Ce jeudi, à Ougrée [ Liège ] s'est déroulé un hommage aux deux ouvriers sidérurgistes, mort le mardi 22, hommage aussi dédié aux 21 ouvriers morts cette année dans le groupe Arcelor. En marge de la cérémonie, on discute des conditions de travail, de sécurité, de l'intérim et des responsabilité, intérompus de temps à autres par les trains de marchandises qui passent à quelques mètres. François est électromécanicien, il travaille ici depuis 40 ans. Jilali est docteur, il travaille dans une maison médicale à Seraing depuis 12 ans. Gaspard travaille dans le bâtiment.
François: Je travaille à Cockerill-Sambre, ça fait quarante ans, et
sur ces quarantes ans, j'en ai vu des vertes et des pas mûres. La dernière fois
que j'avais été interviewé, j'avais aussi dit que le patron se fiche pas mal
d'une vie humaine, ce qui compte c'est la rentabilité, et je l'avais un peu
dit avec émotion. Quelques jours avant, il y avait eu encore un mort chez nous,
mais pas par accident. C'était soit-disant une mort naturelle, mais on a du
attendre, je crois, une heure et demi, ou deux heures pour avoir l'ambulance.
Et le gars a eu le temps de se retourner et de se retourner dans sa tombe.
rK: Que s'était-il passé exactement?
François: En fait, il y a quelques années, il y a un copain de travail
qui a eu un malaise, il est tombé mort. Et après on a attendu, attendu l'ambulance,
il y avait une mauvaise coordination dans le dispatching, et le gars, quand
on est venu le chercher, c'était beaucoup trop tard. Un malaise cardiaque, on
attend une heure après. Il a le temps de refroidir, le garçon. Et alors la dessus,
on nous avait interviewé. Et j'avais été un peu pris de court, et je l'avais
dit avec une certaine émotion, un tout petit peu tremblante et tout ça. Maintenant
je le dit vraiment, sincérement, à tête reposée: je crois que les patrons, vraiment,
ils n'en n'ont rien à foutre d'une vie humaine. Eux ce qu'ils veulent c'est
la rentabilité, la rentabilité à tout prix.
François: Et je voudrais encore souligner une chose, si on ne la coupe
pas! C'est que le contremaitre de la cokerie, il devrait être licencié sur le
champ. Parce que, de un, il a été prévenu. Et de deux c'est une question d'incompétence.
Et ce qui va mal chez nous, et dans beaucoup de boites, c'est la question de
l'incompétence. On demande des mécaniciens, et on nous envoit des boulangers.
Maintenant, ceci dit, les boulangers ce sont des gens très respectueux, qui
font le mieux de leurs possibilités, mais un boulanger c'est un boulanger. Un
mécano, c'est un mécano. rK: Pourquoi envoie-ton des gens qui ne sont pas qualifiés?
François: Bah, quand on vois que certains reponsables, qu'ils soient
brigadiers ou contremaitres, qui ne connaissent même pas la différence entre
un écrou et une vis, ben, je regrète, hein. Ici j'y vais peut-être un peut fort,
mais c'est comme ça.
rK: On parle beaucoup du travail intérimaire, que voyez-vous commes évolution
sur ce plan?
François: Ca c'est sur que je vois une évolution: tout le temps pire.
Les intérimaires, il faut le dire, ce sont des gens qui n'ont aucun appui. Le
gars, l'intérimaire il vient travailler, on lui dit: "Tu va faire un mois de
avail aujourd'hui." "Oui mais chef, je ne sais pas venir, parce que ..." "Ah,
ça va. Tu ne viens pas aujourd'hui, tu ne fais pas des heures supplémentaires,
t'as pas besoin de venir demain, tu reste chez toi."
François: Alors le gars, ce qu'il fait, lui, il est bien obligé d'accepter,
maintenant il va travailler 12, 13 heures, 14 parfois, d'affilé. Qu'on dise
ce que l'on veut, mais un gars, il est vidé, il ne serait plus faire attention
à son travail! De un. Et puis de deux, un intérimaire, on le prend, on le met
sur une machine, où des professionels, qui eux ont 10, 15, 20 ans d'expérience,
donc il connaissent quand même certains rouages, certains trucs. Eux, sur deux
heure de temps ils doivent savoir tout. C'est impossible. Le gars qui a l'expérience,
on le bouge pour mettre un jeunot, mais le jeunot, avec la meilleure volonté
du monde, il ne saurait pas. C'est pas possible.
rK: Comment ce fait-il que l'on engage plus de ouvriers sous contrat, que l'on
forme, mais que l'on envoie des intérimaires?
François: Bon. On démonte un moteur, ou n'importe quoi. Il faut deux
jours, trois jours, cinq jours. Il y a un temps pour le démonter. Si maintenant,
on prend un intérimaire et on lui colle sur les fesses ce boulot, et que sur
deux heurres de temps il faut qu'il soit fait ... Je vais aux extrêmes; hein,
ici. Mais qu'est-ce que tu veux que l'intérimaire fasse? Il est bien obligé
de le faire sur deux heures de temps. Il va bacler le travail. Et s'il ne bacle
pas le travail, c'est sa sécurité qui prend un coup. Et c'est comme ça que les
accidents arrivent.
