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Paradoxes, par Eduardo Galeano

by (posté par Risbal) Friday, Nov. 08, 2002 at 10:36 AM

Traduction d'un nouveau texte du célèbre auteur urugayen des "veines ouvertes de l'Amérique latine".

Paradoxes

Par Eduardo Galeano, Patria Grande, octobre 2002.*

La moitié des Brésiliens est pauvre ou très pauvre, mais le pays de Lula est le second marché mondial des crayons Montblanc, le neuvième acheteur de voitures Ferrari et les magasins Armani de Sao Paulo vendent plus que ceux de New-York.

Pinochet, le bourreau d’Allende, rendait hommage à sa victime chaque fois qu’il parlait du "miracle chilien". Quand le "miracle" devint "modèle", il ne l’a jamais avoué, les gouvernants démocratiques qui sont arrivés après non plus: que serait le Chili sans son cuivre, le pilier de l’économie, qu’Allende nationalisa et qui ne fut jamais privatisé?

Nos indiens naquirent en Amérique, pas en Inde. Le maïs et la dinde aussi naquirent en Amérique, et pas en Turquie, mais la langue anglaise nomme la dinde turkey et la langue italienne le maïs grandturc.

La Banque mondiale fait l’éloge de la privatisation de la santé publique en Zambie: "C’est un modèle pour l’Afrique. Il n’y a plus de files dans les hôpitaux". Le quotidien The Zambian Post complète l’idée : "Il n’y plus de files dans les hôpitaux, parce que les gens meurent chez eux".

Il y a quatre ans, le journaliste Richard Swift arriva aux champs de l’Ouest du Ghana, où du cacao bon marché est produit pour la Suisse. Dans son sac à dos, le journaliste avait emmené quelques barres de chocolats. Les cultivateurs de cacao n’en avaient jamais goûté. Ils adorèrent.

Les pays riches, qui subsidient leur agriculture au rythme de mille millions de dollars par jour, interdisent les subsides à l’agriculture dans les pays pauvres. Récolte record sur les bords du fleuve Mississipi: le coton étasunien inonde le marché mondial et fait chuter le prix. Récolte record sur les bords du fleuve Niger: le coton africain rapporte si peu qu’il ne vaut pas la peine de le récolter.

Les vaches du Nord gagnent le double que les paysans du Sud. Les subsides que reçoit chaque vache en Europe et aux Etats-Unis font dupliquer la quantité d’argent que gagne en moyenne, durant une année entière de travail, chaque fermier des pays pauvres.

Les producteurs du Sud arrivent désunis sur le marché mondial. Les acheteurs du Nord imposent des prix de monopole. Depuis qu’est morte, en 1989, l’Organisation Internationale du Café et qu’a disparu le système des quotas de production, le prix du café est au plus bas. Ces derniers temps, c’est même pire que jamais: en Amérique centrale, celui qui sème le café récolte la faim. Mais on n’a pas réduit, à ce que je sache, le prix que l’on paie pour le boire.

Charlemagne, créateur de la première bibliothèque en Europe, était analphabète.

Joshua Slocum, le premier navigateur en solitaire qui fit le tour du monde, ne savait pas nager.

Il y a dans le monde des affamés comme des obèses. Les affamés mangent des déchets dans les décharges. Les obèses mangent des déchets chez McDonald’s.

Le progrès fait gonfler. Rarotonga, dans le Pacifique Sud, est la plus prospère des îles Cook, avec d'étonnants indices de croissance économique. Mais plus étonnante encore est la croissance de l'obésité chez les hommes jeunes. Il y a 40 ans, 11% étaient gros. Maintenant, ils le sont tous.

Depuis que la Chine a été ouverte à cette chose qu’ils appellent "économie de marché", le menu traditionnel de riz avec légumes a été rapidement changé par les hamburgers. Le gouvernement chinois n'a pas eu d'autre remède que de déclarer la guerre contre l'obésité, devenue épidémie nationale. La campagne de propagande montre l'exemple du jeune Liang Shun, qui a maigrit de 115 kilos l'an passé.

