle constitution, leur président, leurs droits à voir respecter ce qu'ils ont choisis. Chavez était alors emprisonné ... Et les gens ont fait leur choix consciemment et en risquant leur vie. De manière autonome. Oui, oui, monsieur Zero, il y a bien eu coup d'Etat même si au sein de cette opposition: oligarches, fédérations patronales, un syndicat corrompu de l'ancien régime, propriétaires terriens, groupes de médias privés et une partie de la classe moyenne, nombreux le nient encore aujourd'hui. Savez-vous que les uniques prisonniers du coup d'Etat sont 'bolivariens'? Savez-vous que les leaders paysans qui se font tués ou torturés au Venezuela sont 'bolivariens'? Savez-vous ... Non, vous ne savez pas car vous reprenez l'(dés)information de quelques agences de presse ou du 'Bloc de la presse' local. Non, vous ne savez pas car, en tant que journaliste, vous croyez avoir le droit de parler d'un sujet sans le connaître car pour vous et un bon nombre de vos collègues, la liberté de la presse s'apparente parfois à de l'irresponsabilité. C'est au nom de la liberté de la presse que les entreprises commerciales dites médias au Venezuela ont participé activement au coup d'Etat et vendent du dentifrice ou un épilateur entre un sujet sur la TVA et un autre sur des inondations en plein milieu d'un journal (même pas lors une pause publicitaire). Si je me rappelle bien, commentant le discours virulent du président Chavez contre l’oligarchie, vous l’avez traité de démagogue et / ou de populiste. Pourquoi ? Pouvez-vous me justifier de tels qualificatifs? Vous avez lu cela dans une dépêche de l’AFP ? Vous le traitez ainsi parce qu’il s’en prend à la caste qui pille le Venezuela, qui vit autant à Miami que dans les beaux quartiers de l’Est de Caracas ? Je vous avoue que le discours de Chavez ne me dérange point. Pourquoi tout le monde devrait adopter la norme de médiocrité de nos politiques européens? Faut-il utiliser la langue de bois et être médiocre orateur pour avoir votre respect ? Pour ne pas être étiqueté de je ne sais quel qualificatif ? Monsieur Zéro, vous avez fait le choix d’informer et d’amuser en même temps lors de la même émission en alternant reportages et enquêtes, sketchs et interviews faussement impertinentes. Aussi contestable soit cette manière de faire, c’est votre choix – l’ère du temps probablement. Mais une telle politique ne vous dispense nullement d’une certaine rigueur dans le traitement de l’information. Ne croyez pas que votre diplôme de journaliste ou votre expérience vous dispense de rendre des comptes à la société. Vous êtes responsable devant vos téléspectateurs. Malheureusement, le système fait que vous puissiez agir aujourd’hui sans rendre de comptes. Si au moins, régulièrement, on pouvait vous voir, ou vos collègues, s’excuser en direct de l’amateurisme dans le traitement de tel ou tel sujet. Ce serait au moins honnête. Mais ce serait sûrement trop demandé d’avouer régulièrement une erreur. On peut rêver. Merci de m’avoir lu. Frédéric Lévêque
Le Vrai Journal
Canal +
Bruxelles, Belgique.
Bravo by Yvos Wednesday November 20, 2002 at 12:54 PM |
Bravo Fred,
Tes lettres de protestations sont toujours bien écrites, et démolissent point par point la désinformation capitaliste.
Continue, courage, bravo !
Merci by Fred Wednesday November 20, 2002 at 01:50 PM |
fleveque@brutele.be |
Merci ...
c'est tellement vrai... by Seb Wednesday November 20, 2002 at 03:38 PM |
Bien vu Fred, cette lettre est très bien écrite et tellement vraie. En effet, nos médias nous font toujours croire que le Venezuela n'est pas une démocratie et qu'il n'y a pas de liberté de presse alors que c'est le contraire. Les chaînes de télévisions sont toutes privées (sauf une) et manipulent l'opinion publique avec des propos anti-Chavez...
Malheureusement, chez nous, il y a très peu de personnes qui dénoncent ces pratiques.
Seb
Bravo, mais by François Wednesday November 20, 2002 at 03:48 PM |
Bravo Fred. De tout coeur avec vous. Article pertinent et documenté. Une seule chose pourtant c'est que les USA seraient une nouvelle fois derrière cette tentative de déstabilisation de Chavez, qui les gêne considérablement compte tenu de sa sympathie pour Fidel et Lula. Actuellement la CIA tente de déstabiliser le Brésil depuis la victoire aux présidentielles de Lula(cf un article dans Istoe, magazine brésilien réputé pour ses investigations très sérieuses)http://www.terra.com.br/istoe/1729/brasil/1729_cia_continua_no_brasil.htm
Le Brésil passant à gauche, le Vénézuela aussi, c'est toute l'amérique latine qui va basculer dans une opposition ferme contre les tentatives d'hégémonie des USA via la CIA mais aussi et surtout via l'Alca, l'échange de marché américain nord-sud.
Que ca nous serve d'expérience à nous européens. L'esprit révolutionnaire n'est plus du côté du "vieux continent" fatigué et corrompu.