François: Il n'y a pas de formation. Former quelqu'un, ça coûte. Mais
seulement, ça coûte dans un sens, mais en fin de compte, ça ne coûte pas tellement
cher, c'est rentable. Mais, ici, maintenant, c'est le profit direct. On ne veut
pas une rentabilité à long terme. On veut une rentabilité tout de suite. Voilà.
En ltion, on dirait une rentabilité 'illico'. C'est comme ça.
Jilali:: Il faut le savoir que deux tiers des accidents professionnels
arrivent dans la première année de travail. Et près d'un tier des accidents
de travail arrivent dans les cinq ans de travail. Donc c'est vraiment dans cette
période là, da,s les premières années de travail que les accidents sont les
plus fréquents. Par manque de formation, par manque de connaissance de l'outil,
de l'environnement, qui est dangereux. Alors ici, et à Cockerill, sur 8,000
travailleurs, il y a 4,000 sous-traitants et intérimaires. Donc la moitié du
personnel de Cockerill est constitué d'intérimaires et de sous traitants. Et
ça c'est une logique libérale qui fort connue, on veut vraiment remplacer le
travail à durée indéterminée par du travail flexible, du travail intérimaire
et de la sous-traitance. Donc c'est pousser la rentabilité à outrance, au détriment
de la sécurité et du bien être des travailleurs. C'est aussi simple que ça.
rK: Cérémonie, fait de 21 morts dans le groupe, donc c'est comme ça partout?
Jilali:. Oui, ça c'est dans Arcelor Belgique, France, Espagne, Brésil
... Mais sept de ces accidents rien qu'en Belgique. Donc la Belgique est le
plus gros pourvoyeur de décès au sein de l'entreprise Arcelor, le plus gros
producteur mondial d'acier. Il n'y a pas de mystères: la surproduction et la
sur-rentabilité se font nécessairemnt au détriment de la vie des travailleurs.
rK: On parle aussi beaucoup de problème avec les syndicats ...
Jilali: Les travailleurs ne sont plus du tout entendus. Il ne sont plus
entendus ni au sein de leur entreprise, ni au sein du syndicat. Quand nous sommes
venus ici après l'accident, des travailleurs savaient que cet accident allait
arriver. François, ici, il y a deux ans déjà, avait déjà dénoncé les conditions
de travail, il savait que d'autres accidents allaient ce reproduire. Et les
travailleurs n'arrêtent pas de dire qu'il y a des sites dangereux, qu'il faut
faire de la sécurité, etc. Mais on ne les écoute plus.
Jilali: La parole est complétement confisquée au sein des entreprises,
les droits élémentaires d'un être humain de pouvoir parler et d'être entendu,
ces droits sont confisqués. Les gens ont peur de parler. Ils ont peur d'être
entendus quand ils revendiquent des droits à la sécurité de pouvoir rentrer
à leur domiciles en vie. C'est un droit fondamental que les travailleurs n'ont
plus ici en Belgique.
rK: C'est à ce point?
Jilali: Dans la construction, on a justement un travailleur de la construction
ici [ il désigne Gaspard ] Je défie n'importe quel travailleur qui travaille
dans des métiers dangereux tel que la construction ou la sidérurgie, avec la
mentalité actuelle du libéralisme qui pousse à la rentabilité à outrance, de
partir le matin en étant sur de rentrer sain et sauf. Ca n'existe plus.
Gaspard: Un exemple. On dit que les travailleurs doivent ce taire, et
ils doivent se taire. Moi j'ai eu des problèmes dans une société, j'ai voulu
me défendre, j'ai pris un avocat. Quand je me suis défendu, qui a gagné? Le
patron. Et moi je prend une sanction. On peut parler, mais après qui est-ce
qui le paye? L'ouvrier. C'est tout. L'ouvrier n'a droit qu'à une chose, se taire.
Et il y en marre de se taire. Et je trouve que tout le monde devrait parler.
François: Il y a une chose qu'il faut vraiment dire: les responsables doivent
prendre leurs responsabilités. A savoir que, ici, à Cockerill, quand il y a
eu l'accident, le jour avant, un ouvrier qualifié avait prévu qu'il y allait
avoir un accidnt. Il en a parlé au contre-maitre. D'habitude c'est tout le temps
le laboratoire qui vient voir, pour mettre l'azote, etc, etc, soit, on connait
le système. Le contre-maitre lui dit qu'on va se passr de laboratoire, on a
ici des appareils suffisants que pour contrôler nous même. Je regrette beaucoup,
mais quand on passe déjà outre les spécialistes, je crois quand même que le
contre-maitre dans ce cas là a été un peu 'léger'. Surtout, il ne faut pas véhiculer
l'explication de 'l'erreur humaine'. C'est trop facile de cupabiliser les ouvriers,
il faut aller chercher les vrais responsables.
Jilali: Il n'y a pas de démocratie dans les usines. Aujourd'hui, le contrat,
c'est les chaines de l'esclavage moderne. Ici, après l'accident, les gens voulainet
parler, avce les médias. Mais les jouranlistes ne sont pas débrouillards, ils
sont resté au grilles de l'usine, bloqué par les gardiens. Les ouvriers, eux,
savaient exactement ce qu'il s'était passé. Bouchard, lui, a dit qu'il fallait
faire une enquête.
[
photo reportage de la commémoration > ]
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petite rectification:
un tiers des accidents du travail surviennent durant la première année d'activité professionnelle, et deux tiers durant les cinq premières années d'activité.