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9 novembre 2001 : Tribunal Populaire sur la Sabena
by Julien Versteegh et Alice Adler Tuesday October 29, 2002 at 03:04 PM
julienversteegh@yahoo.fr

Un an après la plus grosse faillite de l'histoire de Belgique, les travailleurs de l'ancienne Sabena organisent un tribunal populaire pour juger les responsables de la faillite. De nombreux ex-sabéniens ont payé cher la faillite tant sur la plan matériel que sur le plan médical. C'est ce que révèle Riet Vandeputte, avocate du Comité pour la plainte des 30 milliards et le docteur Nele Vandenbempt.

Nous livrons ici des extraits des témoignages des travailleurs de la Sabena au lendemain de la faillite. Ces témoignages ressortent d'une enquête réalisée par le CP30M pour évaluer les préjudices financiers via les plans de restructurations successifs de la compagnie, puis suite à sa faillite. Le CP30M, Comité pour la plainte des 30 milliards (de FB), exige que cet argent leur revienne.
«L'analyse de l'enquête nous a profondément bouleversés, explique Riet Vandeputte, avocate du comité. Elle a révélé que les conséquences de la faillite s'étendent bien au-delà des pertes matérielles.» Très vite, en effet, il est apparu que les travailleurs se plaignent de troubles de la santé, de problèmes familiaux ou psychologiques. Le dictionnaire définit la dépression comme une «réponse de l'organisme aux facteurs d'agression physiologiques et psychologiques». Les travailleurs ont bien été victimes d'une agression et seuls ces témoignages sont capables d'en mesurer l'ampleur. «Ils sont d'une très grande importance pour le tribunal populaire», relève-t-elle
Les sabéniens ont beaucoup de choses à dire. Les témoignages récoltés sont plus émouvants les uns que les autres.
Eliane, 42 ans, a travaillé 2,5 ans au Cleaning (nettoyage)
«Stress. Insomnies. Aucune aide, le néant complet...» Le témoignage d'Eliane résume bien les sentiments des Sabéniens. Beaucoup sont touchés moralement. Leurs projets, l'aboutissement de leur vie pour certains, sont détruits. «Beaucoup de difficultés financières», aussi, qui obligent par exemple à retarder les soins médicaux, y compris ceux des enfants. Ces derniers eux-mêmes «s'estiment lésés et sont très perturbés, voire malades», ajoute Eliane, précisant que leur scolarité est en péril. Et puis, il y a ce «climat de mensonge, ces tromperies. Humiliation, dépression, manque de compréhension de la part des créanciers, dû en grande partie au laxisme des institutions qui ont promis beaucoup de choses alors que rien ne vient.»
· Nourdine , 24 ans, 3 ans au loading (ticket)
«Mon projet de mariage, de construire une famille tombe à l'eau», confie Nourdine. Depuis la faillite, c'est le désarroi, l'angoisse de ne plus pouvoir subvenir aux besoins des gens que l'on aime.
· Keyiz, 33 ans, 6 ans au cleaning (nettoyage)
Keyiz dénonce «le dommage que je subis à cause de la faillite. Mes enfants, je ne peux pas les satisfaire avec mon salaire. Pas de Saint-Nicolas, cette année. Pas de classe de neige, pas de vêtements, pas de voiture. Je suis dépressif». Alors que le gouvernement a été élu sur base de l'émoi suscité par l'affaire Dutroux, voilà que des enfants sont à nouveau victimes du laxisme gouvernemental.

Voilà un an que la faillite a eu lieu et tout ce qui a été fait, c'est une commission d'enquête parlementaire qui ne pose pas les bonnes questions. On n'écoute que la voix des administrateurs et des politiques, pas celle des travailleurs. Un travailleur souligne que durant toute la faillite, il y a eu des «mensonges continus vis-à-vis des ouvriers» et que cela continue aujourd'hui. «Il n'est pas normal, dénonce l'avocate, que nous ayons dû attendre septembre 2002 pour voir les premières perquisitions à Airbus, alors que nous avons déposé plainte en octobre 2001.»
Les travailleurs n'ont pas de temps à perdre, ajoute-t-elle. «Nous voulons que les responsables soient jugés et nous les jugerons donc nous-mêmes. La parole doit revenir aux travailleurs. Leurs témoignages au tribunal du 9 novembre constituent l'acte d'accusation. La lutte est loin d'être finie. Le tribunal populaire et la plainte que nous avons introduite constituent le prolongement du combat des Sabéniens.»


Le docteur Nele Vandenbempt pour sa part a analysé les témoignages des Sabéniens ayant déposé plainte. De son analyse, il ressort que 35% souffrent de dépression, 33% de stress, 37% de maux de dos.
Nele Vandenbempt, du centre La Clé (Médecine pour le Peuple-Schaebeek), constate que suite à la faillite, mais aussi dans le climat déplorable qui l'a précédée, la santé des travailleurs de la Sabena a été fortement mise à mal. «Avant la faillite, explique-t-elle, les travailleurs ont tout donné d'eux-mêmes pour sauver l'entreprise. Avec pour conséquences: maux de dos, fatigue, stress. Le travail comme tel nuit déjà à la santé. C'est d'autant plus le cas dans le contexte d'une faillite annoncée, lorsque les travailleurs se trouvent dans l'insécurité la plus totale.»
Par exemple, parmi les travailleurs du cleaning (nettoyage des avions), nous trouvons de nombreux cas de stress, de surmenage, de dépression. Et 23 de ces 56 travailleurs souffrent de maux de dos. On peut clairement établir un lien entre la faillite et ces maladies-symptômes, estime Nele Vandenbempt. Les conditions de travail se sont considérablement aggravées durant les mois qui ont précédé le dépôt de bilan. Le matériel, fort ancien, n'était plus remplacé. Il n'y avait plus d'investissements pour la sécurité et le bien-être des travailleurs, alors que les sacrifices demandés augmentaient.

