arch/ive/ief (2000 - 2005)

un conflit nécessaire pour construire un futur commun
by M. Dessenne Wednesday November 13, 2002 at 07:55 PM

Changer le monde sans rompre avec la langue de bois et les vieilles recettes patriarcales, sans penser son propre changement, sans critiquer ses pratiques, sans remettre en question ses comportements d'exclusion et de simplification...

Novembre 2002, Forum social européen, Florence. 40.000 inscrits, une affluence inattendue qui dépasse tous nos espoirs.

Grande conférence du matin intitulée « Hommes et femmes, un conflit nécessaire pour construire un futur commun ». Beau titre prometteur pour une féministe. Une salle pleine à craquer plutôt de femmes que d'hommes, enfin, bon, il y en avait. Mais diantre, quelle découverte ! C'est dans une quasi religiosité que la majorité des participantes au débat ont eu confirmation d'une vérité éternelle : il nous suffit de fracasser le capitalisme pour faire tomber l'oppression dont les femmes sont victimes. Il nous suffit de changer l'ordre économique, de réguler les marchés, d'interdire la spéculation, pour que de fait, s'évapore comme la rosée du matin, le poids du patriarcat. Ah, excusez-moi, c'est sans doute par un malencontreux réflexe que mes doigts ont frappé le mot par erreur : p a t r i a r c a t.

Car voilà une cause sans valeur, sans fondement. Hommes et femmes, main dans la main, marchant sur le chemin de la libération des peuples, transcendant les violences conjugales, faisant table rase des viols, de l'excision, du travail invisible des femmes, gravissant les marches de la démocratie mondiale, cœur contre cœur, entonnant les chants de la révolution du grand soir !

Une telle caricature méritait bien une belle crise de colère salutaire. A la tribune, en conclusion des débats c'est Christine Delphy qui nous a fait partager la sienne ; pour le plus grand bien de quelques-unes. Rafraichissant la mémoire des anciennes, témoignant de son expérience de plus de trente ans de combats féministes, elle a rappelé l'évidence : que jamais la domination des femmes n'avait reculé au motif que le système économique changeait. Tournons nos regards vers Cuba où les jeunes femmes se prostituent pour survivre, vers la Russie où l'avènement sauvage des marchés a engendré la marchandisation du corps des femmes, et leur trafic, comme en Asie où prolifère le tourisme sexuel, vers l'Afrique où des hommes atteints du sida se purifient par des rapports sexuels imposés à des petites filles vierges, vers les pays d'Afrique du Nord qui ont mené des luttes de libération nationale mixtes avant de rejeter les femmes à leur état ordinaire : inféodées, voilées, soumises au nom de prétendues traditions religieuses.

Christine Delphy a regretté avec véhémence l'absence de réflexion et d'analyse en même temps que l'absence de mémoire. Car tant que la question du patriarcat ne sera pas mise au cœur de toutes les problématiques abordées par le mouvement social, dans les forums sociaux, non pas comme un geste condescendant à l'égard des femmes méritantes qui luttent mais comme une nécessité vitale pour changer l'ordre des choses, nous resterons dans les filets de la domination. Elle n'a pas omis de nous remettre une autre évidence en mémoire : l'opprimé d'un jour, d'un temps, d'une fraction de l'histoire est dans d'autres situations celui qui devient l'oppresseur. Cette évidence est encore trop complexe, visiblement, pour être traitée dans un forum social européen!

Un bref coup d'œil sur la composition des panels d'intervenants au Fse en disait long sur l'effroyable réalité : des hommes, des hommes, des Blancs, et plutôt cinquantenaires !

ah, pénélope !
by Gilbert Thursday November 14, 2002 at 07:58 PM

ah! pénélope! cent fois sur le métier remets ton ouvrage, et tiens le patriarcat à l'écart en attendant le retour d'Ulysse. :-)
Ok pour le cri de colère, justifié. Rien ne justifie une telle réduction simpliste.
Ne faisons pas de même avec le 'patriarcat' (comme source unique de tous les malheurs et combat prioritaire).
Ayant lu récemment l'énigme du don de Godelier, je trouve qu'il y a un processus de prise de pouvoir patriarcal à comprendre, et à dire aussi comment ne pas tomber dans un 'matriarcat' qui pourrait ne pas être moins effroyable.
(pour faire bref pour être compris : la femme ayant un pouvoir lié à l'enfantement et à d'autres atributions liées : alimentation, soin, éducation, manifesté par différents mythes, l'homme a voulu "savoir" et "maîtriser". Comment arriver à un équilibre entre pouvoirs féminins "naturels", évidents et masculins "artificiels", pris de force ?
Après le coup de gueule, retour à la complexité.

conflit et complémentarité
by Dominique Friday November 15, 2002 at 12:06 PM
dominique_pifpaf@hotmail.com

Le plus vieux dogme de domination de notre culture est celui du concept de l'immuabilité du conflit du bien et du mal. La grande erreur des féministes est de transformer la complémentarité naturelle des sexes en un conflit alors que le véritable conflit se situe au niveau de la lutte des classes.

Parler en terme de conflit ne fait que le jeu des puissants qui se jouent de ce concept soi-disant immuable. Il leur rend bien service permettant de diaboliser tout ce qui est différent et de vendre les armes pour l'anéantir.

La complémentarité elle, permet de passer à la transcendence que donne l'action précédée de réflexion. Nous voila bien loin de la pensée unique.