La phrase la plus célèbre attribuée à Don Quijote ("Ladran, Sancho, señal que cabalgamos") n'apparaît pas dans le roman de Cervantes; et Humphrey Bogart ne dit pas la phrase la plus célèbre attribuée au film Casablanca ("Play it again, Sam").

Contre ce que l’on croit, Ali Baba n'était pas le chef des 40 voleurs, mais son ennemi; et Frankenstein n'était pas le monstre, mais son inventeur involontaire.

À première vue, cela paraît incompréhensible: où le progrès progresse le plus, les gens travaillent davantage d'heures. La maladie dus aux excès de travail conduit à la mort. En japonais, c’est appelé karoshi. Maintenant, les Japonais sont en train d’incorporer un autre mot au dictionnaire de la civilisation technologique: karojsatsu est le nom des suicides pour hyperactivité. Ils sont chaque fois plus fréquents.

En mai 1998, la France a réduit la semaine de travail de 39 à 35 heures. Cette loi non seulement s'est avérée efficace contre le chômage, mais a en outre donné un exemple de rare sagesse dans ce monde qui a perdu une case, ou plusieurs, ou toutes: A quoi servent les machines si on ne réduit pas le temps de travail humain? Mais les socialistes ont perdu les élections et la France est retournée à la normalité anormale de notre temps. La loi qui avait été dictée par le sens commun est déjà en train de s’évaporer

La technologie produit des pastèques carrées, des poulets sans plume et de la main d'oeuvre sans chair ni os. Dans plusieurs hôpitaux des Etats-Unis, les robots accomplissent des tâches d'infirmerie. Selon le quotidien The Washington Post, les robots travaillent 24 heures par jour, mais ne peuvent pas prendre de décisions, parce qu'ils manquent de sens commun: une image involontaire du travailleur exemplaire dans le monde qui vient.

Selon les Evangiles, le Christ est né quand Herodes était roi. Comme Herodes est mort quatre années avant l’ère chrétienne, le Christ est né au moins quatre années avant le Christ.

C’est avec des tonnerres de guerre qu’on célèbre, dans beaucoup de pays, le réveillon. Nuit de paix, nuit d'amour: les pétards affolent les chiens et rendent sourds les femmes et hommes de bonne volonté.

La croix gammée, que les nazis identifièrent avec la guerre et la mort, avait été un symbole de la vie en Mésopotamie, en Inde et en Amérique.

Quand George W. Bush proposa de détruire les forêts pour mettre un terme aux incendies de forêts, il n'a pas été compris. Le président paraissait un peu plus incohérent que de coutume. Mais il était conséquent avec ses idées. Ce sont ces saints remèdes: pour mettre un terme au mal de tête, il faut décapiter ce qui fait mal; pour sauver le peuple d’Irak, nous allons le bombarder jusqu'à en faire de la purée.

Le monde est un grand paradoxe qui tourne dans l'univers. À cette allure, d'ici peu, les propriétaires de la planète interdiront la faim et la soif, pour qu'on ne manque pas de pain et d’eau.

* Traduction non-officielle: Frédéric Lévêque

Question à Frédéric Lévêque

by . Friday, Nov. 08, 2002 at 12:40 PM

Est-ce à cause du FSE que le PTB s'agite sur Indymedia pour faire du Indy-PTB-Info ?

Mail

by red kitten Friday, Nov. 08, 2002 at 11:35 PM

S'il s'agissait vraiment d'une question pour Fred, tu utiliserais son adresse e-mail, non?
[ elle est en haut de l'article, en rouge ]

Pauvre Fred, déjà qu'il est accusé d'être du PTB ... surement parce qu'il écrit des articles précis et documentés ...

Ahlala!

/// r e d . k i t t e n ///

Eh, Mr Point

by yannindy Saturday, Nov. 09, 2002 at 9:59 AM

Et Eduardo Galeano, il est du PTB aussi?? Mais peut-être que ta culture générale ne te permet pas de répondre.
Allez, retourne devant ta télé.