Une fausse couche à cause du stress

Le cas de Samira est révélateur. Elle travaillait au cleaning et son mari au cargo. Elle a fait une fausse couche suite à l'augmentation du rythme de travail et du stress généré par l'ambiance des derniers mois précédant la faillite. Les témoignages révèlent également une augmentation importantes, durant cette période, d'autres pathologies liées au stress: ulcères, psoriasis...
Après la faillite, les choses ne se sont évidemment pas améliorées. Selon Nele Vandenbempt, la perte de son emploi entraîne une perte de confiance en soi, de repères. Dans de nombreux cas, cela engendre une dégradation des relations familiales et peut mener à la dépression. Plus d'un travailleur sur trois se plaint de symptômes liés à un état dépressif: modification des habitudes alimentaires, troubles du sommeil, perte de poids, perte de volonté, du goût de vivre, sentiment d'inutilité...

Les dommages financiers également ont des conséquences médicales. Comme pour Monique, 31 ans, du Catering (préparation des repas), qui ne peut plus «payer les factures actuelles, ni les soins de santé de mon mari.» L'impact médical de la faillite n'est pas chiffrable et comporte une portée plus large: tous les aspects de la vie quotidienne du personnel en sont marqués ainsi que l'entourage familial.
«Il n'y que les travailleurs qui puissent juger des conséquences de la faillite, estime Nele Vandenbempt. Les politiciens impliqués dans la faillite voudraient nous faire croire que la commission parlementaire apportera la vérité. Ce matin, j'ai assisté à une séance de la commission. Dehaene était convoqué. Il a d'emblée reporter la responsabilité de la faillite sur les travailleurs, les accusant d'avoir manqué de motivation au travail, comme dans les autres entreprises publiques. Comment des Dehaene ou des Di Rupo ­ qui ont signé la privatisation ­ peuvent-ils comprendre la détresse des travailleurs. Seul un tribunal populaire est à même de révéler toute la souffrance subie par les travailleurs. Et d'exiger que les responsables rendent des comptes.»
Samedi 9 novembre
Tribunal populaire Sabena
La Sabena comptait plus de 17.000 Eliane, Nourdine, Alain, Maria... Ces témoignages vous ont touchés, venez écouter d'autres travailleurs. Vous connaissez d'anciens Sabéniens: demandez-leur de témoigner. Vous êtes vous-même un ancien Sabénien: venez au Tribunal populaire pour présenter vos propres griefs.
· 16-19h: audience du Tribunal populaire, à «Ons Huis», stationstraat 58, 1930 Zaventem (tout près de la gare). PAF: 3€.
· A partir de 20h30: soirée avec la troupe de l'apprenti poète, Close et Bobby. PAF tribunal + soirée: 7€. Petite restauration sur place. Infos: http://www.tribunal-sabena.be.


triste histoire...
by Christophe R. Tuesday October 29, 2002 at 03:26 PM

Triste histoire que celle de la Sabena qui a laissé des milliers de familles sur le bord de la route...

Comment en est-on arrivé là ?

Je ne suis pas un spécialiste, mais au vu de cet historique de la sabena que j'ai trouvé (Le Soir en ligne), l'ex compagnie aérienne belge a été depuis ses débuts un gouffre financier, une entreprise non-rentable (sauf durant quelques mois, en 1945).

La question n'est-elle pas alors : comment a-t-on permis à cette compagnie de survivre aussi longtemps, en jouant sur les rêves et la vie de milliers de travailleurs ?
Les employés de la Sabena n'étaient-ils pas conscients de vivre en plein mirage et en position scabreuse perpétuelle, dans une entreprise non-viable et mal gérée depuis sa naissance ?

En réponse à Christophe
by Julien V Tuesday October 29, 2002 at 04:35 PM
julienversteegh@yahoo.fr

Les éléments qui ressortent de la commission parlementaire et des différentes déclarations des responsables politiques concernés mettent clairement en évidence que la faillite a été organisée de toute pièce depuis 10 ans. La question n'est pas que la Sabena était un gouffre financié, c'est l'argument continuellement employé pour en fait justifié la faillite. A l'époque de Clabecq, le même argument était utilisé pour justifier la fermeture.
Dans le système capitaliste, la cause des faillite va toujours être reporté sur une tierce raison ou personne mais jamais sur le système même.
Je propose que tu viennes au tribunal car tous sera expliqué en long et en large, notamment les responsabilités des politiques dans cette faillite.

Citoyen ou client?
by Sasa Tuesday October 29, 2002 at 05:43 PM

Un autre point de vue serait peut-être de dire qu'un service publique N'A PAS à être rentable..
Qui sont les prochains sur la liste: la poste? la sncb? l'enseignement? la sécurité sociale? sommes-nous des citoyens ou des clients? Merde au privé.
Sssss